Confédération paysanne : « La répression est la dernière arme d’un pouvoir illégitime »




C’est devenu une tradition. Lors de chaque stage d’été d’Alternative libertaire, nous organisons un débat avec nos ami(e)s de la Confédération paysanne sur les luttes paysannes. Comme l’an dernier, ce sont Jean-Marie Roux et Jean-Émile Sanchez qui ont participé à la discussion. Tous les deux sont éleveurs de brebis et militants de la Confédération paysanne de l’Aveyron. Jean-Émile a été porte-parole national de la Confédération paysanne jusqu’au dernier congrès national de cette organisation.

En prenant la parole, Jean-Émile Sanchez a tenu à remercier Alternative libertaire d’avoir invité des militants de la Confédération paysanne à sa semaine d’été et a souligné le fait que "nos analyses et nos pratiques respectives ont souvent les mêmes moyens".

Il estime que la Confédération paysanne (CP) est "un syndicalisme de paysans et le restera, une démarche qui s’inscrit dans une stratégie globale". La CP s’efforce de partager cette réflexion avec les associations, les syndicats et les mouvements sociaux. Il s’est dit par ailleurs convaincu que le syndicalisme qu’incarne la CP peut jouer un rôle actif dans l’élaboration d’un projet de société, tâche qui n’est pas l’apanage des partis politiques. Un message très clair à l’attention de ceux et celles qui voudrait faire des mouvements sociaux l’aile marchante d’une recomposition politique dont le point d’orgue serait en 2007 l’élection présidentielle.

Aux luttes l’État répond depuis des années par des procès. Les procédures témoignent du refus du pouvoir politique et économique de reconnaître le droit à un revenu des paysans à partir de leur travail et non d’une politique agricole.

La Politique agricole commune européenne (PAC) a instauré un système de dépendance, puisque les paysan(ne)s dépendent avant tout de la manne financière de l’Union européenne.

À l’origine la PAC s’est fixée trois objectifs :

 l’autonomie alimentaire de l’Europe ;

 amener le paysan au même niveau que les autres catégories sociales ;

 répartir harmonieusement le nombre de paysan(ne) en Europe.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a pris la suite du GATT en 1994 a consacré l’intégration de l’agriculture au commerce mondial.

Aujourd’hui 90 % des produits agricoles européens sont consommés dans l’Europe des 25. Au nom des 10 % qui sont exportés en dehors de l’Europe, on fixe les prix sur 100 % de la production.

Pour le droit à un revenu décent

En 1992, la réforme de la PAC a débouché sur une baisse des prix à la production afin d’accéder au marché mondial. La baisse a été compensée par des subventions.

En conclusion, pour la CP, si le premier objectif de la PAC a été largement atteint, les deux autres l’ont été par le bas.

Cette politique s’est en effet traduite par la dégradation du revenu paysan, alors que dans le même temps le pouvoir d’achat des salarié(e)s était attaqué. Cela implique donc la nécessité de mener une réflexion commune entre paysan-ne-s et salarié(e)s, ce que la CP s’efforce de faire depuis sa création.

Il existe un déséquilibre entre les agricultures des pays du Nord et celles des pays du Sud. Pour réguler cela, les pays riches distribuent des aides à l’exportation.

Cela touche pour l’UE 10 % du marché de dégagement des surplus.

Par cette politique, on aboutit à une mise en concurrence des paysan(ne)s du monde entier.

Les marchandises arrivent à des coûts de production plus bas que celles des paysan(ne)s africain(e)s. Cette déstabilisation s’ajoute à celle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. La consigne que ces derniers leur donnent est : “ Faites des cultures d’exportation ! ” comme le soja.

De fait 70 % de la population de ces pays vivant sous le seuil de pauvreté est composée de paysan-ne-s. Cela signifie que ces producteurs-trices sont incapables de produire des biens alimentaires pour eux/elles-mêmes et pour dégager un revenu.

