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Belgique : La rue gronde de nouveau




Face au gouvernement droitier et répressif et à une opposition socialo-libérale, le mouvement social belge a retrouvé la rue en cette fin d’année. Grèves spontanées chez les cheminots wallons en octobre, grande manifestation nationale des trois grands syndicats belges en novembre, grandes grèves hivernales en décembre... Les travailleurs et travailleuses belges grondent de plus en plus.

L’année s’achève et nous donne l’occasion de dresser un bilan. Qu’avons-nous donc vu ?
Nous avons vu notre pays, d’ordinaire si tranquille, vibrer réellement sur ses fondations. Côté pouvoir, une alliance de circonstance réunissant le patronat, ses suppôts politiciens et le mouvement national flamand est parvenue à mettre en place un gouvernement droitier et répressif comme on n’en avait plus connu depuis des décennies. Le temps des coalitions tripartites traditionnelles, regroupant sociaux-libéraux, démocrates-chrétiens et libéraux, est donc révolu. Depuis les bancs de l’opposition, le Parti Socialiste (PS) crie, à qui veut bien l’entendre, que la politique "Martens-Gol" est de retour ! Cette majorité, en place de 1981 à 1987, avait en effet réalisé la première grande vague de réformes néo-libérales en Belgique sur fond d’un essoufflement des mouvements sociaux.

Pourtant, ce nouveau gouvernement, dirigé officiellement par le premier-ministre-libéral-francophone Charles Michel et officieusement par le même-pas-ministre-nationaliste-flamand Bart De Wever, est un monstre bien plus repoussant. Il a prévu en effet de rattraper, et ce en quelques mois, le retard que la Belgique a pris dans la destruction de son État social et dans la néo-libéralisation de son économie, trop occupée qu’elle était à régler les problèmes communautaires en évoluant vers le fédéralisme d’État. Bart De Wever nous rejoue alors Thatcher en annonçant : «  il n’y a pas d’alternative à notre politique ».

Mais, face à ce pouvoir réactionnaire, nous avons aussi vu renaître le mouvement social belge. Ainsi, en octobre, des grèves spontanées éclatent chez les cheminots wallons. Immédiatement désavouées bien sûr par les hiérarchies syndicales elles donnaient pourtant le ton : les travailleurs et travailleuses grondent...
Le 6 novembre la grande manifestation nationale du front commun syndical (réunissant les trois grands syndicats belges), qu’on prévoyait d’une monotonie sans borne, se clôture par une émeute populaire. Dockers, métallurgistes, manifestants, radicaux, simples habitants des quartiers du centre de Bruxelles s’unissent et repoussent pendant des heures la police submergée ; on brûle une moto blanche et bleue, on déracine les panneaux et les pavés, le feu des cœurs débordent sur la voie publique. Le pays se réveille avec une terrible gueule de bois. Cela faisait des années que le décorum politique des partis et des parlements officiels n’avait pas été à ce point écorné. Les travailleurs et travailleuses ne grondent plus, ils et elles mordent vraiment.

Une grève générale paralysant le pays

Et puis, nous avons vu les grèves, les grandes grèves de l’hiver 2014. On les annonçait mort-nées. « La Flandre va gentiment continuer le travail », disaient les journaleux et autres plumitifs, voulant croire à l’image qu’on se fait du nord de notre pays, celle des flamands riches et de droite, prêts à sacrifier les wallons sur l’autel du profit. Sauf que non… les grèves tournantes se succèdent et parviennent à paralyser toutes les provinces du pays. La grève générale est vraiment générale et ce lundi 15 décembre c’est toute la Belgique qui est à l’arrêt. On ne compte plus les piquets qui hérissent les villes et les zonings, les écoles et les entreprises. La sacro-sainte idéologie du travail libéral, comprenez libéré des intérêts des travailleurs, est donc battue en brèche. Non, la Belgique tout entière ne laissera pas le gouvernement des droites s’attaquer aux conquêtes si chèrement acquises par le mouvement ouvrier sans réagir.

Bien sûr, nous avons vu la réaction et la contre-attaque immédiate de tous les chiens de garde du système. Les journaux et les télévisions ont craché leur fiel aux visages des grévistes «  fainéants, criminels, alcooliques, violents, inconscients, fascistes, etc. etc. ». Quand un JT, celui de la RTBF (télévision publique), ose traiter les grèves de manière relativement neutre, le pape belge du libéralisme, Alain Destexhe, monte au créneau et dénonce la politisation de la chaîne. Les libéraux francophones et la droite flamande hurlent au loup : « les méchants syndicats sont de mèche avec le PS ! ». Comme si les organisations patronales avaient oublié d’être de droite et de les soutenir, eux et leurs politiques antisociales.

