Après-présidentielle : Face au bulldozer libéral, un front anticapitaliste ?




L’article « Les batailles de demain » du mois dernier analysait les résultats du premier tour de la présidentielle et s’efforçait de tracer les lignes des grandes batailles sociales de la période à venir. Une période qui s’annonce difficile pour les militantes et les militants révolutionnaires.

L’émergence d’une alternative politique va être indispensable pour faire face aux attaques, et les anticapitalistes ont une grande responsabilité dans la construction de cette alternative.

Sarkozy a réussi un coup de maître : se faire élire sur un programme de droite en défendant simultanément des valeurs de gauche, de droite et d’extrême droite. C’est incontestablement son talent de tribun et ses affinités médiatiques qui lui ont permis de camoufler les contradictions entre ses déclarations et son projet politique. Pris de cours, ses adversaires politiques, et en premier lieu Ségolène Royal, n’ont fait que se positionner en contre ou en réaction durant toute la campagne. Cette mise hors jeu de l’adversaire par récupération de ses thèmes est la même que celle utilisée au Royaume-Uni par Tony Blair.

Évidemment, quel que soit le talent du tribun, une telle contradiction entre la vitrine et le programme finit toujours par devenir trop voyante. Si Sarkozy poursuit pour l’instant cette politique en distribuant des postes parfois importants à des figures du Parti socialiste (PS) comme Bernard Kouchner ou le traître Besson, ou en nommant un ministre d’État au développement durable, on peut penser que dès la première crise sociale, voire même dès les législatives passées, ce sera le coup de barre à droite, officiel et désinhibé.

En attendant, Sarkozy est bel et bien passé. Ce n’est pas seulement une continuation de la politique de droite qui a régnée ces cinq dernières années, mais bel et bien un plébiscite en faveur d’une droite plus dure, qui a promis de revenir sur ce qui reste des acquis sociaux des années 1945-1975. Mais c’est aussi une volonté affichée de renforcer l’arsenal sécuritaire et liberticide et de casser les minorités agissantes. Face aux attaques qui vont pleuvoir, comment peut-on organiser la résistance ?

Tout d’abord, les sondages sociologiques montrent qu’il est encore jouable de gagner des majorités sociales dans les luttes à venir. Parmi les différents groupes sociaux, Sarkozy n’est majoritaire que chez les petits et grands patrons, les agriculteurs et agricultrices, les professions libérales, les cadres supérieurs et les retraités. Les employés, les ouvrières, les ouvriers, les cadres intermédiaires, les chômeuses, les chômeurs et les étudiants ont majoritairement voté pour Royal.

L’unité des anticapitalistes sera nécessaire

Inutile néanmoins de se voiler la face : si l’emprise idéologique de la droite dans les classes populaires est loin d’être totale, la démagogie sarkozyste a fait du dégât et il y aura dans les années à venir un enjeu à se réapproprier des valeurs que Sarkozy a pu faire mine de défendre, la "valeur travail" en premier lieu (lire l’édito ci-contre).

Fédérer ces majorités sociales dans une vraie résistance est loin d’être gagné. Il y aura des luttes locales durant les années à venir. Mais pour résister au bulldozer libéral, c’est une véritable opposition politique, avançant avec un contre-modèle, qui sera nécessaire pour faire le lien entre ces luttes et ne pas les laisser s’isoler. Ce n’est pas sur le PS qu’on pourra compter pour ça. Et on peut douter de la capacité des organisations à la gauche du PS à incarner une telle opposition.

Face aux grandes batailles qui s’annoncent, on peut même douter que les bureaucraties des organisations syndicales de masse élaborent une véritable stratégie. Avec la remise en cause du droit de grève et la remise à plat des règles de la représentativité syndicale, la droite comme la gauche ont pour projet le renforcement d’un pôle syndical de cogestion (CFDT, Unsa, CFTC, CGC mais aussi FO). Le score ridicule du Partie communiste français (PCF) au premier tour va encore renforcer le courant “ moderniste ” au sein de la CGT et tirer celle-ci vers la cogestion. Solidaires, qui est la seule force syndicale dont la combativité ne fait pas de doute, va avoir une marge de manœuvre plus qu’étroite.

Bref, la responsabilité des organisations anticapitalistes va être grande durant la période à venir, que ce soit pour donner un contenu politique à des luttes éparses ou pour engager le mouvement social dans des stratégies gagnantes, en l’éloignant de la tentation de la cogestion comme de la tentation du gauchisme proclamatoire, qui sont les deux faces d’une même résignation à la défaite. Pour les anticapitalistes, ces objectifs dépassent les clivages sur le projet de société ou la tactique d’intervention.

Vers un front anticapitaliste ?

Le bilan de l’intervention des anticapitalistes durant cette campagne présidentielle est mitigé. Ils et elles n’ont souvent servi que de caisse de résonance aux nombreuses luttes éparses qui ont ponctuées la campagne (sans-papiers, EADS, PSA-Aulnay, Fnac, etc.), sans parvenir ni à les développer, ni à les radicaliser, ni à les fédérer.

On peut certes espérer que la fin de la campagne législative replacera au centre des débats, au sein de l’extrême gauche, la primauté des luttes comme vecteur de transformation sociale. Mais, au sortir de cette campagne présidentielle, les idées anticapitalistes, qui avaient refleuri après Décembre 1995 et avec le mouvement altermondialiste, risquent de voir leur espace d’expression se réduire. La droitisation accélérée du PS – François Hollande évoquait le 14 mai une “ refondation ” du parti au centre – et le fort tassement électoral de la gauche antilibérale menace les anticapitalistes d’une marginalisation accrue.

