Analyse : les racines troubles de la république française




Depuis l’assassinat horrible de Samuel Paty par l’extrême droite islamiste, une lame de fond s’est exprimée pour défendre les «  Valeurs de la République  ». C’est en leurs noms que la loi séparatisme vient d’être votée, avec la complicité d’une partie de la gauche (PS, PCF, Verts…). Cette loi qui stigmatise les musulmanes et musulmans et restreint fortement la liberté est pourtant bien éloigné des conceptions égalitaires censées être à la base de la «  République  ». De quoi ses valeurs sont-elles le nom ?

En France, la notion de république est devenue pour une grande partie du champ politique un synonyme du terme de «  nation  », assimilant la «  République  » à une «  France éternelle  ». Il faut s’interroger sur cette notion de République à laquelle nous serions toutes et tous censés faire allégeance et qui défendrait à la fois la liberté, l’égalité et la France.

Un rapide examen de l’actualité nous montre que le présent régime républicain est relativement peu compatible avec l’égalité ainsi que les libertés. Le niveau d’inégalité est en constante hausse alors que les revenus des plus riches explosent. De même, les lois sécuritaires sont en expansion alors que le maintien de l’ordre se brutalise. De plus, depuis 2016, nous avons passé plus de temps en état d’urgence qu’en état «  normal  ». Dès lors, comment expliquer que les valeurs de la Républiques soient défendues de manière quasi frénétique par les défenseurs de l’ordre, en décalage total avec une réalité liberticide et inégalitaire  ? Cette défense parait quelque peu hypocrite, si ce n’est confinant à la tartufferie…

Loin du peuple,la République est bourgeoise

Tout d’abord, qu’est-ce que la République  ? Ce terme vient du latin res publica, ou «  chose publique  ». Cela signifie que le régime politique relève de la chose publique et théoriquement que les choix politiques sont l’affaire de tous. Le régime de la République s’oppose à la monarchie qu’elle soit absolue ou parlementaire… Le terme de république n’est donc pas synomyme d’une «  démocratie libérale  » – certaines monarchies parlementaires comme la Grande Bretagne ou les Pays-Bas sont des démocraties parlementaires. D’autre Républiques sont des régimes totalement autoritaires dirigés d’une main de fer par un autocrate comme par exemple la Biélorussie. La France est censée être une «  démocratie  » – et est plus ou moins synonyme de République garantissant des libertés publiques, bien que ce qualificatif devienne de plus en plus discutable.

Loin d’émerger des luttes révolutionnaires, les régimes républicains en France se sont construits contre les classes populaires. Le régime républicain se met en place au cours d’une révolution populaire alliant de larges fractions de la bourgeoisie aux classes populaires. Très rapidement, alors que les organisations bourgeoises consolident leur pouvoir et que les classes populaires se font remuantes, une très forte répression et des massacres mettent un terme aux aspirations populaires. C’est une république bourgeoise basée sur la défense de l’ordre capitaliste qui se met en place, une république des possédants…

C’est le cas lors de la Première république, proclamée le 10 août 1792 pendant la Révolution française. Au début, le peuple parisien met les revendications populaires au centre et exerce une pression sur l’Assemblée pour satisfaire des revendications à la fois économiques et démocratiques. Au bout de deux ans, le coup d’État de Thermidor met la barre à droite et écrase dans le sang les aspirations des sans-culottes, mettant en place un régime modéré et bourgeois  : le Directoire.

Ce schéma se retrouve lors de l’instauration de la Deuxième République de 1848. Après avoir conquis le pouvoir en février 1848 avec l’appui des ouvriers parisiens, en juin l’armée républicaine écrase dans le sang un mouvement insurrectionnel réclamant plus d’égalité sociale. La sauvage répression du général Cavaignac fait plusieurs milliers de morts dans les rangs des ouvriers parisiens et sonne le glas des espoirs d’une république sociale au profit du parti de l’ordre.

En 1870, alors que la Troisième République nait de la défaite de Napoléon III face à la Prusse, des événements similaires se déroulent. En mars 1871, se crée la Commune de Paris qui entend substituer une fédération libre de communes basées sur la démocratie directe et l’égalité économique à la république bourgeoise. La Troisième République se construit sur l’écrasement sanglant de la Commune de Paris et de ses aspirations  : plus de 25 000 morts et de milliers de personnes sont déportées pour que ce régime puisse voir le jour.

Ce type d’écrasement se reproduit à une moindre échelle à la Libération. Alors que le patronat s’est discrédité en collaborant avec le nazisme, la Quatrième République semble partie pour être très à gauche, mais très rapidement les communistes sont éjectés du gouvernement et les grèves ouvrières de l’hiver 1947 sont réprimées dans le sang, faisant plusieurs morts. Au passage, les GMR, troupes de choc du régime de Vichy (fondues dans les CRS), reprennent du service, ce qui donnera naissance au fameux slogan CRS=SS.

Les diverses républiques ne se fondent pas uniquement sur l’écrasement des revendications des classes populaires en métropole, elles se développent aussi sur la subordination et l’impérialisme des colonies. C’est la Troisième République qui construit la plus grande partie de l’Empire colonial français, au prix de millions de morts.

La République rime avec colonialisme et impérialisme

Enfin, c’est aussi la défense du colonialisme et de l’impérialisme qui est à l’origine du régime que connait actuellement la France. La Guerre d’Algérie fait trébucher la Quatrième République, et c’est un coup d’État qui place De Gaulle au pouvoir en 1958. C’est sous la menace d’une attaque de parachutiste pro Algérie française que De Gaulle prend la tête du gouvernement et change la Constitution pour créer la Cinquième République. Si le général se débarrasse rapidement de ses embarrassants soutiens, c’est pour mieux préserver les intérêts français et mettre en place un néocolonialisme dans de nombreux pays africains qui deviennent formellement indépendants mais demeurent soumis à l’impérialisme français. Rappelons que la France tire toujours la majeure partie de son approvisionnement énergétique de ses «  anciennes  » colonies (gaz algérien, uranium du Niger et pétrole gabonais).

Ces différents éléments historiques montrent que la République n’est pas un régime défendant l’égalité et la liberté qui aurait pu être dévoyé en cours de route. Au contraire, le régime républicain français a pour constante d’être un régime au service d’une classe dominante. La République est ce qui est advenu lorsque les aspirations des classes populaires ont été écrasées dans le sang, tout comme les aspirations de liberté des peuples colonisés. Dans cette mesure, une révolution communiste libertaire ne sera pas républicaine mais au contraire construira une fédération de communes libres qui remplacera la république bourgeoise et colonialiste.

Matt (UCL Montpellier)

 
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