Auto-entrepenariat : Abolition du salariat... le rêve des patrons !




Le statut d’auto-entrepreneur qui existe depuis janvier 2009 pourrait devenir une forme d’externalisation de la main-d’œuvre, afin de déplacer la responsabilité de l’employeur sur la tête du travailleur.

Le nouveau statut d’auto-entrepreneur censé remettre la France au travail ayant suscité l’intérêt de 67 000 personnes depuis sa mise en application au 1er janvier dernier, celles et ceux qui s’intéressent à la société Argentine ne pouvaient que sursauter au vu des similitudes entre les auto-entrepreneurs français et les monotributistas argentins.

Créé dans les années 1990 sous la présidence de l’ultralibéral Carlos Menem, le Monotributo fait partie d’une des mesures de réforme des impôts prises à cette époque. Afin de (se) faciliter la tâche et ne faire payer plus qu’une seule taxe, le gouvernement Menem de l’époque mit en place le Monotributo censé remplacer tous les autres impôts, y compris les cotisations retraites…

Le premier problème est que, la somme à payer n’étant pas très élevée (et le Monotributo somme toute assez récent), des doutes se posent quand à l’efficacité réelle de cet impôt et l’importance des fonds ainsi dégagés pour financer lesdites retraites. Payer le Monotributo fait passer n’importe quelle personne s’inscrivant en tant que telle – et sans plus de vérification – dans la catégorie des entrepreneurs individuels. Or, personne ne se charge de payer aux entrepreneurs individuels, ni les frais d’accident ou de maladie, ni le chômage ou la retraite, ni les congés parentaux ou les congés payés… et c’est bien ce que suppose le statut d’auto-entrepreneur.

L’état n’est pas en reste

Le Monotributo représenta une telle aubaine qu’au début des années 2000 l’État Argentin lui-même a embauché un nombre important de personnes sous ce statut : 50 % des « fonctionnaires » en auraient été victimes. Autant d’employés ne bénéficiant pas du statut de fonctionnaire mais simplement assimilés à des sous-traitants d’un donneur d’ordre nommé État.

Là où le parallèle devient intéressant, c’est dans l’étude des cas les plus flagrants de dévoiement du système. À Buenos Aires, un des secteurs importants de ce que l’on nomme pudiquement « l’économie informelle » est constitué de coursiers motorisés nommés motoqueros. Ils représenteraient entre 50 et 58 000 travailleurs dans la seule capitale (entre 100 et 110 000 dans tous le pays). À plus de 90% non déclarés, les coursiers travaillent dans des agences elles-mêmes illégales, mais dont les patrons (ou agencieros) bénéficient de largesses de la part des institutions. Pourquoi ? Notamment parce que beaucoup de ces patrons sont d’anciens flics ayant gardé leurs réseaux, et que l’immense majorité des entreprises installées dans le Microcentro (la City locale) de Buenos Aires ont recours aux services des différentes agences de motoqueros sans aucun scrupules.

La situation est d’autant plus favorable pour les agencieros que leurs clients ne sont pas des modèles d’éthique et de savoir-vivre et ont mené la vie dure aux rares expériences coopérativistes qu’ont pu monter les coursiers au cours de leurs luttes [1]. Les coursiers sont donc à la fois victimes de leurs patrons et de leurs clients...

Les faux indépendants

Et le Monotributo ? Les agencieros ont rapidement compris l’intérêt d’une telle disposition et ont vite fait d’obliger tous les motoqueros à s’inscrire sous ce statut. Ce qui leur permet de se décharger de toute responsabilité vis-à-vis de leurs « faux-vrais » employés et donc, en cas d’accident grave (un pas par jour à Buenos Aires) d’arguer de cette qualité de monotributista à l’encontre du coursier indélicat qui chercherait à faire payer à son employeur des frais médicaux. Autre avantage de cette disposition : les patrons d’agence ont beau jeu de ne pas répondre aux sollicitations des coursiers dont l’immense majorité pâtit de conditions de sécurité ou de salubrité déplorables, puisque juridiquement – et fiscalement – ces derniers sont considérés comme des travailleurs indépendants : « Si un messager se plante et se tue… l’employeur va dire qu’il n’avait aucune relation avec lui, puisque le mec était Monotributista : “il avait des factures, il était indépendant, il me vendait un service je lui achetais ses services.” Mais la réalité, c’est que le mec qui s’est tué, qu’il ait porté ou pas l’uniforme [de la messagerie ou de l’agence], le matin il était parti pour aller livrer à l’adresse que lui avait donné l’employeur, parce qu’il travaillait dans l’espace physique qui était cette agence. Et tous les jours il y revenait. Il ne vendait aucun service à son employeur. Les employeurs obligent donc les [coursiers] à s’inscrire au Monotributo pour se dégager de toute responsabilité envers eux, envers des personnes qui risquent leurs vies tous les jours en moto. » [2]… Autrement dit, le statut d’auto-entrepreneur, s’il s’approche autant du Monotributo, va permettre à n’importe quel patron français de faire du chantage à ses salariés sur le thème : c’est l’auto-entreprise ou la porte... et l’auto-entreprise c’est le fait de payer les charges patronales, mais l’assurance de n’avoir aucun congé (ni payés, ni maladie, ni maternité, ni parental), de ne cotiser ni pour le chômage, ni pour les retraites, ni pour les mutuelles, et bien entendu l’assurance de pouvoir compter sur l’absence de toute représentation syndicale… bienvenue dans le meilleur des mondes.

Guillaume De Gracia (Paris)

[1Le secteur est hyper-combatif et les motoqueros, dont certains sont regroupés autour du syndicat SIMeCa (voir AL, n°123, novembre 2003, « Argentine : L’expérience politique des entreprises récupérées ») ont parfois pu virer leurs patrons et récupérer l’agence (locaux et listings clients) afin de fonder des coopératives qui ont toutes périclitées du fait du boycott pratiqué par… les anciens clients de l’agence.

[2Entretien avec un motoquero surnommé El Chino, en septembre 2004.

 
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