1944 : La chute des mouvements collaborationnistes bretons




Breiz Atao mad da Lazo ! « Breiz Atao, bon à tuer ! », était le mot d’ordre des résistants bretons lors de la libération de la Bretagne en août 1944, en référence au journal nationaliste breton Breiz Atao (Bretagne toujours). Pendant l’occupation allemande en effet, une grande partie du mouvement politique indépendantiste breton a sombré dans le soutien actif au nazisme.

On peut tracer les racines du mouvement breton contemporain (le terme emsav, qui signifie « mouvement » breton, n’apparaît qu’après la Seconde Guerre mondiale) avec la création, en septembre 1918, de ­l’Union régionaliste bretonne, plutôt de droite, qui publie une revue intitulée Breiz Atao (Bretagne toujours). Le drapeau breton, le « Gwenn-ha-du » (blanc et noir), créé en 1925, va devenir le principal symbole du mouvement breton.

Dans les années 1930, le mouvement connaît une scission entre les fédéralistes de gauche anticléricaux, organisés à la Ligue fédéraliste de Bretagne, et les nationalistes du Parti national breton. Le PNB est déjà marqué dès ses débuts par l’antidémocratisme et l’idolâtrie du chef comme dans la plupart des organisations d’extrême droite, mais également et surtout par l’antisémitisme, ce qui influencera grandement sa trajectoire misérable. Ce parti relance alors la revue Breiz Atao.

La dérive fasciste

Ces deux mouvements enregistrent de nouvelles adhésions après la destruction à la bombe, à Rennes en 1932, de la statue agenouillée d’Anne de Bretagne devant le roi de France, coup d’éclat de Célestin Lainé, le leader autonomiste fasciste du groupuscule Gwenn-ha-Du, qui est déjà en lien avec le parti nazi, mais aussi avec l’Armée républicaine irlandaise.

Alors que la Ligue fédéraliste se dissout au milieu des années 1930, le PNB, quant à lui, à l’image des différents mouvements des minorités nationales de France, succombe aux sirènes du fascisme, dont les succès impressionnent le petit milieu militant breton. Sous l’impulsion d’Olier Mordrel, le PNB affirme dès 1936 son soutien au Reich allemand. Cette année-là, lui et ses amis publient la revue doctrinale Stur (gouvernail), qui, au fil des numéros, ne cache plus son soutien aux thèses nazies, avec la participation active de Lainé.

Lors du congrès du Parti en 1937, la branche plus modérée qui refuse le virage nazi du PNB, autour de Raymond Delaporte, est exclue. Mordrel et Lainé ont donc le champ libre pour transformer le PNB en parti ouvertement fasciste. Des slogans ­antisémites signés PNB apparaissent sur les murs, ce pour quoi Lainé sera condamné à quelques mois de prison en juin 1938. Le parti soutient l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. À l’approche de la guerre, la censure est rétablie en France et bon nombre de militants du PNB sont arrêtés tandis que Mordrel, avec François Debeauvais, fuient précipitamment en Allemagne en 1939. La même année, le PNB s’autodissout.

Malgré son tirage limité, Breiz Atao était lu par une trentaine de correspondants allemands répartis dans le Reich, intéressés par la « race » celte et sensibles aux thèses nationalistes développées par la revue, si bien que Mordrel et Debeauvais trouvent l’appui des dignitaires du Reich.

En 1940, dans une France en déroute, les deux dirigeants bretons parviennent à ouvrir un camp d’internement spécial pour les prisonniers de guerre nationalistes bretons. On assiste ainsi à des conversions spontanées au nationalisme chez les prisonniers bretons, motivées par une possibilité de rapatriement. Environ 600 prisonniers sont ainsi libérés des camps allemands de juillet à décembre 1940 et, à leur retour, subissent des pressions pour militer pour le PNB. En réalité, une partie seulement des hommes libérés se mettent sous les ordres de Célestin Lainé (alors dirigeant du mouvement visant à la création d’une armée bretonne, Lu Brezhon), les autres s’empressent de regagner leur foyer et de se faire oublier.

Les séparatistes bretons se regroupent dans un château à Pontivy en 1940, suscitant d’ailleurs l’hostilité de la population locale (ils en seront finalement chassés le 24 juillet 1940), et lancent les premières bases de leur organisation, qu’ils nomment Conseil national breton, visant à l’établissement d’un gouvernement breton, avec un programme en 18 points. Ils décident également de la création d’un hebdomadaire, L’Heure bretonne, dont le tirage, jusqu’à la fin de l’Occupation, atteindra environ les 30.000 exemplaires.

