Chasse : Entre pratique rétrograde et institutions laxistes

Le 17 mai, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) appelle ses membres à faire le tour des mairies pour défendre un « Manifeste de la chasse française ». Un texte truffé de revendications rétrogrades, qui tente de faire passer une activité minoritaire, cruelle et dangereuse pour un pilier d’intérêt général.
Avec en ligne de mire les élections municipales de 2026, la FNC cherche à séduire les maires pour continuer à imposer sa vision d’un monde rural régi par les fusils. Mais derrière les grands mots se cache une tentative de conserver à tout prix un loisir en perte de légitimité et en total décalage avec les enjeux écologiques contemporains. Passons leurs onze revendications au crible, regroupées par thématiques.
Autoritarisme rural et fantasme sécuritaire
Revendication n° 6 : « animation d’une police de proximité rurale par les fédérations des chasseurs »
C’est une tentative de prise de pouvoir sécuritaire. Ce serait confier à une corporation armée des fonctions de contrôle social sur les territoires, sans légitimité démocratique. Un mélange explosif de pouvoir privé et de police. L’extension de la sécurité privée dans les zones rurales, comme envisagée par des projets en France, rappelle aussi des dérives observées ailleurs, notamment en Afrique où des « rangers » privés assurent la sécurité des parcs nationaux. Confier des fonctions de maintien de l’ordre à des groupes comme les fédérations de chasseurs pourrait entraîner une militarisation des territoires ruraux. Ce modèle, déjà observé sous forme de milices privées ou de paramilitaires, au Vénézuela, en Colombie ou aux États-Unis, soulève des inquiétudes quant aux abus de pouvoir, à l’absence de contrôle démocratique et au renforcement de la violence sociale dans des zones éloignées du pouvoir central.
Revendication n° 2 : « arrêt du paiement des dégâts de grand gibier par les seuls chasseurs »
Il s’agit des dégâts occasionnés aux cultures par le « grand gibier » : le cerf élaphe, le mouflon, le chevreuil, le chamois, et le fameux sanglier, dont les chasseurs sont responsables de la prolifération depuis les années 70 : ils les ont élevés, ont fait disparaitre leurs prédateurs, et les agrainent (il mettent du grain dans la forêt pour les nourrir). Et quand ces sangliers s’attaquent aux cultures, et qu’on demande aux chasseurs de participer aux dégâts commis, ils s’indignent. C’est une logique de pompier pyromane : ils détruisent des équilibres écologiques, puis demandent qu’on socialise les coûts. Et en fait, c’est déjà le cas ! Un accord a été signé entre l’État, les chasseurs et les représentants agricoles lors du Salon international de l’agriculture à Paris. L’État a alloué 80 millions d’euros pour soutenir les fédérations départementales des chasseurs dans leurs efforts d’indemnisation des agriculteurs touchés...

Chasse : loisir privé, privilège public
Revendication n° 1 : « reconnaissance d’intérêt général de la chasse française et inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco »
La chasse industrielle et les pratiques de loisir attaquent le vivant et détruisent la biodiversité. Ce n’est pas un patrimoine, c’est une domination. L’« intérêt général » n’a rien à voir avec des intérêts corporatistes qui défendent un droit à tuer comme tradition culturelle. L’argument du service rendu de la régulation ne tient pas 30 secondes face à une analyse sérieuse : la France élève chaque année des dizaines de millions d’oiseaux pour le tir selon le Syndicat national des producteurs de gibiers de chasse (SNPGC). Environ 14 millions de faisans et 5 millions de perdrix sont « produits » annuellement pour la chasse [1]. Ces animaux d’élevages sont lâchés massivement dans la nature (notamment chaque week-end de septembre à novembre) pour être chassés, ce qui fait de la France un leader européen du gibier d’élevage.
Revendication n° 11 : « liberté de continuer à chasser les week-ends, vacances et jours fériés »
En France les chasseurs disposent déjà, selon certains arrêtés départementaux, du droit à chasser tous les jours, ce qui n’est pas le cas dans le reste des pays européens. Cette flexibilité fait dire aux observateurs que « la France détient le record européen de la plus longue période de chasse ». Dans la plupart des autres pays européens en revanche, la chasse dominicale est interdite ou très encadrée, et les saisons sont généralement plus courtes et moins modulables. 80 % des Français et Françaises réclament l’arrêt de la chasse le dimanche. Ce que les chasseurs appellent une liberté, c’est une privatisation armée des campagnes au détriment de tous les autres usagers et usagères (promeneurs et promeneuses, familles, naturalistes…) : selon un sondage Ipsos de 2023, 89 % des Français et Françaises rapportent ne pas être tranquilles à l’idée de se balader en forêt, à cause des accidents de chasse, et ce chiffre ne fait qu’augmenter d’année en année, y compris dans les zones rurales.

