Dossier Black Revolution : Aux racines du racisme : De l’esclavage au ghetto




Entre la période esclavagiste et le black power, la situation des Noirs des États-Unis a connu des évolutions considérables. Du Sud au Nord, les constantes sont le racisme...
et la résistance.

Au XIXe siècle, les États-Unis se divisaient en deux entités économiques : au Nord on vit l’émergence d’un capitalisme industriel et financier reposant sur le salariat, au Sud se perpétua une aristocratie foncière reposant sur la culture du coton et l’esclavage. L’antagonisme ne cessa de s’approfondir entre un Sud dont la prospérité dépendait des exportations et donc du libre échange et un Nord protectionniste dont l’expansion de l’esclavage à l’Ouest freinait les ambitions. La guerre de sécession (1861-1865) éclata. La victoire du Nord fut suivie de ce qui fut appelé la reconstruction  : durant cette période, les Noirs nouvellement affranchies s’organisèrent politiquement à travers des conseils, se réapproprièrent des fermes, pendant un moment sous la protection des troupes du Nord. Mais très vite, le Nord rallia les anciens maîtres du Sud, tandis que les Noirs devenaient notamment métayers. Les anciens maîtres organisèrent la réaction, le Ku Klux Klan apparut et les lynchages se répandirent.

Racisme du Sud au Nord

Dès la fin du XVIIe siècle, après la «  révolte de Bacon  » qui avait vu des Blancs pauvres et des esclaves noirs se coaliser, le racisme a été organisé par les riches colons d’Amérique du nord, comme le « seul outil susceptible de ségréguer les Blancs dangereux des esclaves dangereux en élevant entre eux le mur du mépris racial » [1].

Les théories sur l’infériorité des races non blanches se diffusent à l’époque du déclenchement de l’expansionnisme impérialiste américain, qui se justifiait avec les mêmes discours que celui qu’on entendait dans les états du Sud, où les lois ségrégationnistes dites Jim Crow étaient alors adoptées. Le racisme servait autant les classes dominantes à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis.

Selon Daniel Guérin  [2], le Sud représentait en quelque sorte une colonie. Alors que celui-ci se vidait de ses Noirs, les grosses agglomérations industrielles du Nord voyaient émerger dans leurs centres-villes des ghettos. Les Noirs venaient travailler dans les usines où ils constituaient une main d’oeuvre sous-payée et surexploitée. Le sous-prolétariat noir en provenance du Sud trouvait difficilement du travail, parqué dans des ghettos aux dimensions bien plus vastes que celui qu’il avait quitté. N’ayant plus rien à perdre, ils sont prêts à tout risquer. Ils furent les plus touchés par la crise des années 1930 qui conduisit une partie de la population à survivre par des activités illégales. La violence policière dans ces quartiers était sans pitié. Les émeutes des années 1960 ne seront pas les premières dans les ghettos, elles furent particulièrement nombreuses et violentes auparavant  : à Harlem en 1943, on assista à une véritable rébellion de la communauté noire.

Dans les années 1950, à l’aube des mouvements des droits civiques, les Noirs sont majoritairement présents dans les Etats du Sud, où ils connaissent la ségrégation, et dans les états du Nord, notamment les grandes villes de la côte Est et du Michigan (Detroit, Chicago...) où les Noirs ont migré de plus en plus suite aux appels de main-d’œuvre des deux guerres mondiales.

Mouvement des droits civiques

Le 1er décembre 1954, une femme noire membre du NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) à Montgomery donne le signal de départ à un immense mouvement. Il s’agit de Rosa Parks, refusant de céder sa place à un Blanc dans un bus. Cette action est suivie par un très long boycott de la compagnie de bus de la ville. Les Noirs organisent un système de transport privé et le chiffre d’affaire de la compagnie fléchit de 60 %. A travers le pays la communauté noire se solidarise. Le tribunal fédéral du district finit par leur donner gain de cause et le 4 juin 1956 la ségrégation dans les transports publics d’Alabama est déclarée illégale. Martin Luther King se fait connaître pour la première fois lors de cette lutte. Le mouvement de Montgomery soulève toute la communauté et le boycott des bus s’étend à d’autres villes. Le mouvement s’étend par la suite à Little Rock en Arkansas, contre la ségrégation scolaire. Des sit-in dans les snacks refusant les Noirs se multiplient.

Les méthodes pacifistes de Luther King avaient l’avantage de mobiliser massivement. Mais les exactions répétées des différents partisans du suprématisme blanc rendirent de plus en plus nécessaire l’autodéfense. À l’époque, la violence dans le Sud atteignait son paroxysme, les Blancs se vengeaient contre les Noirs en raison de la remise en cause des lois Jim Crow, et tentaient d’empêcher les Noirs de s’inscrire sur les listes électorales. Le massacre de Birmingham choqua l’Amérique, et fut suivi de la fameuse marche sur Washington (voir encadré).

Les années qui suivirent furent celles des émeutes dans les ghettos. Après une décennie de luttes pour les droits civiques, le centre de gravité de la Black Revolution se déplaça irrésistiblement des états du Sud vers les ghettos du Nord, où la ségrégation raciale existait sans les lois. Les trois quarts des Noirs vivent maintenant dans des villes et non plus à la campagne, et plus de la moitié vivent en dehors du Sud. C’est à partir de ces villes qu’émergera le Black Power.

Nicolas Pasadena (AL Montreuil)


DE LA MARCHE SUR WASHINGTON DE 1963 AUX MARCHES POUR L’ÉGALITÉ EN FRANCE

Quelques temps après le massacre de Birmingham, où deux militants blancs des droits civiques et un noir sont assassinés, c’est le départ de la marche sur Washington. Mais ce sont les leaders noirs qui, le jour de l’arrivée à Washington, se succédèrent à la tribune. On mit entre les mains des marcheurs des pancartes et des mots d’ordre triés sur le volet. Cette récupération de la marche par les leaders noirs fut dénoncée par Malcom X  [3].

Il est frappant de noter que les marches pour l’égalité en France furent récupérées par le régime socialiste de façon assez similaire. En 1983, Mitterrand invitera les marcheurs à l’Élysée à l’arrivée à Paris. L’année suivante, pour Convergence 84, alors que les revendications s’étaient précisées et devenaient plus radicales, le PS décidera de la création de SOS Racisme afin de diviser le mouvement et diminuer sa radicalité. A l’arrivée des marches, des pancartes, des autocollants avec des mains jaunes étaient distribués, avec des slogans dépolitisés et paternalistes, tandis que les personnalités comme Julien Dray ou Harlem Désir monopolisèrent la parole. Le Parti socialiste a bien retenu la leçon. Nous devons, nous aussi, en retenir les enseignements.


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[1Howard Zinn, Une Histoire populaire des États-Unis, Agone, 2003.

[2Daniel Guérin, De l’oncle Tom aux panthères noires, Les bons caractères, 2010.

[3Malcolm X, Geoge Breitman, Le Pouvoir noir, La Découverte, 2008.

 
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