Brésil : Contre la criminalisation de l’avortement, légalisation !




Fin 2015, le Brésil a connu un important mouvement féministe suite à une proposition de loi visant à restreindre encore plus le recours à l’avortement et à la contraception d’urgence. Face aux attaques des conservateurs et de leurs Églises, les Brésiliennes ont démontré qu’elles n’entendent pas les laisser décider.

La question de l’avortement au Brésil est depuis très longtemps discutée, tant par les mouvements féministes que par la frange conservatrice du pays. En effet, l’avortement est encore largement perçu par la majorité des brésiliennes et brésiliens comme un crime, ce que confirme le code pénal qui stipule que « toute personne se faisant avorter par ses propres moyens ou autorisant une autre personne à l’aider est susceptible de recevoir une peine de détention de trois ans ». Toutefois, l’avortement au Brésil était jusque-là légal lorsqu’il était pratiqué par un médecin dans les trois situations suivantes : si la grossesse comporte un risque pour la vie de la mère, lorsque la grossesse est le résultat d’un viol et lorsque le fœtus est porteur de l’anencéphalie (absence partielle ou complète du cerveau, du crâne et du cuir chevelu). C’est uniquement dans ces cas que le gouvernement brésilien offre gratuitement ce service via le SUS – système unique de santé.

D’autre part, l’avortement n’est pas criminalisé lorsqu’il est réalisé en dehors du territoire national. Il est aussi possible d’avoir recours à un avortement dans des cliniques privées, mais là aussi pouvoir choisir a un prix : environ cinq salaires minimum. Autant dire que seules les femmes riches peuvent se payer le luxe d’avorter sans risquer leur vie. Un projet de loi (1135) avait bien été proposé en 1991 par deux député-e-s du Parti des travailleurs (PT, le parti au pouvoir) et visait à légaliser l’avortement. Celui-ci n’a pourtant été voté qu’en mai 2008 par la Chambre des députés ! Avant d’être rejeté par la commission de citoyenneté et justice qui s’est prononcée à 57 votes contre et 4 pour.

La question de la légalisation de l’avortement est depuis passée aux oubliettes… Pourtant, en 2013, ce sont environ 865 000 femmes qui ont eu recours illégalement à l’avortement au Brésil, dans des conditions plus que précaires, dont les conséquences sur leur santé sont irrémédiables. En effet, environ 205 000 d’entre elles ont du se faire hospitaliser du fait de complications postavortement. Pour d’autres c’est la mort : une B­résilienne meurt tous les deux jours suite à un avortement clandestin. D’autre part, la déscolarisation d’une grande partie de la population ainsi que le manque d’information et d’accès aux méthodes contraceptives augmente considérablement le nombre de grossesses non désirées. Ici encore ce sont les femmes les plus pauvres, dont la majorité sont des femmes noires, qui pâtissent de ce manque d’accès à la contraception et doivent donc avoir recours à l’avortement clandestin, en mettant leurs vies en danger pour ne pas avoir des enfants qu’elles n’ont pas les moyens d’élever.

Poussée réactionnaire

Le rôle des Églises et des différents courants religieux présents au Brésil, en particulier les néopentecôtistes n’est pas à négliger. En effet, ceux-ci sont très présents sur l’ensemble du territoire, y compris dans les quartiers populaires et déversent leur nauséabonde propagande antiavortement et antiféministe. L’avortement est ainsi vu principalement comme un débat religieux au sein de la société. Récemment renforcés par les manifestations de l’opposition de droite et conservatrice contre le gouvernement de Dilma Rousseff, lui-même embourbé dans des scandales de corruption et des conflits sociaux, certains députés réactionnaires ont décidé de porter un grand coup à la législation sur l’avortement.

En effet, le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, un évangélique appartenant à une église pentecôtiste, vient de faire passer une loi (5069) qui vise d’une part à limiter l’avortement en cas de viol, notamment en demandant aux femmes de prouver qu’elles ont été violées en portant plainte et en se soumettant à un examen médical, susceptible d’apporter « la preuve » du viol… autant dire qu’il s’agit d’interdire tout bonnement l’avortement en cas de viol, puisque combien de femmes feront cette démarche ? Qu’en est-il des viols conjugaux ? Combien de femmes seront considérées comme effectivement violées par des médecins dont beaucoup sont contre l’avortement ? Selon l’Institut de bioéthique, droits de l’homme et genre, 36 % des femmes qui ont recours à l’avortement légal sont des enfants et des jeunes filles qui ont subi des violences sexuelles, souvent dans leur entourage proche, comme c’est généralement le cas pour les viols.

Comme si cela ne suffisait pas, la loi antiavortement prévoit également de relever les peines concernant le recours et l’aide à l’avortement (entre 4 et 8 ans et pour les professionnel-le-s 5 à 10 ans de prison, peines qui peuvent être augmentées d’un tiers si la femme qui avorte est mineure) ainsi que d’interdire la pilule du lendemain. De quoi les femmes doivent-elles donc se justifier ? D’avoir le droit de décider ? Que leur corps leur appartient ?

 Printemps féministe

C’est avec colère et rage que les Brésiliennes sont sorties dans la rue pour protester contre une énième attaque qui leur est faite. En fin d’année dernière, elles ont été des centaines à marcher aux côté des groupes féministes, des associations et organisations du mouvement social, dans les grandes villes telles que Rio de Janeiro, Sao Paulo, Belo Horizonte, ainsi que dans vingt États du pays. Elles demandent la légalisation de l’avortement et que l’on arrête de légiférer sur leur utérus. Qu’elles aient été violées ou non, elles ont le droit de choisir si elles veulent être mères ou pas. Aux cris de « Dehors Cunha », ou de « Legalize ! O corpo é nosso ! É nossa escolha ! É pela vida das mulheres ! », les Brésiliennes ont su démontrer au fil des marches et des actions qu’elles ne se laisseraient pas faire. À tel point que certains journaux n’ont pas hésité à surnommer le mouvement le Printemps féministe. Il faut dire que depuis l’énorme mouvement de 2013 contre la hausse du prix des transports et contre le nettoyage social engendré par la Coupe du monde, le mouvement social brésilien a peiné à retrouver une dynamique digne de ce nom.

Ces manifestations féministes montrent un retour de la combativité, même si les réacs sont durs à cuire… La loi de Cunha est passée, mais le combat féministe ne s’arrête pas là et la résistance s’organise au quotidien, pour que les femmes continuent d’avoir le choix, en prenant le minimum de risques.

Des militantes anarchistes de Rio de Janeiro et de la commission internationale d’AL

 
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