Dossier partage des richesses : Medef : « L’exploitation c’est la justice »




Le Mouvement des entreprises de France (Medef) se fout - une nouvelle fois - de la gueule du monde. Avec un art consommé de la provocation, Denis Kessler, le grand ordonnateur de l’université d’été patronale qui s’est tenue fin août sur le campus d’HEC à Jouy-en-Josas, avait retenu comme thème principal : « La grande transformation ». D’abord, même s’il révèle une légère inquiétude du côté des milieux patronaux, le texte de présentation de cette université d’été vaut son pesant de cacahuètes.

La novlangue du Medef

« Si nos concitoyens sentent dans leur très grande majorité que notre organisation économique et sociale est bien fatiguée, l’alternative [comprendre ici, l’ensemble des contre-réformes souhaitées par le Medef et mises en application par Raffarin qu’il s’agisse des retraites, de l’assurance-maladie ou encore de la dérégulation du marché du travail] n’est pas claire. Elle est perçue comme violente. Elle inquiète, et, bien naturellement, la tentation de regarder avec nostalgie dans le rétroviseur de l’histoire taraude certains. Seule certitude, les entreprises sont au cœur de cette Grande Transformation […]  » écrit le Medef qui ajoute : « Cette université d’été a l’ambition de présenter les enjeux de cette Grande Transformation afin qu’elle soit porteuse des valeurs de justice et de progrès (sic !).  » On leur fait évidemment confiance.

Détournement et falsification

Mais l’organisation patronale fait plus fort encore. La Grande transformation n’est autre que le titre de l’ouvrage principal de Karl Polanyi, économiste d’origine hongroise, émigré aux États-Unis dans l’entre-deux-guerres, qui porte sur l’évolution des sociétés occidentales au XIXe et au XXe siècle.

Réformiste, Polanyi, s’il n’était pas critique à l’égard du marché, l’était en revanche à l’égard du fait que, depuis un siècle, le marché tend à envahir toute la vie sociale et à chasser deux autres formes de relations sociales, la redistribution et la réciprocité, pourtant nécessaires, insistait-il, à toute société digne de ce nom. Il écrivait notamment dans La Grande transformation : « le travail et la terre ne sont rien d’autre que les êtres humains eux-mêmes en lesquels chaque société consiste et les environnements normaux dans lesquels elle existe ; inclure le travail et la terre dans les mécanismes du marché signifie subordonner la substance de la société elle-même aux lois du marché » et ceci signifie que « la société humaine est devenue un accessoire au système économique ». Polanyi, hostile à la planification centralisée estimait en revanche que les associations coopératives de producteurs et de consommateurs permettaient de tempérer les critères d’efficacité économique par des choix sociaux librement déterminés. On est quand même assez loin du Medef.

Les mauvaises langues diront que si Kessler est parfaitement conscient de son emprunt, le baron, lui, n’y entrave certainement rien. Voyons, mon bon, La Grande transformation n’est ce pas ce vieux film avec Erich von Stroheim ?

Emma Klotz et Thierry Aureliano

 
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