Antisémitisme : Soral, échecs et succès d’un pro de l’antisémitisme

Le 18 juin, Alain Soral repassera en procès à Paris pour des propos antisémites tenus en 2021. C’est encore une condamnation en vue pour celui qui s’en glorifie et se victimise sur son site Égalité et Réconciliation, dernier espace en mouvement d’une organisation largement périmée dans la sphère radicale de l’extrême droite, mais dont le rôle fut déterminant et dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui. Retour sur le cas Soral.
Le procès qui s’annonce n’est qu’un nouveau jalon pour celui qu’on peut considérer comme un vieux routier du fascisme. D’abord connu comme polémiste télévisuel, auto-proclamé « sociologue de la drague et de la mode », du fait de ses ouvrages centrés sur son « succès » dans le harcèlement de rue, il s’est fait connaître dans des émissions telles que C’est mon choix, où il étalait sans complexe sa misogynie, son racisme et son homophobie.
Faisant partie de cette génération d’intellectuels se prétendant de gauche et virant à l’extrême droite par conservatisme, il ne cessera de revendiquer son ancienne appartenance au PCF (jamais vraiment établie) et son passé d’artiste underground pour asseoir sa crédibilité. Son parcours politique le dirige, par nationalisme et antisémitisme déjà, vers le courant nationaliste-révolutionnaire incarné par les anciens cadres du Groupe union défense (GUD), puis vers le FN de l’époque. Il y occupe diverses responsabilités entre 2005 et 2008 dans l’équipe de campagne de Jean-Marie Le Pen entre autres, où il tente d’inspirer une ligne « nationale-populaire », basée sur l’alliance entre le prolétariat blanc et immigré sur des bases réactionnaires contre la prétendue domination juive.
Durant la même période, il se rapproche de Dieudonné, déjà remarqué pour ses sorties antisémites, et lance son organisation Égalité et Réconciliation (E&R), en juin 2007, en compagnie de deux anciens gudars, Philippe Péninque et Gildas Mahé. Il participera aussi à l’ouverture du Local, un bar nationaliste dans le 15e arrondissement de Paris, en collaboration avec Serge Ayoub, autre figure de l’extrême droite radicale de l’époque.
De l’organisation politique à la boutique en ligne
Ecarté du FN dès 2008, sa ligne politique étant marginalisée au profit du discours islamophobe dominant aujourd’hui dans le parti, Soral tente une aventure électorale autonome avec Dieudonné et Yahia Gouasmi au travers de la « liste antisioniste » (sponsorisée par le régime iranien) aux européennes de 2008, en Île-de-France. Échec global mais dont le score sera relativement important dans certaines villes populaires de banlieue parisienne.
À partir de 2011, Soral se replie sur le développement de son organisation, qui devient un centre médiatique et de formation de première importance, avec la création d’une myriade d’entreprises satellites, dont la plus centrale est la maison d’édition Kontre Kulture, mêlant publication antisémites, complotistes, réactionnaires, avec des ouvrages libres de droit, notamment de penseurs anarchistes ou socialistes. Véritable gloubi boulga idéologique au grès de la pensée de son président, dont la seule constante est la haine du juif et de la gauche, E&R mélange allégrement inspiration catholique intégriste, pseudo-personnalités de « gauche » confusionnistes, anciennes militantes antiracistes mais homophobes, et cadres ultranationalistes.
Les militants soraliens tentent de s’infiltrer dans les mouvements sociaux, notamment dans les manifestations pro-palestiniennes, et de construire une activité de terrain. Mais ils se heurtent à la vigilance et aux réactions constantes des mouvements antifascistes et antiracistes, les obligeant à se replier le plus souvent sur l’activisme en ligne.
Le soralisme connait son zénith dans la période 2012-2014, lors des manifestations contre le mariage pour tous – où E&R tente, avec un résultat assez maigre, de rallier les quartiers populaires à la Manif pour tous, à ses positions dans le meurtre de Clément Méric, puis à la polémique autour de l’interdiction des spectacles de Dieudonné début 2014, voulue par le ministre de l’Intérieur de l’époque Manuel Valls. La Manif pour tous est une aubaine pour Soral et Dieudonné qui enchaînent les conférences les plus importantes du mouvement. Le point culminant est la manifestation du « Jour de colère », le 26 janvier 2014, où plusieurs milliers de personnes, issues de tous les horizons de l’extrême droite, scandent dans Paris des slogans homophobes et antisémites.
La suite est une longue déliquescence, d’une banalité confondante dans un milieu qui allie souvent politique démagogique et business. La personnalité autoritaire et violente de Soral multiplie les départs des animateurs d’E&R. Les quelques soutiens dans les quartiers s’éloignent lorsque que sont dévoilés les propos négrophobes et les violences sexistes du leader contre une femme racisée (« l’affaire Binti »). Les affaires de détournement de fonds dévoilent la supercherie de ceux qui prétendent lutter contre le « Système » et les réactions des plateformes GAFAM – longtemps indifférentes aux propos soraliens – s’enchainent…
Surtout, la base idéologique de la « Réconciliation » entre blancs et blanches et racisées issues de l’immigration autour de l’antisémitisme est de moins en moins audible dans une période où le RN et la grande majorité de l’extrême droite radicale prend la voie de l’islamophobie et du discours suprémaciste blanc. Aujourd’hui réfugié en Suisse pour éviter la prison, le résistant de pacotille et les acolytes qui lui restent continuent de gérer l’officine E&R, dont l’activité se résume à des apparitions épisodiques, le plus souvent tournées autour de stages consacrés à l’adoration du gourou Soral.
Une méthode qui laisse des traces
Il est facile de constater le poids anecdotique que pèse aujourd’hui E&R dans la politique, même au sein de l’extrême droite. Il est plutôt rassurant de voir qu’une organisation, qui aurait pu incarner un danger de première importance pour le mouvement social, en est finalement venue à se disloquer sous le poids de ses contradictions politiques, de la médiocrité de son chef et de l’opposition politique qu’il a suscitée, notamment par le sursaut salutaire de la lutte sans ambiguïté contre l’antisémitisme.
Il faut cependant reconnaître que la « méthode Soral » a réussi, par une certaine innovation, notamment l’usage massif d’internet et d’une mise en scène à la fois simple, directe et redoutable – la centralité de Soral, l’adresse directe au public, une rhétorique intellectualisante, mais accessible – à impulser un véritable mouvement raciste dont les grilles d’analyses ont largement essaimé au-delà de son organisation.
En remplissant l’espace de la formation politique sur internet, là où le mouvement révolutionnaire péchait par son retard flagrant, une génération entière a été inspirée par son modèle et son discours. La réthorique soralienne, mêlant pseudo-critique, catégories essentialisantes et vocabulaire emprunté aux théories marxistes, continue de se retrouver en toile de fond et ce, au sein même des débats de notre camp social. Il ne faut pas grand-chose pour que les soraliennes et soraliens d’hier, repenties ou pas, réapparaissent. Si Soral est ringardisé, la vigilance face à sa descendance reste de mise.
Hugues (UCL Fougères)





