Classiques de la subversion : Beauvoir, « Le deuxième sexe »




Ouvrage fondateur pour le féminisme contemporain et notamment le féminisme matérialiste dont AL se revendique, Le Deuxième Sexe se présente comme une somme : la philosophe Simone de Beauvoir y développe comment « on devient » une femme et interroge ainsi l’identité féminine. Le premier tome analyse l’origine de la domination des femmes par les hommes en examinant différents points de vue que sont la biologie, la psychanalyse ou le matérialisme historique. Les connaissances présentées sur l’anatomie des femmes font partie des premières appropriations par les femmes du savoir sur leur propre corps, que l’on retrouve plus tard dans Notre corps, nous-mêmes, rédigé collectivement par des Américaines dans les années 1970. L’auteure revisite ensuite l’histoire humaine et les innombrables mythes – en particulier religieux – qui ont donné une assise redoutable à l’essentialisation de l’infériorité féminine.

Le deuxième tome s’ouvre sur un passage devenu célèbre : « On ne naît pas femme, on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre. En tant qu’il existe pour soi l’enfant ne saurait se saisir comme sexuellement différencié. » S’inscrivant dans la philosophie existentialiste, Simone de Beauvoir révolutionne l’approche de la catégorie « femme » en montrant qu’elle est construite et relative et qu’elle représente une figure de l’altérité. Ce tome présente en détail comment on conditionne les êtres humains femelles à devenir des femmes, donc à occuper une place sociale assignée et dominée.

En déconstruisant la catégorie de « femme », l’ouvrage donne aussi des éléments pour appréhender le caractère construit, culturel et contingent de l’hétérosexualité. Simone de Beauvoir, elle-même bisexuelle, présente ainsi le lesbianisme comme l’une des trajectoires possibles pour une femme, tout en n’évitant pas une hiérarchisation entre hétérosexualité et homosexualité. Cela a malgré tout contribué à faire scandale avec la critique du mariage et de la maternité comme une aliénation, ou la promotion de l’avortement… à tel point que le livre a été mis à l’Index par le Vatican !

Le Deuxième Sexe pose les premiers jalons d’une analyse matérialiste de la domination de genre en mettant en avant les positions sociales confisquées par les hommes, la dépendance des femmes (qu’elle soit légale ou entretenue psychologiquement dès le plus jeune âge) ou encore le travail domestique (dont la charge des enfants). Un classique historique qui donne donc des clés pour déconstruire le système de genre et lutter contre le patriarcat.

Anne Arden (AL Paris Nord-Est)

 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, 1949. 663 pages, réédité en Folio en 1986

 
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