Aspects éducatifs : L’alliance des mains et des cerveaux

On sait que la Commune, dix ans avant la IIIe République, a fondé l’école publique, laïque et gratuite. On connaît moins le programme pédagogique qu’elle se promettait d’y insuffler, qui abolissait la hiérarchie entre travail intellectuel et travail manuel.
L’œuvre scolaire de la Commune s’inspire d’un important fonds pédagogique construit par le mouvement ouvrier et les divers socialismes au XIXe siècle, avec des cours du soir, un accès à l’instruction, un perfectionnement professionnel, le tout en revendiquant une éducation nouvelle et universelle.
Trois éléments font, en particulier, l’originalité du projet ouvrier en matière d’éducation : l’éducation intégrale ; l’école-atelier ; la méthode syndicale. Une idée les réunit : le travail doit tenir le premier rôle dans les plans éducatifs.
Sur ces bases, l’action scolaire de la Commune associe la construction d’une école républicaine à une éducation socialiste.
La première école républicaine
Car c’est la Commune qui a créé la première école républicaine en France : publique et commune, démocratique (assise sur le droit universel à l’éducation et à l’instruction), laïque et tendant vers la gratuité.
Elle entame le remplacement de l’enseignement congréganiste par l’enseignement laïc, sur la base du décret du 2 avril 1871 de séparation de l’Église et de l’État. Une véritable révolution politique et culturelle. Mais l’école de la Commune s’aligne également sur les principes pédagogiques du mouvement ouvrier socialiste.

L’éducation intégrale
Pour Paul Robin (1837-1912), pédagogue et ami de Bakounine, qui rédigea un rapport sur l’enseignement en 1870 pour la section parisienne de l’Association internationale des travailleurs (AIT), il faut proposer une même éducation aux filles et aux garçons, sans hiérarchiser les formes de savoirs, sans exclure de l’école le travail manuel et la formation professionnelle.
C’est là le principal marqueur socialiste du programme scolaire de la Commune, conforme aux besoins populaires et à l’idée d’une société reconstruite autour du Travail, car débarrassée du Capital. Quelques écoles professionnelles ouvrent ainsi brièvement en mai 1871.
L’éducation intégrale, c’est aussi la diffusion par l’école d’éléments jusque-là réservés aux riches : par exemple, la culture du corps et la pratique des exercices physiques, ou l’entrée de l’art et de l’artiste à l’école, comme le propose le manifeste de la Fédération des artistes, animée par le peintre révolutionnaire Gustave Courbet.
Il faut prendre le contre-pied de la société bourgeoise, qui ne concède aux prolétaires qu’une éducation fragmentaire pour mieux les enchaîner à un travail divisé. Il faut, comme l’écrit un journal communard, que « l’éducation soit professionnelle et intégrale [...], qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrire avec passion, avec talent, sans pour cela se croire obligé d’abandonner l’étau ou l’établi » [1].

