Il y a quatre-vingt-dix ans

1917 : mutineries dans les tranchées




Printemps 1917. Alors que la Grande Guerre est entrée dans sa quatrième année, l’énormité des sacrifices subis pèse chez tous les belligérants. Du front de l’Est parviennent les premières rumeurs d’effondrement de l’édifice tsariste. Grèves à l’arrière, mutineries à l’avant vont marquer le printemps et l’été.

Au printemps la France connaît une vague de révoltes qui touche les civils comme les militaires.

À l’arrière, la situation des travailleurs et des travailleuses mobilisées en masse pour l’effort de guerre n’a cessé de se dégrader. À Paris, pour la première fois depuis 1914 le 1er mai est chômé, des milliers de syndiqué(e)s se déclarent grévistes et 4 000 manifestant(e)s se retrouvent rue de la Grange-aux-Belles, siège de la CGT, pour un meeting. À partir du 11 mai, les ouvrières des maisons de haute couture arrêtent progressivement le travail.

La “ grève des midinettes ” déclenche un mouvement qui se répand dans tout le pays et dans tous les secteurs, y compris les industries de guerre. Les revendications sont partout identiques : indemnité de vie chère et repos le samedi après-midi. Le mouvement est ascendant jusqu’à la fin mai, et quand une grève se termine, une autre commence. Il décroît lentement à partir de début juin pour finir en juillet, endigué par la satisfaction partielle des revendications. Cela ne signifie toutefois pas un retour à la paix sociale, il y aura encore des grèves en septembre et surtout en 1918.

Au front, les nouvelles de la révolution russe sont connues dès mars. L’offensive Nivelle déclenchée le 16 avril au Chemin-des-Dames est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Le grand quartier général (GQG) avait promis une percée décisive, finalement ce n’est qu’un carnage de plus pour le gain de quelques kilomètres.

C’est ce carnage de trop qui fait exploser le mécontentement dans les tranchées.

Les derniers jours d’avril, des unités affectées à des secteurs difficiles refusent de participer à des attaques suicidaires vouées à l’échec. En mai les refus d’obéissance se multiplient, l’agitation gagne les zones où les poilus revenant de première ligne sont mis au repos, elle atteint aussi les gares où transitent les permissionnaires. La colère s’exprime à travers des manifestations d’importances variées. Souvent brèves, elles tournent parfois à l’émeute. On chante L’Internationale, on salue la révolution russe, on dénonce l’état-major et les planqués de l’arrière, on crie “ À bas la guerre ! Vive l’anarchie ! ”, on défile derrière le drapeau rouge. Mais l’écrasante majorité des mutins se révolte pour des revendications modestes et immédiates, dont la principale est l’exigence de pouvoir enfin partir en permission. Il n’y a pas de lien avec les grévistes de l’arrière, et les fraternisations avec les soldats allemands sont rarissimes. Les quelques tentatives d’organiser le mouvement pour lui donner une tournure plus radicale, y compris révolutionnaire, échouent.

Au moins 60 000 mutins

S’il fallait caractériser ces mutineries, il s’agirait plutôt d’une lutte syndicale menée par des “ travailleurs sous l’uniforme ”. C’est d’ailleurs le terme de “ grève ” qu’ils utilisent ; celui de mutinerie est rarement utilisé à ce moment-là.

Le GQG répond par la manière forte. Pour briser la révolte il faut faire des exemples. La justice militaire fait pleuvoir les condamnations par centaines, parfois elles tombent au hasard, ou bien elles ciblent les fortes têtes. Les sentences de mort sont nombreuses mais finalement peu seront exécutées. Le gouvernement a peur que trop d’exécutions provoque une explosion généralisée, aussi le président utilise-t-il largement son droit de grâce.

En fin de compte la répression a un impact limité et, si les mutineries commencent à décroître à partir de la mi-juin, c’est surtout parce que les nivaux intermédiaires de la hiérarchie militaire cèdent aux revendications. L’augmentation des permissions ramène vite le calme dans les unités mutinées, l’octroi de longues périodes de repos aux unités saignées par les combats stoppe la propagation du mouvement. La généralisation de ces mesures d’urgence par les grands chefs du GQG ramène le progressivement le calme. De la fin avril au début septembre, de 60 000 à 90 000 poilus se sont mutinés, au moins une vingtaine d’entre eux ont été fusillés, sans compter les exécutions sommaires qui n’ont pas laissé de trace. Des milliers d’autres ont été emprisonnés ou déportés dans les colonies, les survivants seront amnistiés au cours des années 1920.

Hervé (AL Marseille)

 
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