Avec les cultures d’exportation, les multinationales qui opèrent en Afrique et dans d’autres pays du Sud demandent la baisse des tarifs douaniers en Europe pour renflouer leurs actionnaires. De telles exigences vont à l’encontre du principe de souveraineté alimentaire.

C’est ce que l’on voit avec le soja produit pour alimenter les cochons en Europe, un soja génétiquement modifié, conformément à la politique des multinationales.

Le plus gros producteur de poulets Doux délocalise sa production au Brésil et renvoie ses poulets en France. Quand ça va mal en France, de son fait, il récupère des aides françaises et européennes.

Lorsque l’Union européenne est passée à 25 en 2004, elle comptait 10 millions de paysans de plus qu’auparavant. Les eurocrates ont décidé que 50 % devraient disparaître, essentiellement les paysan-ne-s possédant de petites exploitations. Ainsi la plupart des paysan(ne)s polonais-es possédant des exploitations inférieures ou égales à 4 hectares ont dû mettre la clef sous la porte et nombre d’entre eux/elles sont allé(e)s louer leurs bras en Andalousie.

La Confédération paysanne estime avoir une responsabilité vis-à-vis de ces personnes qui ont droit à un revenu décent comme l’ensemble des paysan(ne)s de cette planète.

L’UE et en son sein les pays les plus riches agissent avec rapacité dans les nouveaux pays membres.

En Roumanie, une succursale de l’Agence nationale de développement agricole a liquidé 90 % des petites fermes. Le rachat des lopins en Pologne et en Roumanie par les multinationales fait fondre leur nombre.

En France, ce sont 20 000 à 30 000 exploitations qui disparaissent chaque année.

L’Aveyron comptait 15 000 exploitations en 1980, il y en a moins de 9 000 en 2006 avec tout ce que cela implique en terme de services publics et de désertification économique et sociale.

Le droit à un revenu est la revendication principale de la Confédération paysanne. Selon elle, les paysan-ne-s ont un devoir : produire de la nourriture, mais cela ne peut se faire à n’importe quel prix.

En 2004-2005, la CP a mené des actions syndicales pour dénoncer la baisse du prix du lait. Celle-ci a constitué un manque à gagner pour chaque éleveur de près d’un mois de revenu, soit très exactement 27 jours de lait non payés. Cela constitue près d’un mois de salaire d’un(e) travailleur(se).

Ces actions ont abouti à une dizaine d’opérations de réappropriation symbolique. Ce lait non payé, la CP l’a repris pour le redistribuer dans des quartiers précarisés.

Pénalisation de l’action syndicale

Chez Danone dans le département de l’Isère, "nous avons récupéré 2 tonnes de produits (yaourts, fromages blancs…) que nous avons redistribués dans la banlieue lyonnaise dans la cité des Minguettes avec l’association Droit de cité. Danone a porté plainte", précise Jean-Émile Sanchez.

Un procès doit se tenir le 27 octobre à Vienne. Jean-Émile Sanchez est le seul appelé à comparaître. Une autre action de redistribution a été menée à Rodez dans le Quartier Saint-Eloi.

Danone a porté plainte contre une action syndicale. Lors du procès en premier instance qui s’est tenu à Rodez, une peine de prison a été requise contre Jean-Émile Sanchez. Le procureur de Montpellier avait alors lui-même préconisé des peines de prison pour mettre un terme à ce type d’action.

En appel à Montpellier, Jean-Émile Sanchez a écopé de 3 000 euros d’amendes et les 16 autres prévenus ont pris entre 150 et 500 euros d’amendes.

La CP a par ailleurs menacé Besnier d’autres saisies. À suivre donc.

Mais pour l’État français, il y a deux poids et deux mesures. Ainsi il a payé une amende de 6 millions d’euros pour la destruction de tonnes de viandes par la FNSEA et le CNJA.

C’est l’épreuve de force entre la CP et Lactalis, puisque le syndicat a déclaré que les camions de cette firme ne rouleraient pas si elle ne retirait pas sa plainte. Ces propos ont donné lieu à une plainte pour citation directe. Le parquet a requis, attaquant le droit de manifester.