Revendication n° 8 : « permission aux chasseurs de céder leur gibier sans contrainte réglementaire disproportionnée »
La réglementation est là pour garantir la sécurité alimentaire et la traçabilité sanitaire. Supprimer ça, c’est ouvrir la porte à un marché de la viande sauvage totalement opaque et risqué.
Une écologie à leur sauce : falsifications et prédation
Revendication n° 3 : « refus de l’interdiction du plomb dans les munitions de chasse »
Le plomb est un poison environnemental majeur, qui contamine les sols, les eaux, et les chaînes alimentaires [2]. La Commission européenne a proposé de modifier la réglementation sur les munitions de chasse et le matériel de pêche pour limiter les risques de saturnisme, une intoxication au plomb, chez les chasseurs et leurs familles. Selon l’Agence européenne des produits chimiques, environ 13,8 millions de personnes, dont 1,1 million d’enfants, sont exposées au plomb provenant de la viande de gibier [3]. Une étude en Camargue a montré que malgré l’interdiction du plomb depuis 2006, l’empoisonnement des oiseaux d’eau persiste, mettant en danger toute la chaîne alimentaire, y compris les humains [4]. Défendre le plomb, c’est défendre l’empoisonnement des écosystèmes au nom du confort balistique. C’est irresponsable !
Revendication n° 4 : « suppression de tous les moratoires européens et maintien de toutes les espèces chassables »
La France possède l’une des listes les plus longues d’espèces chassables en Europe. Selon les experts, « le pays compte 89 espèces chassables » en 2024 (dont 28 espèces en mauvais état de conservation selon l’UICN [5]). La biodiversité s’effondre, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme [6]. Vouloir continuer à tuer sans limites, c’est du négationnisme écologique. Ces moratoires sont des freins minimes à une prédation déjà massive [7].
Revendication n° 9 : « réduction significative des populations de loup »
Le loup est un régulateur naturel. Le problème du pastoralisme vient surtout de l’agro-industrie et de l’abandon des petits éleveurs [8]. Tuer le loup, c’est faire porter la faute à la nature pour des problèmes créés par l’agriculture capitaliste.
Revendication n° 10 : « retour à la liste complète des “nuisibles” et maintien du piégeage et du déterrage »
Le terme de « nuisible » est un pur produit de la pensée utilitariste. Toutes les espèces ont une place écologique. Les corbeaux et corneilles, souvent considérés comme nuisibles, jouent en réalité un rôle écologique crucial. En tant que charognards, ils participent à l’élimination des cadavres d’animaux, prévenant ainsi la propagation de maladies et contaminations dans les cultures et la nourriture du bétail [9]. Leur action est particulièrement bénéfique dans l’agriculture, où elles réduisent les populations de rongeurs et d’insectes nuisibles, notamment les vers blancs, qui peuvent détruire les récoltes. De plus, elles contribuent à la dissémination des graines, facilitant le repeuplement des espèces végétales [10]. Plusieurs initiatives en France, comme celles de la ville de Rochefort et de Saintes, montrent qu’il est possible de concilier la présence des corvidés avec les intérêts humains, en optant pour des méthodes de gestion respectueuses telles que l’effarouchement plutôt que l’abattage.
Quant au piégeage et au déterrage : il s’agit de pratiques barbares et dépassées, basées sur une logique de contrôle total du vivant. La France reste l’un des derniers pays européens à permettre la chasse par déterrage, ou vénerie sous terre, une méthode particulièrement cruelle et non sélective [11]. Elle consiste à envoyer de petits chiens dans les terriers de blaireaux pour les traquer, à creuser la terre pendant plusieurs heures, puis à extraire les animaux à l’aide de pinces avant de les abattre. Selon un sondage Ipsos réalisé en 2023 pour One Voice, 84 % des Français et Françaises se prononcent en faveur de l’interdiction du déterrage, indépendamment de l’espèce concernée, un pourcentage stable depuis 2018. Le piégeage consiste à attraper avec des dispositifs propres à l’espèce visée des animaux pour qu’ils soient ensuite abattus par les chasseurs, ou bien laisser agoniser parfois des jours durant, à moins qu’ils s’en réchappent, mutilés. Ces pièges attrapent indistinctement animaux sauvages et domestiques.
Une brutalité maquillée en folklore
Revendication n° 5 : « reconnaissance de la légitimité de toutes les chasses traditionnelles »
Ce n’est pas parce qu’une pratique est ancienne qu’elle est acceptable. L’excision aussi est « traditionnelle ». La capture d’oiseaux à la glu, au filet, ou au piège, c’est de la souffrance gratuite, pas du patrimoine. Derrière le mot « tradition », on camoufle des pratiques brutales, non sélectives, et interdites dans la plupart des pays européens. Ce que les chasseurs appellent « culture », c’est souvent juste une violence ritualisée.
Revendication n° 7 : « création d’un fonds dédié aux fédérations pour financer des actions de réaménagement environnemental »
Ces « aménagements » sont souvent orientés vers une action de chasse, pas une intervention écologique : on crée des haies pour élever du gibier, pas pour la biodiversité. Le vivant n’est pas un terrain de jeu à subventionner pour mieux le tuer. Par ailleurs, la Cour des comptes rapportait en 2023 que les fonds alloués sont utilisés dans la plus grande opacité et réclamait des éclaircissements [12].
De toute façon, le mythe du « bon chasseur » qui aime les fleurs et connaît la forêt par coeur a bon dos : en novembre 2021, sur le plateau de RMC (« Les Grandes Gueules »), le président de la FNC Willy Schraen a explicité sa vision de la chasse. Interrogé sur la régulation des espèces, il a répondu sans détour : « Mon métier, ce n’est pas d’être chasseur. J’en ai rien à foutre de réguler… ». Dans le contexte de cette intervention, il affirmait que les chasseurs chassent avant tout pour le « plaisir » et non comme « petites mains de la régulation ». Tout est dit !
Face à des « attaques injustifiées » de « technocrates » ou d’« écolos dogmatiques », selon ses termes, la FNC se pose en victime pour mieux faire pression sur les élus locaux. Mais derrière ce plaidoyer corporatiste, c’est tout un modèle dépassé qui s’accroche au passé. Nous voulons une nature vivante, respectée, partagée. Pas un terrain de jeu dominé par une minorité armée. Si nous voulons vraiment préserver l’environnement, il est impératif de remettre en question un modèle capitaliste et productiviste qui pille la terre, ses ressources et ses animaux. Il est plus que temps d’œuvrer pour un autre modèle, une vraie cohabitation respectueuse du vivant, et une nature retrouvée dans sa pleine biodiversité.
Nasham (UCL Montreuil)