À Bordeaux comme ailleurs, on a faim !




Regard croisé des actions de solidarité et de l’abandon des pouvoirs publics durant la période de confinement.

Dans les squats de Bordeaux, “les personnes vont mourir de faim, pas du Covid 19” titrait Le Monde du 2 avril 2020 pour montrer la situation catastrophique des populations les plus démunies sur la métropole bordelaise. Comme ailleurs, l’état d’urgence sanitaire et les mesures de confinement n’ont pas du tout pris en compte le devenir des personnes vivant dans l’extrême pauvreté et subsistant de l’économie parallèle.

Selon les associations, on compte entre 2000 et 3000 personnes dans des squats ou dans des campements de fortune sur la métropole Bordelaise. Dans la première semaine du confinement, les associations humanitaires qui organisaient des distributions alimentaires se sont retrouvées à l’arrêt ou en situation très dégradée. Le manque de bénévoles et les permanents en arrêt de travail en furent la cause première. Pour répondre à cette situation, de nombreuses initiatives ont vu le jour dans l’urgence et la précarité grâce à un élan de générosité et à l’engagement de nombreuses personnes.

Un Etat qui met en danger les migrant·es et organise la souffrance des populations

Avant de dresser l’état des lieux de quelques initiatives, il est bon de rappeler que la très grande majorité des personnes vivant en squat sont des ressortissants étrangers dont beaucoup sont des réfugiés en attente d’un statut. Ces personnes sont sous la compétence de l’État. Il est donc du ressort de la préfecture et de sa direction de la politique de cohésion sociale visant des publics en situation de difficultés socio-économiques de mettre en place des solutions contre les exclusions et la pauvreté. En théorie, le rôle de l’État est clair, mais dans la pratique, c’est une tout autre histoire.

Depuis Papon, la région de Bordeaux hérite plus souvent qu’à son tour de ce qui se fait de plus autoritaire dans le corps préfectoral. Après avoir eu l’arracheur de main, Didier Lallement, nous avons désormais la désingueuse de la jungle de Calais, Fabienne Buccio. Guidée par une théorie fumeuse de “l’appel d’air”, cette dernière n’a eu de cesse de freiner toutes les initiatives en direction des publics en situation de précarité au prétexte de ne pas vouloir travailler avec des associations avec lesquelles elle n’avait pas l’habitude de collaborer. L’état d’urgence sanitaire lui permettrait de régulariser par le travail nombre de réfugié·es. Mais depuis que le collectif de soutien aux réfugié·es l’interpelle à ce sujet, la préfète Buccio est aux abonnés absents

Les collectivités territoriales de la Métropole bordelaise auraient pu reprendre le flambeau en assurant la continuité des distributions alimentaires. Si le robinet des subventions s’est ouvert pour certaines associations sur le terrain, les collectivités ont tout de même démontré leur incompétence à opérer une politique publique efficace envers les publics en difficulté depuis le début du confinement.

L’explication de cette situation est du domaine du politique avec une préfecture qui développe la “lepénisation des esprits” en organisant la souffrance des populations qu’elle ne veut pas voir sur son territoire et une droite locale qui caresse dans le sens du poil son électorat le plus réactionnaire en agissant au compte-goutte. Cela produit un état de catastrophe sanitaire pour les populations les plus éloignées des protections sociales et une non-assistance aux personnes en danger.

Notre nécessaire organisation

Face à cette situation explosive, relayée par les associations humanitaires et les professionnels de la médiation sociale, les militant.e.s qui soutenaient les squats et les réfugié.e.s ont développé rapidement des collectes et des distributions à grande échelle, avec les moyens du bord. L’association Les enfants de Coluche, connue de longue date pour soutenir les squats sur la métropole, a apporté son soutien aux populations Roms vivant dans les bidonvilles. Les distributions organisées directement dans les campements sont un exemple de l’abandon des pouvoirs publics envers ces populations. Si on a pu apercevoir des fonctionnaires de la mairie, on peut dire qu’à aucun moment la collectivité n’a pris ses responsabilités pour soutenir ces initiatives. Rien pour sécuriser les distributions afin d’éviter la propagation de l’épidémie et rien pour protéger les militant·es lors des situations de tension avec des personnes affamées et très inquiètes. À ce jour, nous n’avons qu’une vision très partielle de la situation, mais nous savons que l’État a totalement déserté ses responsabilités sous couvert de son leitmotiv : “résorption des squats”. La préfète a maintenu sa position idéologique en refusant de reconnaître le travail de l’association les enfants de Coluche car cette dernière favoriserait, selon elle, le développement des squats. On retrouve ici la stratégie de Didier Lallement du “on n’est pas du même camp” : maintenir coûte que coûte le rapport de force et l’affaiblissement de ce qui s’oppose au pouvoir en place.

