Dijon : Le quartier des Lentillères veut changer la ville entière !

Le Quartier libre des Lentillères est un haut lieu de lutte niché au cœur de Dijon qui réinvente le rapport à nos communs et à notre autonomie. Du 30 mai au 1er juin 2025, les Lentillères fêtaient leurs 15 ans d’existence lors d’une grande fête. Retour sur l’histoire de ce lieu et sur le vécu des personnes y habitant.
De seule « Zone à défendre urbaine de France » à « squat mal famé » pour reprendre les mots de Nathalie Koenders, mairesse de Dijon, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire le quartier. Mais ce sont bien ses habitantes et habitants qui en parlent le mieux : « Bien que son histoire soit intimement liée à celles des ZAD en France, le Quartier Libre des Lentillères ne s’est jamais revendiqué en tant que tel. C’est plutôt un quartier autogéré né d’une occupation de friche par des riveraines et riverains, des squatteurs et squateuses et des écolos. C’est un territoire d’expérimentation politique, écologique, culturelle et sociale ».
C’est donc une terre de lutte où la solidarité et l’entraide tiennent tête depuis 15 ans au projet hors-sol de la mairie dijonnaise d’y établir une « éco-cité Jardin des maraîchers » dont les travaux ont débuté au printemps 2015 aux abords des Lentillères. Mais depuis 2018, c’est le cœur même du quartier qui est au centre du rapport de force.
Né d’une manifestation ayant eu lieu le 28 mars 2010 et menée par le collectif Urgence bio, c’est la création du Potager collectif des Lentillères – « Pot’Col’le » – en 2010, puis du Jardin des maraîchers en 2012 qui établit les structures du lieu. Désormais, le quartier est divisé entre potagers collectifs, cultures, lieux d’habitat mais également espaces de refuge et de maintien de la biodiversité.
Depuis 2010, les chantiers jalonnent l’occupation du terrain de 9 hectares : en avril 2012, c’est le premier chantier collectif d’habitation. Plusieurs dates clefs ont lié l’histoire du quartier à celle de la lutte pour un accueil digne des personnes exilées.
Aujourd’hui, cet enjeu est un fondement incontournable de la vie du quartier. En juin 2016, des familles roms s’y installent, puis ce sont les migrants expulsés du squat « Cap Nord », qui y trouvent refuge. On compte aussi la Cyprine, habitat féministe-trans-antispéciste sans mecs cis hétéros. Loin d’être un espace clos, c’est un lieu d’échanges et de contacts au quotidien : dans le Foufournil est préparé le pain vendu sur le marché les jeudis, aux côtés des légumes cultivés sur place ; un repas végan à lieu à la cantine la Chouchou le mercredi, et, évidemment, la fête annuelle du Printemps qui attire largement les fêtards et les fêtardes ; les concerts de Tarbiya, groupe de blues Touareg, enflamment régulièrement les soirées des Lentillères !
Et des soirées de fête, il y en a ! En ce mois de juin, le quartier libre des Lentillères a célébré ses 15 ans d’existence. Après un énième communiqué diffamatoire de la mairie en février dernier, les Lentillères ont choisi de riposter à l’hostilité croissante par l’inventivité collective et la joie subversive : rassemblement de soutien massif, collages, plantations pirates, banderoles... Tout était pensé pour rendre le quartier visible dans une ville empâtée par la grisaille du béton.
Les Lentillères par celles et ceux qui y vivent
Nous avons participé aux festivités, mais nous le disions plus haut : ce sont bien les personnes habitant le quartier qui en parlent le mieux ! Nous leur avons donné la parole :
Comment pensez-vous la place du quartier au sein de l’espace du mouvement social ? Quel rôle peut-il avoir ?
Malgré ce qu’on pourrait imaginer, la centaine de personnes qui vit au quartier n’a pas forcément une activité militante, et l’engagement n’est pas un critère pour y vivre. En cela, le quartier des Lentillères n’est ni un mouvement, ni un collectif en tant que tel, mais est formé de plusieurs collectifs divers qui s’investissent dans les luttes locales et dans les mouvements sociaux à la hauteur de ce qu’ils peuvent.
La mise à disposition des lieux est possible à tout moment, que ce soit une salle ou un espace d’atelier. Les collectifs de maraîchages proposent à leur niveau et selon la saison une fonction partielle de grenier des luttes et peuvent fournir des légumes pour des repas de soutien ou des grévistes. Les percussions féministes et le tracteur, qui ouvrent souvent la marche des usagères du quartier dans les manifs, viennent renforcer les cortèges.
C’est également un espace de discussion et de production d’idées ?
Oui, au-delà de la dimension matérielle, le quartier des Lentillères est aussi un lieu de rencontre qui permet de penser l’intersectionnalité et la complexité des parcours de vie face à la grosse machine du capitalisme libéral et patriarcal. Dans ce contexte, on peut parfois avoir une force de proposition alternative et de contestation sur différents sujets qui touchent les usagers, usagères, habitants et habitantes : travail, féminisme queer, précarité, racisme, etc. Ce qui se manifeste aussi régulièrement par l’organisation d’actions, de discussions, de présentations, de projections...
Si l’objectif des divers collectifs participant à la vie du quartier n’a jamais été d’atteindre les espaces décisionnels du pouvoir pour les faire changer, comme certains syndicats ou partis, on espère pouvoir aider à peser dans le rapport de force avec eux en soutenant à notre manière – festive, effrontée et déterminée – celles et ceux qui défendent des valeurs de solidarités.
Pouvez-vous revenir sur votre proposition juridique de ZEC ?
Depuis 2019, les Lentillères ont proposé la création d’une Zone d’écologies communales (ZEC) : un nouveau zonage pour protéger juridiquement l’interdépendance des usages – maraîchage, habitat, culture, nature – et garantir la gouvernance collective par ses usagers et usagères. Bien que la proposition ait été incluse dans un recours contre le plan d’urbanisme, elle n’a jamais reçu de retour ni d’avancée concrète de la part de la mairie.
Aujourd’hui, la résistance continue : le combat juridique pour régulariser et pérenniser le quartier, ainsi que la bande d’un hectare que la mairie veut toujours raser, se poursuit.
À Dijon comme ailleurs, les espaces autogérés posent la question essentielle de l’usage des terres, et de la possibilité de vivre autrement. Hors des logiques marchandes et autoritaires : la vie Lentillère peut bien faire changer la ville entière !
Charly et Maï (UCL Dijon), Lysandre (UCL Vosges)







