Afrique : Une monnaie coloniale, le franc CFA




Le franc CFA vit toujours et maintient l’Afrique subsaharienne sous domination coloniale. Cette survivance de l’impérialisme français maintient les états africains dans un état de sous-développement grâce à l’ingérence des institutions monétaires et des hommes publics sans morale qui oppriment les peuples africains. Qui saura renverser ce fantôme du colonialisme  ?

Le franc CFA est le symptôme le plus évident et le plus aberrant du colonialisme français en Afrique subsaharienne. Que jusqu’à aujourd’hui la France seule ait réussi à garder le contrôle monétaire de ses anciennes colonies suffit à expliquer l’histoire d’une décolonisation ratée, celle de la Françafrique avec ses dictateurs, aussi indétrônables que le CFA, qui se maintiennent grâce à l’ancienne métropole, avec ses compagnies concessionnaires, Rougier, Total, Bouygues, Bolloré, qui raflent à leur profit la gestion de pans essentiels d’économies assu­jetties. L’ensemble néocolonial est cimenté par le CFA.

Les arguments racistes du franc CFA

Les arguments des défenseurs du CFA sont d’abord racistes. En effet, prétendre que sans le CFA les pays africains francophones sombreraient dans le chaos monétaire c’est postuler que les Africains sont incapables de gérer leur monnaie, comme ils sont incapables de se gouverner, de se construire, de gérer leur économie. En un sens c’est vrai pour ce qui est de la classe gouvernementale qui leur a été imposée depuis les années soixante. Cette classe a été promue pour son incurie, sa vénalité, sa docilité, sa totale incapacité à concevoir et appliquer une politique d’indépendance et de développement. Le prix à payer a été l’élimination de ceux qui étaient conscients, intègres, indociles et pleinement compétents. Ceux-là ont été chassés, persécutés, assassinés. La liste des violences à leur encontre est longue et elle n’est pas close. Une tyrannie ne peut se maintenir que par la force.

Les faits récusent l’argument raciste. La majorité des pays africains non seulement se passent du CFA sans inconvénients mais ils se portent beaucoup mieux, à tous points de vue, que ceux qui sont censés en bénéficier. Si on prend l’exemple de la Côte d’Ivoire et du Ghana, deux pays voisins, comparables par leurs dimensions, leur population et leurs ressources, on note que le Ghana est 146e à l’indice de développement humain et la Côte d’Ivoire 177e. Les PIB de ces deux pays sont respectivement de 4 293 dollars par habitant pour le Ghana et 3 719 dollars pour la Côte d’Ivoire. Ajoutons que, dans la zone CFA, la Côte d’Ivoire est considérée comme un pays phare, ce qui donne une idée du retard de toute la zone. Les qua­tre derniers pays du classement mondial sont quatre pays en zone CFA  : Burkina-Faso, Tchad, Niger, République centrafricaine.

Le premier économiste qui a parfaitement analysé le fonctionnement de cette monnaie et ses effets délétères est le Camerounais Joseph Tchundjang Pouémi. Son livre Monnaie, servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique est exceptionnel à plus d’un titre. Publié en 1981, il est resté unique, isolé, inconnu pendant trente ans. Aujourd’hui que fleurissent les ouvrages contre le CFA, il reste très peu connu, rarement cité par ceux qu’il a précédés dans le temps et dont aucun ne l’a égalé. Cette œuvre magistrale, produite par un intellectuel africain visionnaire a été et est toujours mise sous le boisseau. Son auteur a disparu promptement, retrouvé mort chez lui à Douala le 27 décembre 1984 à l’age de 47 ans. Les autorités appelèrent suicide ce qui est à l’évidence un assassinat par empoisonnement. Tchundjang avait mis en péril un système dont la puissance mystificatrice ne pouvait pas supporter la moindre contestation.

Un épisode de Data Gueule à propos du franc CFA.

Le système monétaire comme moyen d’oppression

Au delà du cas extrême et particulièrement caricatural du franc CFA, expression du colonialisme français, Tchundjang fait l’analyse du système monétaire mondial comme instrument pour opprimer les pays pauvres et moyen de les maintenir dans le sous-développement, contrairement au discours de façade. Il appelle le FMI «  Fonds de misère instantanée  » bien avant que les institutions financières internationales aient imposé, dans les années 1990, leurs plans d’ajustement structurels à des États surendettés par les fantaisies coûteuses de leurs dictateurs mégalomaniaques mises en œuvre par des entreprises étrangères facturant les travaux pour un prix multiple du coût réel  : gigantesque cathédrale de Yamoussoukro dans la Côte d’Ivoire de Houphouët-Boigny, couronnement fastueux de Bokassa en Centrafrique, aéroport surdimensionné dans le Cameroun de Biya, etc. Les peuples africains paient cela, sous la contrainte de la Banque mondiale, de la privation d’hopitaux, d’écoles, de logements, de moyens de communication, dignes de ce nom. Les faits, là aussi, sont plus éloquents que tout discours et confirment largement les thèses de Tchundjang Pouémi.