Le passage à la collaboration

Trois mois après son lancement, le CNB ne parvient toujours pas à recruter massivement dans la population. En octobre 1940, Mordrel décide de relancer le PNB dont il prend la direction. Le CNB se transforme en une sorte de « Sénat du parti ». Le choix de la collaboration avec les nazis semble faire consensus dans les rangs du parti mais Mordrel et Debeauvais s’opposent sur la question d’un accord avec Vichy. Mordrel le refuse et durcit l’orientation politique du parti dans un sens encore plus nazi, séparatiste et germanophile.

Alors qu’en octobre 1940, avec l’entrevue de Montoire, est scellée l’entente entre l’État français et le Reich, Olier Mordrel, plus nazi que les nazis eux-mêmes, critique ouvertement cette politique de collaboration, en mettant en garde les Allemands sur la sincérité de la France. En dérangeant son aile modérée, il ne fait plus l’unanimité au sein du parti et est contraint à la démission. C’est le moins remuant Delaporte qui revient pour le remplacer, jusqu’à la fin de la guerre.

Mordrel, est informé d’une possible arrestation par la police française, qui espère le faire disparaître. Il fuit à Paris et rentre dans la clandestinité. Pour le PNB, l’heure n’est plus au séparatisme résolument antifrançais, mais bien à la politique de main tendue vers Vichy. Les nazis, de leur côté, même après la politique d’alliance avec la France de Pétain, restent bienveillants avec les mouvements autonomistes, susceptibles d’affaiblir le nationalisme français et l’unité nationale.

En septembre 1941, grâce à la protection nazie, Mordrel peut rentrer en Bretagne. Après le retour de Mordrel en Bretagne et tout au long de son histoire Le PNB est donc à nouveau toujours tiraillé entre les tendances du catholique Delaporte et des fascistes Mordrel et Lainé.

Les effectifs du PNB sont estimés à 3.000 adhérents — le chiffre réel est inconnu, ses archives ayant été brûlées avant la Libération. De nombreuses adhésions sont en réalité motivées par l’espoir de faire libérer un parent ou un proche prisonnier en Allemagne. On peut néanmoins tabler sur un noyau dur réellement actif de 300 à 400 militants, guère plus, soit un petit nombre facilement identifiable, ce qui facilite le travail pour la Résistance qui cherche à exécuter ses animateurs locaux. Comme souvent à l’extrême droite, la composition sociologique de l’organisation est familiale, avec de larges familles dont l’ensemble des membres adhèrent au parti.

Le militantisme consiste essentiellement dans la vente du journal L’Heure bretonne, qui est alors un des rares journaux en vente libre (les articles consistent en une reproduction fidèle des informations pronazies sur le déroulement de la guerre), parfois des distributions de tracts, et dans le recrutement de nouveaux adhérents. Alors que beaucoup de partis politiques sont interdits, le PNB a pignon sur rue. Il est souvent considéré avec méfiance par la population ou même avec une grande hostilité notamment à Carhaix, Guingamp ou Morlaix, traditionnellement rouges — les défilés du PNB, sont parfois tout simplement attaqués.

Le choix des armes

De nombreux militants servent d’indicateurs aux forces nazies et des cas avérés de délations pullulent, particulièrement dans la tendance pronazie. Par exemple, la section de Fougères envoie aux nazis une liste des francs-maçons et des Juifs de la ville. Un service de renseignements existe au sein du parti, chargé de débusquer les résistants ou les auditeurs de la radio anglaise. Le parti compte aussi une milice, créée en 1941 : les Bagadou Stourm (« troupes de combat »), en grande partie pour encadrer la jeunesse du parti et contrer les tentatives de débauchage de Célestin Lainé, qui dispose de son propre service spécial.

Progressivement, cette organisation de jeunesse prend l’apparence d’une formation paramilitaire, avec des miliciens armés de barres de fer. Elle organise des manifestations où peuvent défiler une centaine d’hommes, obéissant aux ordres donnés en breton par leur chef, sous des drapeaux à croix noire, avec un triskell [1]. Mais la présence allemande devenant de plus en plus dure, ces parades collaborationnistes insupportent la population : à Landivisiau, le 7 août 1943, des pavés et des cailloux s’abattent sur les Bagadou Stourm.