Dans une autre affaire, la CP a déposé devant la préfecture de l’Aveyron à Rodez des semences contaminées par du régent un produit qui décime les abeilles et qui a été interdit par le ministère de l’agriculture suite aux mobilisations des apiculteurs-trices. Cette interdiction a toutefois été assortie d’une autorisation d’écouler les stocks de régent. Une action de la CP à la Direction générale de l’alimentation (DGA) a permis de mettre la main sur une lettre circulaire estimant qu’il valait mieux avoir à indemniser les victimes du régent plutôt que les industriels qui le fabriquent et qui souhaitent écouler leurs derniers stocks.

Face à une telle politique, il n’y a qu’une action possible : la destruction. Deux poids et deux mesures, c’est la règle de la politique agricole. Ainsi, alors que la vente à perte est interdite pour le commerce de distribution, cela ne vaut pas pour les paysan(ne)s.

Répression des luttes

Les émeutes de novembre 2005 et la mobilisation contre le CPE se sont traduites par une amplification de la répression.

De ce côté-là, la FNSEA n’a pas de problème. Lors de la dernière action d’éclat de son comité d’action viticole, un de ses membres a été mis en examen et jugé pour détention d’arme à feu. Il a pris un mois de prison avec sursis.

À Montpellier, un étudiant qui est tombé pour jet de canette sur les forces de l’ordre a pris deux mois de prison ferme.

En 1999, le démontage du McDo de Millau a permis à la CP de sortir de l’anonymat. Cette action a permis de mettre au jour comment est organisé ce monde.

La CP est engagée dans la construction de combats communs de solidarité : "Rien ne peut faire plus peur à un pouvoir que de voir débattre et agir ensemble en dehors de toute démarche institutionnelle paysan(ne)s, intermittent(e)s et lycéen(ne)s", assure Jean-Émile Sanchez. "En revanche du côté des comités d’action viticole, c’est la réflexion zéro. Agrandir ses surfaces et éliminer ses voisins, ils ne connaissent que cela. Cette dépolitisation se traduit par un glissement progressif vers l’extrême droite. La CP veut poser des questions et amener des solutions. La répression est inacceptable. Du reste, elle traduit un signe de faiblesse du pouvoir."

"La situation de nombre de paysannes et de paysans est déplorable", rappelle Jean-Marie Roux. Et de citer l’exemple de paysan-ne-s condamnés… à l’aide alimentaire. Ainsi, en Lozère, à Saint-Chély-d’Apcher, 40 % des usager(e)s des Restos du cœur sont des paysans !!

Le pouvoir tape parce qu’il n’est pas légitime et entend écraser des actions populaires et légitimes.

Le débat s’est ensuite engagé sur la question de la répression.

Un camarade d’AL estime que la forte répression qui frappe les mouvements sociaux rend leur stratégie d’action délicate.

Pour Jean-Émile Sanchez, la plus grande répression, c’est la précarisation de la vie des gens. Il n’y a pas de situation économique confortable, alors on hésite à bouger par crainte de la répression et de peur de perdre son travail. C’est un fait nouveau.

Les classes moyennes voient baisser leur pouvoir d’achat. La précarisation soumet. Si on se révolte, on vous fait plonger encore plus.

Pour un autre camarade. Il faut se demander s’il n’y a pas "une usure militante dans le syndicalisme dont la crédibilité est indissociable de l’efficacité de ses actions".

Nous avons un mouvement social riche qui fait beaucoup de choses. Mais il a une grande difficulté à réagir en mobilisant.

"Pour autant, nous ne renoncerons jamais à mener nos action", avertit Jean-Émile Sanchez à qui veut l’entendre.

Pour Jean-Émile, il faut rechercher l’articulation entre les villes et les campagnes. La CP est porteuse d’une réflexion globale qui va au-delà du combat syndical corporatif. C’est ainsi que la CP a été engagée dans les mobilisations de 2003 pour la défense des retraites et dans le mouvement contre le CPE. "La victoire contre le CPE a fait du bien après des années d’échecs et d’amertume engendrée par cela."