La France, patronne du franc CFA, n’est pas en reste. Lorsque la crise de la dette survient en 1990, elle rompt unilatéralement un engagement fondamental de l’existence de cette monnaie, la parité fixe avec le franc français, et dévalue de 100 % le CFA le 1er janvier 1994, multipliant par deux le coût de l’accès aux produits importés pour les habitants de la zone CFA, tandis que le prix de leurs productions, essentiellement agricoles, et de leurs ressources, bois, pétrole, métaux précieux, est divisé par deux. Le choc a un effet meurtrier sur les économies concernées avec des pans entiers de la société qui sombrent dans l’indigence et une explosion de la corruption dans la fonction publique qui fait des services de l’État la principale nuisance dans la vie des gens. Alassane Ouattara, alors Premier ministre de Côte d’Ivoire, est le pilier sur lequel la France s’appuie pour imposer cette ruineuse dévaluation à Houphouët-Boigny et aux autres chefs d’états de la zone CFA, qui, corrompus mais pas fous, n’en voulaient pas. Le même Ouattara, devenu Président de Côte d’Ivoire grâce à l’armée française, est encore aujourd’hui un défenseur acharné de cette monnaie, en laquelle il voit une «  sécurité  », sans doute par antiphrase, pour les Africains.

Aujourd’hui on assiste, en Afrique francophone, à une vague de critiques du CFA réunissant des acteurs très divers, des hommes politiques comme Kako Nubukpo, ancien ministre de la Prospective du Togo, des économistes, universitaires, chercheurs, comme Demba Moussa Dembélé au Sénégal.

Kako Nubukpo
Kako Nubukpo

Kako Nubukpo, en conférence.

Ébranler le carcan par la protestation populaire

Ce courant, dont s’est emparé le tribun passablement démagogue franco béninois connu sous le pseudonyme de Kemi Seba, s’est répandu comme une traînée de poudre en Afrique et dans la diaspora africaine. La protestation populaire qui s’élève est de nature à ébranler enfin le carcan qui paralyse les pays africains soumis à cette monnaie coloniale. Mais s’en débarrasser, si c’est une condition nécessaire, ne sera pas suffisant pour libérer ces pays de toute sujétion. On voit se profiler des réformes qui changeront peut-être la forme mais pas le fond de cette situation.

Il faut écouter la leçon de Tchoungang Pouémi, dont la vision va bien au-delà du CFA. Il donne l’exemple de la Corée du Sud qui, en 1960, se situait après la Côte d’Ivoire en terme de développement – aujourd’hui avant la France en terme de développement humain. Ce pays, ruiné, dénué de ressources, a tout misé sur le travail et l’intelligence de sa population. Il a investi en privilégiant l’épargne domestique. Il a tout sacrifié à l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche.
C’étaient les bons ingrédients d’un prodigieux rattrapage dans le classement mondial.

L’Afrique en livrant son économie aux multinationales étran­gères est engagée dans le chemin inverse. Il faut une renversement radical. Qui saura le faire  ?

Odile Tobner (Survie)


L’esclavage monétaire du franc CFA

Le franc des colonies françaises d’Afrique (CFA) a été créé officiellement sous ce nom en 1945. En fait, cette monnaie existait déjà avant la Deuxième Guerre mondiale. En 1960, la France l’impose, par des accords monétaires léonins, aux nouveaux États issus de l’Afrique occidentale française (AOF) qui constituent la zone de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), avec sa banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) qui émet le franc de la communauté financière d’Afrique de l’ouest et à ceux de l’Afrique équatoriale française (AEF) qui constituent la zone de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) avec sa banque des États d’Afrique centrale (BEAC) qui émet le franc de la coopération financière d’Afrique centrale. L’ensemble forme la zone franc.

Le franc CFA a une parité fixe avec le franc français. En 1960, un nouveau franc français vaut 50 francs CFA. La convertibilité de chacune des deux monnaies CFA avec le franc français est totale, mais elles ne sont pas convertibles entre elles. En échange, les États africains doivent déposer leurs avoirs en devises dans un compte d’opération du Trésor français, qui les leur distribue selon leurs besoins. Ce compte peut théoriquement être créditeur ou débiteur. En fait cette réserve ne peut être inférieure à 50 % de leurs avoirs. Un représentant de l’État français siège au conseil d’administration de chacune des deux banques d’émission. Il dispose d’un droit de veto puisque les décisions doivent être prises à l’unanimité.

Au début des années 1990, les réserves eurent tendance à devenir négatives. La France décide alors de dévaluer de 100 % le franc CFA. Un franc français vaut 100 francs CFA. De plus la convertibilité totale disparaît. Les transactions passent obligatoirement par des comptes bancaires. La banque de France ne change plus les billets CFA. Lors du passage à l’euro, la France exige que le CFA suive le franc.
La valeur du CFA dépend donc désormais de celle de l’euro.Ce système très contraignant entre des groupes de pays, européens et africains, dont les économies n’ont rien en commun, est un véritable esclavage monétaire pour les Africains, qui ne peuvent avoir aucune initiative dans leur propre économie.

 
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