Les toutous les mieux dressés ne sont pas toujours ceux qu’on croit. En effet, les premiers à s’effrayer de la réussite du mouvement social furent les hiérarchies syndicales. Partout, elles ont été dépassées par leurs bases. Elles voulaient de la modération, elles ont obtenu des émeutes, des piquets bloquants et une immense solidarité entre tous les grévistes, syndiqués ou non. Fortes de leur peur partagée avec le patronat – peur, reconnaissons-le, de voir l’économie et ses produits souffrir de l’indignation des travailleurs et des travailleuses – elles ont immédiatement conclu des « accords » ridicules. Ces derniers jours, les « partenaires » sociaux se sont réunis et privilégié la tactique de la patate chaude : au lieu de détruire l’État social aujourd’hui, elles ont convaincu les patrons de le faire dans deux ou trois ans. Splendide exemple de compromis (capitaliste) à la belge.

Le mouvement repartira-t-il de plus belle après les fêtes, en ce début d’année 2015 ? Difficile à dire. Les grands syndicats auront du mal à faire avaler à leurs membres, et même à quantité de leurs cadres, que les micro-concessions patronales constituent une victoire. Dans la majorité, le premier ministre Charles Michel risque, pour chaque miette qu’il concède, de voir Bart De Wever faire éclater le silence communautaire, et mettre sur la table une proposition de scission du pays. Pour les libéraux francophones, c’est la peste (maintenir le cap et risquer un bon vieux conflit social au finish) ou le choléra (reculer sur le socio-économique et ouvrir la porte à une crise gouvernementale sur la question de l’unité du pays).

L’espoir d’une grande action collective

Comment résumer ce que nous avons vu ? En un mot : espoir. Pas celui d’une société meilleure et d’une révolution à venir, certes pas encore, mais bien l’espoir que l’action collective, que l’expression de la colère populaire pouvait faire bouger des montagnes, celles de la bureaucratie, du patronat et de tout ses sous-fifres. Nous voilà visiblement sortis de cette période d’incertitude, cette période d’attente dans laquelle beaucoup trop de révolutionnaires se morfondaient. Le calme qui précède la tempête est rompu, la tempête est bien là.

Face à elle, nous nous dressons, gonflés par cette bouffée d’espoir. Sans doute notre première tâche sera de cultiver cette nouvelle culture de la révolte. Le gouvernement des droites, de par sa nature, va semer chez nous les graines de la colère et du ressentiment. Le compromis entre capitalistes et réformistes, ce compromis qui nous a coûté si cher, révèle aujourd’hui son vrai visage, celui d’une compromission à long terme, d’une bombe à retardement sociale. Voici la leçon du XXe siècle : le capitalisme ne se réforme pas, il ne se gouverne pas, il gouverne tout ! Rappelons nous en chaque instant que «  c’est reculer que d’être stationnaire » !

Les travailleurs et les travailleuses de notre pays commencent à entrevoir l’avenir qu’on leur réserve : l’appauvrissement, le travail jusqu’aux portes de la mort, l’effondrement de la solidarité sociale organisée, les arrestations politiques et arbitraires, les chevaux de frise et les matraques autour des organes « élus », les camps pour les étrangers et tous les indésirables, les proto-fascistes à la tête de l’État… Ces mêmes travailleurs et ces mêmes travailleuses retrouvent alors leurs moyens de défense naturels ; les grèves et les manifestations spontanées, la confrontation avec les milices du capital, le dépassement des hiérarchies syndicales, la solidarité et l’entraide.

Plusieurs questions s’ouvrent alors dans ce contexte : comment radicaliser ces travailleurs et ces travailleuses auxquels fut inculqué, chaque jour qui passe, que la radicalité est l’expression même du mal ? Comment étendre l’incendie social aux petites et moyennes entreprises où la grève et la révolte sont des facteurs de licenciement immédiat ? Comment raccrocher les luttes belges à celles de tous ceux qui souffrent en Europe et dans le monde des mêmes maux capitalistes ? Énoncer ces questions là c’est faire la preuve que ces ambitieux projets nous paraissent réalisables. À nous de les concrétiser, et de donner à la solution révolutionnaire la place qu’elle mérite au temps du capitalisme triomphant, du capitalisme branlant.

 
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