"José candidat, ça plombe le mouvemen social"

Il y a aujourd’hui une avancée de la réflexion globale. Mais cela ne doit pas se traduire par une perspective présidentielle, "la pire des choses". "Ce mouvement que nous avons et pas qu’il [José Bové] a construit, c’est notre force pour peser contre les institutions. Ce combat institutionnel n’est pas le nôtre. Notre force est dans le contre-pouvoir permanent. Ce dernier n’est pas la logique de la FNSEA qui n’est pas un contre-pouvoir. Nous voulons pousser les gouvernements à prendre des décisions sous peine d’être délégitimé. José Bové, candidat, ça plombe le mouvement social. De même les partis institutionnels de gauche et la plupart des syndicats ont fait le choix de freiner l’action collective en estimant que sans le pouvoir institutionnel, il n’y a pas de débouché politique qui n’est du reste qu’une parcelle du pouvoir dont l’essentiel est détenu par le capital."

La discussion porte ensuite sur les élections aux chambres d’agriculture qui se tiendront le 31 janvier 2007. À l’issue de celles de 2001, trois organisations ont été déclarées représentatives : la FNSEA, la Confédération paysanne et la Coordination rurale (CR, extrême droite).

La CR tient un discours très populiste contre l’administration, la paperasse, les contrôles. Elle a mené une action en justice contre la FNSEA pour détournement de fonds publics et elle va exploiter cela aux élections. La FNSEA risque de passer sous la barre des 50 %. À part cela, la Coordination rurale défend une ligne ultralibérale pour la concentration et contre l’installation de nouveaux/lles paysan(ne)s. Elle devrait pouvoir présenter en 2007 des listes dans tous les départements.

Que pense la CP des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) ? Pour les camarades de la CP, les AMAP vont à l’encontre de cette logique qui veut que le/la paysan(ne) ne décide plus. C’est une façon de montrer qu’on peut créer des liens entre activités de production et de consommation.

Mais l’action des AMAP ne peut être que marginale, si on ne change pas en profondeur la politique agricole. La vente directe, c’est un moment de l’action mais pas une fin en soi.

Une partie des paysan(ne)s engagé(e)s dans les AMAP se sont quasiment désyndiqué(e)s. Ils n’ont plus de vision globale des problèmes agricoles. Les solutions proposées par les AMAP sont le plus souvent individuelles. Pour la grande distribution, il faut de la mal-bouffe pour les pauvres (cf. Lidl par exemple, lié au groupe Casino).

Cela renvoie au problème de la standardisation de la production.

Les paysan(ne)s travaillent avec du vivant (végétal et animal). Ils/elles gardent les semences pour produire. Avec les OGM, c’est fini. Avec la brevetabilité du vivant, le paysan est dépossédé.

Aux États-Unis, Monsanto a engagé des détectives pour détecter les OGM contaminant les champs non OGM et faire raquer les contrevenant(e)s. Dans cet univers, le métier de paysan(ne) n’a plus aucun sens. Avec les OGM, on ne sait pas ce qu’on injecte dans le monde vivant, on ne maîtrise rien. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’à terme les multinationales qui commercialisent les OGM comptent faire des profits colossaux.

Leclerc incarne la même logique quand il attaque la loi Lang 1 sur le livre devant les instances européennes. Remettre en cause cette loi consiste à décider de ce que les gens doivent lire. De fait, si les supermarchés assurent l’essentiel de la diffusion des livres, cela limitera de façon considérable le choix du nombre d’auteur(e)s et de titres. Ce sont eux qui décideront de ce que les gens doivent lire.

C.J.

1. loi de 1981 fixant un prix unique du livre avec possibilité de réduction ou de majoration de 5 % par rapport au prix public. Cette loi a permis de protéger les librairies indépendantes des chaînes de distribution et les petits éditeurs

 
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