Classique de la subversion : Pouy, « La petite écuyère a cafté »




Chaque mois, un livre qui a compté dans l’histoire des idées subversives

Le premier Poulpe est l’œuvre d’un orfèvre. Dès les premières pages de cet opus inaugural, les habitués de Pouy se régalent : il ne faut pas deux pages pour qu’un train et Jeanne d’Arc fassent leur apparition. Puis deux cadavres. Lorsque le Poulpe entre en scène, c’est au café, et les répliques, cinglantes, mettent en bouche tout libertaire qui se respecte : au « CNT-FAI » braillé par Gabriel répond un « CNPF-RATP » provocateur de Gérard. C’est clair, le Poulpe s’adresse au lecteur armé de références rouge et noir.

Mais le bouquin n’est pas qu’un condensé de clins d’œil pour gauchistes. Si certains de ses détracteurs ont voulu réduire la collection à cet aspect, ils oublient un peu vite que les lettres de noblesses du polar en tant que genre littéraire se sont gagnées à la marge. Prétendument facile à lire, la littérature noire et populaire est en fait bardée de codes qui la dépareillent de la littérature blanche, dite « de qualité ». C’est code contre code, comme on dirait classe contre classe. Si le (premier) Poulpe de Pouy joue sur les références militantes explicites, et plus particulièrement libertaires, il le fait, d’abord avec talent, mais il ne fait pas que ça. C’est aussi un bon polar, un de ceux qui font œuvre (socialement utile) d’instantané de leur époque, où les modes, les habitudes qui innervent la vie de ses contemporains sont intégrées à la fiction. Un bon roman qui construit patiemment une intrigue de qualité et un dénouement sans complaisance. Plus encore, c’est un polar éthique, qui invente un personnage, le Poulpe, rechignant à la violence gratuite, ne l’utilisant que lorsqu’elle est nécessaire. Un personnage qui est alors une marge de liberté, tant pour le lecteur que pour la fiction. Cela fait de La petite écuyère a cafté une franche réussite qui lui donne sa place parmi nos classiques de la subversion.

Théo Rival (AL Orléans)

  • Jean-Bernard Pouy, La petite écuyère a cafté, 1996, Editions Baleine, 158 pages, 5,65 euros
 
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