Constitution européenne : AL dit NON !




La Constitution européenne : l’intergouvernementalisme + la technocratie

En théorie, une Constitution est censée fixer les règles de fonctionnement politique d’un Etat et des principes fondamentaux qui encadreront ses lois. La Constitution présentée par la commission Giscard est, elle, d’une nature différente. Elle ne dessine pas les nouvelles institutions de ce qui serait un « Etat européen », fédéral ou confédéral : elle précise simplement les règles d’un fonctionnement intergouvernemental déjà existant ; en revanche elle grave dans le marbre quelques principes fondamentaux qui se rapportent presque tous au caractère inviolable de la loi du marché. Jusque là, rien de nouveau par rapport aux traités de Maastricht (1992), Amsterdam (1999) ou Nice (2000) qui étaient des développements (portant essentiellement sur les orientations économiques mais aussi militaires, de politique extérieure et d’immigration) du traité de Rome de 1957 créant la CEE.

Mais la Constitution européenne constitue un saut qualitatif. Presque 50 ans après le traité de Rome, il s’agit de donner un socle neuf à l’architecture de l’Union européenne, un « nouveau départ » juridique qui fera de l’économie de marché une loi d’airain pour chaque Etat membre ou candidat à l’UE.

Pour ce qui est des mécanismes politique, l’architecture de l’Union européenne restera essentiellement la même : codécision et vote à la majorité qualifiée (une addition des Etats représentant au moins 60% de la population). L’appareil politique de l’Union européenne reposera comme auparavant sur la technocratie installée à Bruxelles. Au finale, la « démocratie » indirecte se fait toujours plus indirecte, et les vrais centres de décision toujours plus hermétiques.

L’adoration du marché, dieu-soleil de l’Union européenne

La façon dont le projet Giscard confère un caractère constitutionnel à des mécanismes de contrôle de la concurrence confine à l’absurde et en dit long sur la nature de la « construction européenne ». Derrière ce terme séduisant empruntant aux idéaux internationalistes, les bourgeoisies des différents Etats cherchent à établir le code du commerce qui garantira au mieux leur enrichissement dans l’équilibre de leurs intérêts respectifs. Les travailleurs et travailleuses de chaque pays de l’Union sont les perdants de cette « construction », déclinaison continentale de la mondialisation capitaliste.

Dans sa rédaction, le projet Giscard de Constitution européenne utilise à fond la méthode du faux semblant, qui consiste à proclamer de grands principes humanistes pour, dans le détail des articles, codifier tout le contraire. Ainsi, selon que l’on consulte la partie I (les objectifs de l’Union), la partie II (charte des droits fondamentaux), ou la partie III elle-même (les politiques et le fonctionnement de l’Union), on aura une vision bien différente du projet. Ainsi on apprend dans l’article I-2 que « l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité, elle repose sur le principe de la démocratie et de l’État de droit ». Mais cette belle déclaration est contredite dans les articles III-69, 70, 77, 144 et 180 qui répètent à l’identique que l’Union agit « conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».

Des garde-fous contre toute tentation sociale

Les différents gouvernements n’ont pas fini, pour mener leur politique antisociale, de se cacher derrière les contraintes de l’UE. Un trait fondamental du projet de constitution est ainsi d’inscrire comme obligatoires tout un arsenal de dispositifs libéraux (y compris certains qui répondent spécifiquement aux revendications de certains lobbies patronaux), mais de requérir l’unanimité des membres pour toute mesure risquant de contrecarrer les intérêts capitalistes, bloquant ainsi toute volonté politique allant en ce sens. Il en est ainsi des mesures contre la fraude fiscale, ou en matière d’impôt sur les sociétés, mesures qui doivent être prises à l’unanimité et surtout « être nécessaires pour assurer le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence » (III-63). Il en est de même pour le contrôle de la circulation des capitaux, traité dans l’article III-46-3 : « Seule une loi ou une loi-cadre européenne du Conseil des ministres peut établir des mesures qui constituent un pas en arrière dans le droit de l’Union en ce qui concerne la libéralisation des mouvements des capitaux à destination ou en provenance de pays tiers. Le Conseil des ministres statue à l’unanimité après consultation du Parlement européen. »

Pour le reste, presque tout ce que peut souhaiter l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (Unice, une union syndicale dont, en France, le Medef est membre) est inscrit dans la partie III du texte. En revanche, il n’est pas question de droit des salarié(e)s en matière de rémunération, d’association, de grève, etc.