Parallèlement, l’association Bienvenue, mobilisation pour les réfugiés, a organisé conjointement avec les militant·es opérant sur les squats et des travailleurs sociaux une distribution alimentaire pour plus d’un millier de personnes vivant dans les squats de la métropole. Grâce à son réseau dynamique de bénévoles et sa gestion inclusive des bonnes volontés, elle a réussi un tour de force sans aucune expertise préalable dans ce domaine, en s’appuyant sur son expérience dans celui l’action culturelle.
Elle a par ailleurs réussi à faire le lien entre ses actions et les revendications des collectifs pour la régularisation des réfugiés. Cette mise en commun a contribué au soutien et à l’engagement des bénévoles, et mené au succès de ce projet solidaire.
Cette distribution s’est réalisée grâce au soutien logistique de l’écosystème Darwin. Il est remarquable que là où il y a un abandon des pouvoirs publics, le patron éclairé de la rive droite bordelaise, le colibri issu de la grande distribution, offre son aide. Le contre-don sera pour lui l’accès à un pouvoir symbolique supplémentaire. En favorisant les actions humanitaires dans son écosystème, il répond favorablement à la demande de sa clientèle à fort pouvoir d’achat qui recherche du fun et du sens. On ne peut que constater la capacité de ce chef d’entreprise à se positionner au bon moment et au bon endroit pour exister. On pourra se questionner sur les réseaux qui favorisent systématiquement Darwin aux dépens d’autres opérateurs du domaine caritatif.

Oval citoyen, association présente dans toutes les mobilisations envers les réfugiés, a opté pour une autre stratégie en prenant un tournant institutionnaliste. Elle a mis en place une distribution alimentaire dans son local et dans le même temps signé des accords avec l’État pour favoriser l’embauche des réfugiés pour des travaux agricoles, passé d’autres accords avec des établissements sous la tutelle des militaires pour accompagner des jeunes, et négocié avec le syndicat majoritaire des exploitations agricoles (FNSEA) responsables de la dégradation sociale et environnementale de l’agriculture en France. Cette volonté de reconnaissance par les institutions éloigne par conséquent cette association du milieu militant présent sur les luttes contre l’exclusion des réfugiés. Malheureusement pour elle, il y a fort à parier qu’elle jouera le faire valoir d’une Fabienne Buccio jusqu’au jour où il s’agira d’augmenter les expulsions, et que son action sera alors dévalorisée.

Des nouvelles questions se posent

Passé l’urgence, la question du jour d’Après se pose. Si la générosité a été le maître mot lors du déroulement des distributions, la question de la gestion, du recensement des besoins et des populations sera à l’ordre du jour ; d’abord pour répondre à des questions techniques d’approvisionnement et de redistribution afin de rendre cohérentes les distributions les unes avec les autres et de ne laisser personne sur le chemin. Ces questions ne sont pas que techniques et posent un problème politique majeur. Les populations vivant en squat vivent cachées et évitent de se faire remarquer pour rester le plus longtemps sous le même toit. Avec cette distribution, la majeure partie des squats sera référencée sur des listes qui, à n’en pas douter, finiront sur la plate-forme Résorption des squats de la Préfecture. Le paradoxe est que les associations luttent pour que les populations puissent manger selon leurs besoins et en même temps offrent les moyens à la préfecture d’exécuter dans un avenir proche des expulsions et des reconduites à la frontière.

On en arrive à la question de la pérennisation de ces distributions par des personnes qui, dans la période du confinement, avaient du temps à donner. Comment va se passer la période longue de déconfinement ? Il faut espérer que la force du collectif sera capable de se réorganiser en intégrant les habitant·es des squats et que les associations caritatives reprendront leurs activités.

Ce que nous devons retenir de cette expérience, qui est loin d’être terminée, c’est d’abord ce formidable élan de générosité dans des formes d’auto-organisation, qui met les pouvoirs publics face à leurs responsabilités. C’est l’espoir de voir les mouvements de solidarité envers les migrants se coordonner avec efficacité pour gagner des luttes localement. Nous pouvons constater que cette période de confinement a aussi permis à de nombreuses personnes de découvrir des formes concrètes d’engagement. Cela dit, nous pouvons nous poser la question de la durée et du sens que va prendre cet engagement. Au regard des études sur le sujet, la montée en puissance des engagements de type pragmatique est à durée limitée. La recherche de résultats concrets se traduit par un accroissement des initiatives visant directement à aider autrui, sans attente d’un changement politique. Souhaitons que, dans cette période, les formes d’engagement passent du bénévolat au militantisme et que l’action concrète se traduise par un engagement politique.

Union communiste libertaire Bordeaux, le 3 mai 2020.

 
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