À moins que nous ne saisissions l’occasion qui se présente pour construire une véritable opposition extra- parlementaire au gouvernement. Une opposition anticapitaliste et autogestionnaire, qui place son centre de gravité non dans les institutions mais dans la rue. Un pôle anticapitaliste ancré dans les mouvements sociaux, qui s’en nourrisse et les nourrisse. Un pôle anticapitaliste qui fasse entendre haut et fort que le PS n’a pas le monopole de l’opposition à Sarkozy – si toutefois un marchepied pouvait faire figure d’opposition.

Il faut réfléchir aux modalités d’un front anticapitaliste pour incarner cette opposition authentique à Sarkozy. Comme toujours, la mascarade électorale divise plus qu’elle ne rassemble, et les collectifs unitaires hérités de la lutte contre le Traité constitutionnel européen en 2005 ont presque tous éclaté à cause de la "querelle des investitures" antilibérales. Aujourd’hui, passée la course aux scrutins et face au bulldozer Sarkozy, l’atmosphère est de nouveau favorable à la recherche de l’unité.

Cette unité ne pourra pas se faire sans une confrontation des différents projets politiques, pour cerner les points de clivages et d’accord, mais aussi pour être en mesure de mener une véritable contre-offensive idéologique face aux tentatives de récupération du patrimoine idéologique du mouvement ouvrier par l’UMP. Nous ne parlons pas ici d’unité organisationnelle ou de recompositions politiciennes qui viseraient à piquer des effectifs chez le voisin. Nous parlons bien d’une capacité à parler d’une même voix sur un certain nombre de sujets, sans pour autant s’abstenir de manifester d’éventuels désaccords. Nous parlons de donner une visibilité et une lisibilité à un front anticapitaliste qui se traduise par l’unité à la base, dans les quartiers, les entreprises et les universités.

C’est à ce prix que les anticapitalistes montreront qu’ils et elles peuvent incarner une force politique avec laquelle les classes dirigeantes devront compter.

Grégoire Mariman (AL Paris-Sud)


LE CALENDRIER DES ATTAQUES

Le calendrier de mise en œuvre des réformes du nouveau gouvernement reste flou, mais une chose est sûre : ça va aller très vite.

 Une premières série de réformes sera probablement votée dès l’été : suppression des droits de succession pour 95 % des Françaises et des Français, déduction des intérêts d’emprunt pour l’achat d’une résidence principale et mise en place d’une franchise sur les frais de santé, d’un montant indépendant des revenus (en clair : les pauvres seront pénalisés). Il sera clairement difficile de mener des luttes sur ces thèmes peu fédérateurs durant l’été.
 « Mon objectif est d’aller le plus vite possible » a déclaré la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse concernant la réforme des universités. Sarkozy a repris à son compte les conclusions du rapport Hetzel, qui préconisait la professionnalisation et l’"autonomisation" des facs et les moyens de leur privatisation. On peut d’ores et déjà se préparer à une mobilisation d’ampleur dans la jeunesse, dont il faudra sortir vainqueurs.
 Concernant le code du travail, Sarkozy a finalement renoncé à passer en force dès l’été. Il déclare néanmoins que "le calendrier démocratique politique ne peut pas être bafoué par le calendrier des organisations syndicales". En clair : "Je veux bien discuter mais fin 2007 je passe en force donc vous avez intérêt à être de mon côté".
 Le service minimum dans les transports publics, le vote à bulletin secret pour les grèves de plus d’une semaine et la remise à plat de la représentativité syndicale ont été au centre des rencontres avec les confédérations syndicales courant mai et devraient donc figurer dans la première série de mesures annoncées pour fin 2007. La "libération" des heures supplémentaires devrait également arriver rapidement.
 La pièce maîtresse du dispositif, le contrat de travail unique calqué sur le CPE, suivra si tout se passe sans accrocs. Espérons que ce ne sera pas le cas. Les travailleuses et les travailleurs auront à se battre contre cette réforme, contre laquelle il faudra mener LA grande bataille sociale du quinquennat.
 Enfin, le gouvernement reste encore très flou dans plusieurs autres domaines où il sera peut-être possible d’organiser une riposte, notamment le durcissement des conditions du regroupement familial et le vote d’un traité économique européen par le Parlement, ce qui ne veut pas dire qu’il ne tentera pas des passages en force dès l’été.

G. M.


BILAN DE LA CAMPAGNE AL

La coordination fédérale d’AL du 12 mai a fait un bilan de la campagne menée par AL à l’occasion de la présidentielle. Menée presque partout où l’organisation est implantée, nous avons reçu des commandes de matériel telles que nous avons été obligés de refaire un tirage en imprimerie. Au total, 15.000 affiches, 40.000 autocollants et 30.000 quatre-pages argumentaires ont été distribués. AL n’a donc pas été muette durant cette période traditionnellement difficile pour faire entendre la « gauche de la rue ».

Durant ce premier semestre 2007, les militantes et les militants d’AL ont poussé à la lutte collective dans les secteurs professionnels où c’était possible (Éducation nationale, culture, EADS, Direction des chantiers navals, la Poste, les facs) et sur plusieurs fronts (féminisme, sans-papiers, logement, etc.).

Cette nécessité des luttes collectives pour changer la société, par opposition aux alternances électorales, a été au cœur de notre expression durant la période électorale. Une expression qui a pu par ailleurs s’appuyer sur le refus d’une instrumentalisation des mouvements sociaux à des fins électoralistes. Certaines militantes et militants d’AL ont contribué à donner de la visibilité à ce refus, en signant et en rendant publique la tribune « La fausse bonne idée de la candidature Bové » (lire Alternative libertaire de mars 2007).

 
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