L’Union européenne, instrument de l’exploitation économique...

La position de l’UE concernant le commerce international (et donc encadrant ses négociateurs à l’OMC) est inscrite dans la Constitution. « L’UE entend contribuer [...] à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, et à la réduction des barrières douanières et autres. » (III-216).

En matière de casse des services publics, il est prévu que si la politique d’un Etat en faveur d’un service public a « pour effet de fausser la concurrence dans le marché intérieur, la Commission examine avec lui leur adaptation aux règles établies par la Constitution. Par dérogation à la procédure de droit commun, la Commission ou tout Etat membre peut saisir directement la Cour de justice qui statue à huis clos ». (III-17).

L’article III-80 consacre l’indépendance de la plus opaque des institutions européennes : la banque centrale européenne, chienne de garde de l’orthodoxie monétariste, qui réduit la politique économique à une évaluation comptable de l’alignement budgétaire des Etats sur les critères de Maastricht.

Le projet Giscard répond également aux exigences de divers lobbies patronaux, en se donnant pour objectif d’« encourager l’enseignement à distance » (III-182-2) ou en inscrivant que « toute mesure dans le domaine des prix et conditions de transport, adoptée dans le cadre de la Constitution, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs ». (III-137). Sur cette question particulière des transports, la Constitution tolère cependant à regret que « les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes [sic] inhérentes à la notion de service public ». (III-136).

...et de la domination militaire occidentale

En matière de Politique étrangère et de sécurité commune (Pesc, qui est l’un des champs politique de l’UE), « les Etats membres s’engagent à améliorer leurs capacités militaires » (I-40-3). L’article I-40-2 précise que la politique de défense européenne doit être « compatible » avec les obligations des Etats membres de l’Otan, reconnaissant la supériorité juridique de cette organisation militaire. Il est même précisé que « les États membres participants travailleront en étroite coopération avec l’Otan ».

Mais même en cas de « troubles intérieurs graves affectant l’ordre public, en cas de guerre ou de [...] menace de guerre », les États sont censés se concerter pour éviter que soit « affecté » « le fonctionnement du marché intérieur » ! (III-16)

Notre objectif : enclencher une crise de l’Union européenne

La crise de légitimité de l’Union européenne est latente depuis les débuts. Elle a été renforcée par la signature du traité de Maastricht et, dans certains pays, par le forcing des classes dirigeantes en faveur de l’UE, malgré l’hostilité majoritaire de la population. Ainsi l’État danois a-t-il réorganisé le référendum sur la ratification du traité de Maastricht jusqu’à ce qu’il obtienne une petite majorité favorable à la signature. Ainsi l’État irlandais, confronté au « non » de la population au traité de Nice en juin 2001, a-t-il dû réorganiser le référendum, avec cette fois une solide préparation « pédagogique » pour obtenir une majorité favorable à la signature en octobre 2002. Le vrai visage de la « construction européenne » est également révélé par les mouvements sociaux qui secouent périodiquement les différents pays de l’Union.

L’éventualité d’un référendum sur la Constitution européenne - et d’un « non » majoritaire dans plusieurs pays - peut être l’occasion de déclencher une crise majeure dans l’UE.

  • Alternative libertaire s’oppose à l’adoption de la Constitution européenne proposée par la commission Giscard, socle d’une démolition sociale dans chaque État de l’UE ;
  • Alternative libertaire est favorable à la tenue d’un référendum dans chaque État de l’UE sur le projet de Constitution européenne. Il est essentiel de participer à un arc de forces politiques et sociales pour mettre la question d’un référendum sur la place publique et exiger sa tenue ;
  • En cas de référendum, Alternative libertaire fera campagne pour un « NON anticapitaliste et internationaliste », et sollicitera ses partenaires européens du réseau Solidarité internationale libertaire en vue d’une plate-forme commune de campagne.

Alternative libertaire, Paris, 10.01.2004


 
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