Dossier 1914 : Contre la guerre  : trois stratégies (CGT, PS, FCA)




La CGT pour la grève générale (ou presque)

On pense couramment que la CGT avait promis d’appeler à la grève générale pour s’opposer à la guerre. Il n’en est rien.

Ne surestimant pas ses forces, la CGT s’en tenait à une formule plus prudente, adoptée à son congrès de 1908, stipulant qu’il fallait, « au point de vue international, faire l’instruction des travailleurs afin qu’en cas de guerre entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire ».

Le Nouveau Manuel du soldat
Cette brochure particulièrement radicale structurait la propagande antimilitariste de la CGT.

La nuance est fondamentale : l’initiative de la grève générale devait revenir aux « travailleurs » en général, et non à la CGT en particulier. La CGT ne se donnait pour obligation que de faire leur « instruction », à l’aide d’une propagande constante dont la colonne vertébrale était une brochure antipatriote massivement distribuée (215.000 exemplaires imprimés entre 1902 et 1914) : Le Nouveau Manuel du soldat.

Il faut noter que cette formule prudente satisfaisait même les militants les plus radicaux de la CGT, bien conscients que, si la guerre éclatait, le gouvernement ferait aussitôt emprisonner la direction confédérale. Il fallait donc faire en sorte que les syndiqués entrent par eux-mêmes en action le jour J, sans attendre de mot d’ordre.

Le PS pour l’arbitrage international

En 1907, l’Internationale socialiste avait, au congrès de Stuttgart, voté une résolution d’opposition à la guerre si vague que, dans les faits, chaque parti national pouvait suivre sa propre logique. ­

Cette équivoque se retrouvait au sein du PS français, qui se voulait à la fois patriote et internationaliste. Jaurès l’écrivait encore très clairement dans L’Humanité du 18 juillet 1914, une semaine avant la crise européenne : « Il n ‘y a aucune contradiction à faire l’effort maximum pour assurer la paix et, si la guerre éclate malgré nous, à faire l’effort maximal pour assurer […] l’indépendance et l’intégrité de la nation. »

Quelques jours auparavant, les 14, 15 et 16 juillet 1914, le PS avait justement tenu un congrès national où il avait précisé sa stratégie de défense de la paix : « Entre tous les moyens employés pour prévenir et empêcher la guerre et pour imposer aux gouvernements le recours à l’arbitrage, le congrès considère comme particulièrement efficace la grève générale ouvrière. »

Le concept d’arbitrage, défendu depuis des années par Jaurès, devenait ainsi la doctrine officielle du PS. La formule de « grève générale », introduite dans le texte pour la forme, n’avait d’autre but que de séduire la CGT. A l’heure de vérité, le PS devait finalement renoncer à cette stratégie, et se contenter de soutenir la « politique de paix » – largement fantasmée – du gouvernement français.

La FCA pour le sabotage de la mobilisation

La stratégie de la Fédération communiste anarchiste était imbriquée dans celle de la CGT. La FCA se voyait comme la fraction la plus déterminée du mouvement ouvrier, celle qui allait fomenter l’insurrection rendue possible par la grève générale.

Dès juin 1911, au début de la crise marocaine, elle avait dressé un plan de « sabotage de la mobilisation », qui consistait à bloquer les gares parisiennes, notamment celles de Pantin et de l’Est, en sabotant voies ferrées, lignes télégraphiques, viaducs et tunnels. Des groupes devaient ensuite profiter du désordre pour neutraliser les pouvoirs publics.

Affiche de la FCA, novembre 1912.
La petite organisation anarchiste affirmait ouvertement vouloir « saboter la mobilisation ».

Comme elle ne cachait rien de ses intentions, au contraire, la FCA avait été ciblée – et durement éprouvée – par la répression dès l’automne 1912.

Par la suite, elle avait poursuivi sa propagande de façon plus discrète, en distribuant clandestinement 2.000 exemplaires d’une brochure rouge intitulée En cas de ­guerre, sorte de manuel insurrectionnel adapté à l’ère du syndicalisme révolutionnaire, synthétisant l’expérience du blanquisme, de la Commune de Paris, de la Révolution russe de 1905 et du sabotage ouvrier des années 1909-1911. La déclaration de guerre y était ­présentée comme un moment clef pour soulever le peuple.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)


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