Der Bretonische Waffenverband der SS

À partir de 1943, le vent commence à tourner. Les groupes de résistance s’engaillardissent et les maquisards multiplient les actions contre le PNB, répandant l’inquiétude dans les rangs collaborationnistes. De nombreux militants de l’aile extrémiste, parmi les plus actifs, sont abattus. Le 12 décembre 1943, c’est au tour de l’abbé Perrot, personnage très connu du nationalisme breton, d’être tué une balle dans la tête. Les démissions se multiplient. C’est dans ce contexte d’attentats et de début de guerre ouverte entre le PNB et la Résistance que s’inscrit la création de la Formation Perrot, fin décembre 1943.

Intégralement sous les ordres de Lainé, la Formation Perrot (Bezen Perrot), qui compte environ 80 miliciens, rémunérés, disposant d’uniformes de la Waffen SS, est armée de revolvers par les nazis. Elle est intégrée au service de sécurité SS sous le nom de Bretonische Waffenverband. Delaporte, leader du PNB, interdit tardivement la double appartenance au Bagadou Stourm et à la Formation Perrot. Les militants jusqu’au-boutistes, principalement jeunes, qui souhaitent en découdre frontalement avec la Résistance, quittent les Bagadou pour rejoindre Lainé, qui a entretemps relancé la revue Breiz Atao, cette fois-ci totalement pronazie (seuls quelques numéros de cette nouvelle version paraissent).

Totalement soumise aux forces d’occupation, la tâche de la Formation Perrot consiste essentiellement en gardes et surveillances de locaux nazis. Au fur et à mesure, la Formation Perrot évolue vers des missions de représailles dirigées contre les maquis, et après le débarquement allié, vers des assassinats de dizaines de résistants.

Les miliciens de la Formation Perrot, en plus de bien connaître le terrain, peuvent s’appuyer sur le vaste réseau offert par le PNB. La Formation Perrot, qui commet également de nombreux actes de torture, a laissé derrière elle une des pages les plus atroces de l’histoire de Bretagne.

Alors que la défaite allemande ne fait plus aucun doute, la Formation Perrot, minée par les désertions, ne compte plus guère qu’une trentaine de membres et opte pour une retraite pitoyable vers l’Allemagne, en assassinant sommairement sur son chemin les prisonniers politiques qui lui tombent sous la main. Célestin Lainé déserte à son tour, trahissant tous ses compagnons. Il s’exilera en Irlande, comme d’autres nationalistes bretons condamnés à mort en France. Mordrel, l’autre leader de la tendance antisémite pronazie, s’exilera au Brésil, et reviendra en Bretagne en 1971 à la faveur d’une mesure de grâce.

Breiz Atao, boulet de la Bretagne

Le PNB était très loin d’être un parti de masse. Malheureusement, de l’autre côté de la barricade, le camp antifasciste également était minoritaire. Beaucoup de résistants étaient organisés au Parti communiste et, a priori, laissaient de côté l’héritage culturel breton. L’espace politique bretonnant semblait alors intégralement occupé par le PNB.

Cela a contribué, comme bien sûr les actions ignobles de la Formation Perrot, à décrédibiliser et à jeter l’opprobre sur l’ensemble du mouvement breton pendant les années d’après-guerre, facilitant le travail de ­l’État français dans sa destruction de la langue bretonne, un défenseur de la langue bretonne étant perçu comme un traître, un « Breiz Atao ». Cela a heureusement évolué et nombreuses sont maintenant les organisations de gauche actives au sein de l’Emsav, du mouvement breton [2].

On peut noter aujourd’hui la réapparition du terme Breiz Atao, terme qui aurait dû rester définitivement dans les oubliettes de l’histoire, pour désigner un site internet d’ultradroite (« quotidien de l’État national breton ») créé en 2000, dans la droite ligne idéologique du Breiz Atao nazi. Le créateur de ce site, Boris Le Lay, a été condamné plusieurs fois en France pour incitation à la haine raciale et a fui... au Japon, et non en Allemagne comme ses misérables prédécesseurs.

François (ami d’AL)

[1Une croix issue de l’art celtique préhistorique qui a l’avantage de ressembler vaguement à une croix gammée

[2L’actuel syndicat de gauche libertaire SLB allie, dans le même combat, internationalisme prolétarien et défense de la langue et de la culture bretonnes

 
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