L’école-atelier
Le concept d’« école-atelier » concrétise l’articulation entre le travail productif et l’instruction scolaire. Tout comme l’ouvrier ne peut pas apprendre sans faire, l’enfant ne peut apprendre qu’en agissant et en travaillant. Parce qu’il est à la fois l’activité centrale de la société et l’activité par laquelle l’individu se réalise, le travail doit être au cœur de la pédagogie. Dans l’école-atelier, le clivage entre formation intellectuelle et formation professionnelle disparaît, de même que la césure chronologique entre deux étapes distinctes : d’abord le scolaire, puis le professionnel.
La Commune souhaite même permettre aux travailleurs de participer à l’enseignement. Le modèle classique de l’enseignant défini avant tout par son instruction « scolaire » doit cohabiter avec une intervention directe des ouvriers, des artistes, des gymnastes, etc. La commission de l’organisation de l’enseignement, au moment d’ouvrir l’école professionnelle pour garçons, invite « les ouvriers qui voudraient être maîtres d’apprentissage dans l’école […] à adresser leurs demandes à la délégation du travail et de l’échange » [2].
Cette école-atelier, dans laquelle les enfants seraient initiés à certains métiers, avait pour modèle l’« école polytechnique » dont parlait l’AIT : rapprochement entre les organisations de travailleurs et l’école ; visée pragmatique d’amélioration de la formation initiale des travailleurs ; émancipation des travailleurs par le contrôle de l’action éducative ; transmission à l’école d’une culture et d’une morale du travail afin d’extirper des consciences enfantines les discours des dominants.
La méthode syndicale
L’utilisation de la méthode syndicale signifie la volonté de bâtir la nouvelle école en lien avec le mouvement ouvrier, les initiatives corporatives et les chambres syndicales, ainsi qu’avec le mouvement social, les enseignants, les associations républicaines et socialistes, et la population.
Comme l’émancipation des travailleurs ne saurait être que l’œuvre des travailleuses et des travailleurs eux-mêmes, ceux-ci doivent se saisir de l’éducation comme ils et elles doivent s’emparer de la production, de la consommation, du crédit et des services communs. La réforme scolaire de la Commune s’inscrit ainsi dans un projet global d’auto-émancipation, à distance de l’État et de l’Église.
C’est la promesse d’une exploration pédagogique révolutionnaire, dans laquelle l’instruction ne serait pas qu’un moyen de savoir, mais deviendrait un moyen de vivre en commun dans l’égalité et dans la liberté.
Jean-François Dupeyron (Landes)
DOUBLER LES SALAIRES, CHASSER LES CURÉS
Sous la Commune, la réforme de l’enseignement – restée, pour beaucoup, sur le papier – fut principalement l’œuvre d’Édouard Vaillant (1840-1916), élu à la Commune et délégué à l’instruction publique le 20 avril. Blanquiste, il était aussi membre de l’AIT, dont il relaya les conceptions en matière d’enseignement, notamment sur l’abolition de la hiérarchie travail intellectuel-travail manuel.
Vaillant sut s’entourer d’une équipe active qui compta des féministes comme André Léo (1824-1900) et Victoire Tinayre (1831-1895).
Mi-mai, la Commune décida l’égalité des salaires entre institutrices et instituteurs, dont le traitement fut doublé. Et, la majorité des écoles parisiennes étant entre les mains de l’Église, on commença à en chasser les prêtres et les bonnes sœurs – malgré la résistance des dévotes et des dévots.
En revanche, la Commune n’alla pas jusqu’à abolir l’instruction séparée filles-garçons, qu’engageront les pédagogues libertaires trente ans plus tard.
Après la Commune, Édouard Vaillant deviendra un des leaders du blanquisme. En 1905, il cofondera le Parti socialiste unifié, dont il sera, avec Jean Jaurès et Jules Guesde, une des figures de proue.
Les autres articles du dossier
Crise prérévolutionnaire
- Les rouges prémices de la Commune
- Les tendances politiques qui vont animer la révolution
- L’AIT parisienne en ordre dispersé
Chronologie commentée
- 18 mars-28 mai : De la révolte montante à l’ultime barricade
Mémoire politique
- Quand les libertaires prenaient leurs distances
- Pour l’anarchiste Jean Grave, « La Commune légiférait, mais agissait peu »
- Gustave Lefrançais (1826-1901), entre communalisme et anarchisme
- La postérité internationale de l’idée de « commune »
Pouvoir populaire
- Commune, comités de quartiers, une dialectique inaboutie
- Mesures sociales : pas de révolution sans attenter à la propriété privée
Aspects féministes
- Serge Kibal (historien) : « Un début de reconnaissance des femmes comme individus libres »
Aspects militaires
- Pourquoi et comment les fédérés furent écrasés
- La garde nationale : une force politico-militaire autonome
- Lyon, Marseille... tentatives avortées
Bibliographie
- Rougerie, Tombs, Thomas... le drapeau rouge à chaque page
Illustration : « Le citoyen Jules Vallès » (membre de la commission de l’éducation), tirée de Bertall, Les Communeux. Types, caractères, costumes, Plon, 1880.