Éducation nationale : des grains de sable dans l’engrenage




Lorsque l’on parle de la pédagogie Freinet, on pense surtout à un apprentissage interactif. Mais plus qu’une simple alternative au cours magistral, les pédagogies actives sont les héritières de principes politiques très libertaires.


Cet article est issu d’un dossier spécial sur l’éducation populaire


Il y a plus de 100 ans, le 26 mai 1915, disparaissait, au cœur des tranchées, Albert Thierry, l’homme du « refus de parvenir » . [1] Si l’idéal que cet instituteur syndicaliste avait défendu en parole et en actes – seule une éman­cipation collective, dans la société ou à l’école, est en mesure de libérer les dominé-es – a connu une certaine postérité, on reconnaît moins en lui le promoteur, au sein de l’institution scolaire, d’une « pédagogie d’action directe ».

Cette pédagogie socialement engagée, on la retrouve bien sûr chez Célestin Freinet, qui appelait les militantes et les militants à ne plus rester de « paisibles conservateurs dans leur classe », attendant la révolution sans la préparer « activement […] dans sa classe, son quartier, son village… »  [2]

La compétition, non merci

Dans les années 1900, une poignée de jeunes institutrices et instituteurs dans la mouvance syndicaliste révolutionnaire se sont approprié la riche réflexion pédagogique du mouvement ouvrier et de ses outils de lutte – les syndicats, les Bourses du travail... De Proudhon à la Commune de Paris, en passant par la Première Internationale, considérant que l’éducation des travailleurs et travailleuses sera l’œuvre des travailleurs et travailleuses eux-mêmes, il s’agissait pour elles et eux de substituer à l’école « pour le peuple » l’école « du peuple ».

L’apport du mouvement syndical en­seignant a été, tout en s’affirmant solidaire du mouvement ouvrier, de porter la contestation au sein même du système. D’abord par la mise en pratique de principes – la coopération, le travail collectif, l’action sur son milieu – qui s’opposent à ceux portés aussi bien par l’école traditionnelle que par le capitalisme : la compétition, l’évaluation permanente, etc. Pour cette « pédagogie sociale », l’élève n’est plus un simple spectateur-consommateur mais un acteur et un auteur-producteur de ses apprentissages.

Du conseil d’élèves à l’AG d’organisation

La mise en débat des institutions de la classe ou de l’établissement à travers la réunion du « conseil d’élèves » – dans les lycées expérimentaux on parle d’assemblée générale d’organisation –, l’accent mis sur l’apprentissage mutualisé, dans une démarche collective, le travail critique sur les procédures d’évaluation, l’appropriation de son milieu pour, peut-être, le changer, à travers des productions artistiques ou d’écriture « pour de vrai » (correspondance, journal), etc.

Autant d’outils qui permettent encore aujourd’hui de « subvertir la pédagogie », pour reprendre le titre de la série de stages coorganisés par SUD-Education, la CNT-Education, la CNT-SO, la CGT-Education 93, Émancipation, le Groupe français d’éducation nouvelle Île-de-France et l’Association française pour la lecture, avec la revue N’Autre école, le site Questions de classe(s) et plusieurs militantes et militants individuels. [3]

Travailler les ambiguïtés

C’est là, peut-être, que réside la spécificité de l’alternative pédagogique en France : dans cet effort continu pour la faire vivre au quotidien, avec et pour les dominé-e-s.

D’autres stratégies ont certes prévalu, en dehors du système – les fameuses écoles Montessori ou Steiner. Mais a contrario, dans les classes ou les écoles Freinet, chez les praticiens de la pédagogie institutionnelle ou dans les établissements expéri­mentaux – le Lycée autogéré de Paris ou celui de Saint-Nazaire par exemple – c’est bien le choix d’agir au sein de l’école publique qui a été retenu. Il s’agit alors de travailler les ambiguïtés d’une institution, traversée par des contradictions, entre domination et émancipation.

L’ambition reste toujours d’avancer vers l’égalité sociale, à travers des pratiques d’émancipation, non plus pour être des gouttes d’huile dans les rouages du système mais pour en être les grains de sable.

Grégory Chambat (Questions de classe(s)/N’Autre école)


QUESTIONS DE CLASSE(S), N’AUTRE ÉCOLE : PAS L’UN SANS L’AUTRE

Depuis deux ans, un collectif issu de divers horizons syndicaux, pédagogiques et associatifs s’est lancé dans l’aventure Questions de classe(s) – Q2C pour les intimes. Ce site web collaboratif est consacré aux luttes sociales dans l’éducation et aux pratiques pédagogiques émancipatrices. Il s’est associé au trimestriel papier N’Autre école, qui traite des thématiques liées aux enjeux du moment. Dans le n°2 : les pratiques d’égalité, dans et en-dehors de la classe. Les contributions sont libres et souhaitées  !

  • Web : www.questionsdeclasses.org
  • Revue : Questions de classe(s)/N’Autre école, en librairie ou sur abonnement (20 euros pour 4 numéros).

N’AUTRE COLLECTION DE LIVRES

Au-delà de la revue, N’Autre école c’est aussi une collection de livres aux éditions Libertalia, pour ceux qui veulent changer l’école et la société. Après Apprendre à désobéir, petite histoire de l’école qui résiste (Laurence Biberfeld et Grégory Chambat), Changer l’école, de la critique aux pratiques (collectif) et L’École des barricades (Grégory Chambat), le nouveau titre, Entrer en pédagogie Freinet (Catherine Chabrun) propose une introduction concrète et illustrée à cette pratique.

[1Sur ce pédagogue syndicaliste et libertaire, lire « Albert Thierry, l’homme en proie aux enfants » sur www.questionsdeclasses.org.

[2Édito de L’Éducateur prolétarien, octobre 1936.

[3Lancée en 2002 par la CNT-Education, la revue N’Autre école est aujourd’hui indépendante et associée au site web Questions de classe(s).

 
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