Belgique : Crise de l’accueil des réfugié-e-s : la construction d’un mythe




Depuis l’été 2008, de nombreux demandeurs et demandeuses d’asile en Belgique se retrouvent à la rue, malgré l’obligation pour l’État de les loger. Décryptage d’une situation où l’État invente une crise : un nouveau moyen de justifier un durcissement de la politique migratoire ?

« Chaque jour, des hommes, des femmes et des enfants qui ont fui leur pays arrivent en Belgique pour demander l’asile. […] Selon la loi belge, ils ont droit à un accueil digne. Or, depuis l’été 2008, ce droit n’est plus assuré pour tous. Le réseau d’accueil des demandeurs d’asile est saturé. […] Entre octobre 2009 et mars 2010, plus de 2000 personnes ne se sont pas vu désigner de place d’accueil par Fedasil, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile [ces personnes ont dû loger dans la rue]. » (CIRE/Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Le CIRE est une organisation non gouvernementale participant à l’accueil des personnes en demande d’asile) [1] .
Selon Sarah Smeyers (députée N-VA, parti indépendantiste flamand) et Guy Milcamps (député PS), le problème d’engorgement de l’accueil serait dû au nombre croissant des demandes d’asile [2] . L’afflux de demandeurs et demandeuses d’asile aurait-il atteint des niveaux tels que la Belgique, et en particulier Fedasil [3], ne pourraient plus les accueillir ? Serions-nous en train de vivre une invasion ?

Un réseau d’accueil saturé

Pour répondre à cette question, confrontons les dires des député-e-s aux statistiques officielles. Par le passé, la Belgique a reçu jusqu’à 42 691 demandes d’asiles par an, et la moyenne sur la période 1990-2009 s’élève à 18 423 demandes par an (graphique ci-contre).
En 2008, ce fameux été à partir duquel le réseau d’accueil des demandeurs d’asile n’a plus jamais cessé d’être saturé, la Belgique recevait 12 252 demandes. En 2009, elle en accueillait 17 186. Nous sommes bien en dessous des sommets historiques et sous la moyenne de la période (voir le graphique ci-contre). Si dans le passé, nous avons pu accueillir plus du double du nombre de candidats réfugié-e-s que celui que nous connaissons actuellement, pourquoi cela n’est-il plus possible aujourd’hui ? Dans tous les cas, une chose est sûre, au regard des chiffres, la Belgique ne connaît pas d’accroissement important du nombre de demandes d’asile.

Un engorgement créé de toutes pièces ?

Le budget octroyé par le gouvernement à Fedasil n’a cessé d’augmenter depuis 2002. Comment cela se fait-il alors que Fedasil souffre de saturation de sa capacité d’accueil ?
Cela peut s’expliquer par le fait que l’augmentation de budget est insuffisante au vu des nouvelles charges que la « loi accueil » du 12 janvier 2007 ont fait peser sur les épaules de Fedasil. Le CIRE/Vluchtelingenwerk Vlaanderen (2010) invoque un premier facteur explicatif : « Avant 2007, les demandeurs d’asile étaient pris en charge en aide matérielle uniquement durant la période de recevabilité de leur demande. La nouvelle “loi accueil” [de 2007] prévoit d’organiser cet accueil durant l’ensemble de la procédure d’asile. Avec comme conséquence, l’augmentation du nombre de places nécessaires dans les structures d’accueil. »

Ce facteur « budget » est aggravé par le fait qu’avant la « loi accueil » de 2007 et la nouvelle procédure d’asile simplifiée, les coûts étaient partagés entre Fedasil et les centres publics d’action sociale (CPAS). Les demandeurs d’asile pouvaient alors demander une aide financière auprès d’un CPAS(CGRA, 2010). À présent, les demandeurs d’asile reçoivent uniquement une aide matérielle octroyée par Fedasil, ce qui augmente la charge budgétaire pesant sur cet organisme.

Un deuxième facteur peut expliquer l’engorgement des centres. Alors qu’auparavant, les personnes en demande d’asile bénéficiaient d’un droit d’accès au marché du travail, ce droit leur a été retiré suite à la réforme de la procédure d’asile par la « loi accueil » du 12 janvier 2007. Les candidats réfugiés n’avaient dès lors d’autre choix que de rester en centre ouvert jusqu’à la décision finale sur leur dossier. L’engorgement des centres était donc tout à fait prévisible. À cela, ajoutons que la procédure est souvent (trop) longue, et que certaines personnes ayant reçu le statut de réfugié ont du mal à trouver un logement, ce qui les empêche de quitter le centre rapidement. Toutefois, cela devrait s’améliorer suite à un arrêté royal entré en vigueur le 12 janvier 2010, qui reconnaît le droit au travail aux demandeurs et demandeuses d’asile sous certaines conditions.

Fausse invasion, vraie réaction

Nous voyons donc que la crise de l’accueil ne peut pas s’expliquer par une invasion de demandeurs et demandeuses d’asile comme le suggéraient Sarah Smeyers (N-VA) et Guy Milcamps (PS). L’engorgement des centres n’a été généré que par une déstructuration de la politique d’accueil des réfugié-e-s.

Cet engorgement créé de toute pièce contribue à servir les intérêts des politiques qui veulent faire croire au mythe de l’invasion et de la crise de l’accueil. Le risque est alors de voir ce mythe justifier un durcissement des mesures politiques d’expulsion, ce qui ferait le jeu des partis qui surfent sur la vague de la peur de l’immigration.

En outre, pourquoi avoir remplacé l’aide financière par une aide matérielle en logement et nourriture ? Faut-il chercher l’explication dans un élan de générosité de la part de l’État belge ou bien dans la volonté de mieux contrôler les réfugié-e-s ? Les interventions du Secrétaire d’État à la Politique de migration et d’asile au parlement (Melchior Wathelet, CdH, parti centriste) plaident en faveur de cette deuxième hypothèse. En effet, à la lecture des questions parlementaires (Chambre des représentants de Belgique, 2010), il apparaît clairement que Monsieur Wathelet travaille à l’amélioration de la coopération entre l’office des étrangers et Fedasil en vue de rendre plus aisée la localisation et l’expulsion des demandeurs et demandeuses d’asile débouté-e-s (ou potentiellement déboutables).

N’y a-t-il pas là un conflit d’intérêt ? Comment Fedasil pourra assumer pleinement sa fonction d’aide et d’accueil aux candidat-e-s réfugié-e-s si elle doit en parallèle aider l’office des étrangers à mieux les expulser ?

Collectif de signataires de la CRER*

Coordination contre les Rafles, les Expulsions et pour la Régularisation

[1CIRE/Vluchtelingenwerk Vlaanderen, 2010. Les visages de la crise de l’accueil, www.crisedelaccueil.be

[2Chambre des représentants de Belgique, 2010. Compte rendu analytique. Commission de l’intérieur, des affaires générales et de la fonction publique, www.dekamer.be/

[3Fedasil, 2002-2009. Rapports annuels sur www.fedasil.be/fr/home/publications/

 
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