Etude lexicale : Quand Sarkozy parle le Le Pen




Parle-moi, je te dirai qui tu es. En ces temps d’exception, il est édifiant de se pencher sur les mots de ceux qui ont la parole. La droite assume parfaitement un champ lexical jusqu’ici propre à l’extrême droite. Etude de cas.

En 1985, la « préférence nationale » devient le cœur du programme du Front national, et pour l’imposer Mégret martèle qu’il faut « gagner la bataille du vocabulaire », désignée également comme lepénisation des esprits [1]. En avril 2002, au lendemain de la fausse victoire triomphante de Chirac, Act up pouvait déclarer avec provocation mais réalisme : « Le Pen a gagné les élections ! ». Aujourd’hui, au-delà de la gestion coloniale des populations des quartiers populaires et des rafles de sans-papiers, le pouvoir profite du contexte de crise actuelle pour établir l’état d’urgence et criminaliser les « nouvelles classes dangereuses », en stigmatisant particulièrement les familles immigrées. Aux luttes sociales et à la révolte des jeunes, le gouvernement répond par la répression et par un projet politique axé sur un racisme d’État.

Tabous et interdits

« Avec Le Pen, on transgresse le tabou, l’interdit. Et c’est déterminant. […] La transgression Le Pen est indispensable […]. Le préalable à tout, c’est de ne pas renoncer à de prétendues “idées racistes” ». (National hebdo, le 24-07-97). En 2005, Sarkozy qualifie de « racailles » les jeunes dont il faut « nettoyer » les quartiers populaires « au Kärcher ». Et une fois l’incendie allumé, il peut se targuer d’avoir été le premier à dire que « le modèle social français était à bout de souffle. Le premier, j’ai dit que l’intégration à la française était un échec ». (L’Express du 17-11-05). Que ce soit par conviction ou par opportunisme, la droite assume aujourd’hui ouvertement le vocabulaire et les propositions portés par le Front national. Et la gauche social-démocrate doit assumer le fait d’avoir participé à ce racisme institutionnalisé, notamment depuis son tournant sécuritaire proclamé en 1997 par le gouvernement Jospin avec l’épisode des « sauvageons » et autres « barbares des cités ».

« Immigration, clandestins, rafles, etc. LES MOTS INTERDITS. […] En réclamant immédiatement l’expulsion de tous les clandestins, en utilisant volontairement des mots comme rafle ou camp de concentration, nous avons cassé la stratégie du silence, nous avons repris l’initiative et nous forçons l’adversaire à venir sur notre terrain. […] Notre devoir est de briser l’interdit […]. Cette bataille des mots est déterminante. Nous devons faire admettre aux Français qu’il y a de bonnes rafles. » (National hebdo, le 06-08-98). C’est chose faite. Depuis l’été 2005, Sarkozy a intensifié les expulsions par des opérations d’arrestations massives et ciblées au faciès (Alternative libertaire n° 144, octobre 2005), et les morts peuvent s’entasser à Ceuta et Melilla ainsi qu’aux portes de l’Europe forteresse de Schengen…

Une gestion coloniale des quartiers populaires

En réponse à la révolte spontanée d’une partie significative de la jeunesse des quartiers populaires face à l’injustice sociale et à la pression arbitraire constante de l’appareil policier et judiciaire, le gouvernement a instauré un état d’exception et en profite pour intensifier la stigmatisation des enfants d’immigrés(e). Le traitement colonial des quartiers populaires ne fait plus aucun doute avec l’application matérielle et symbolique d’une loi de 1955, alors votée en pleine guerre d’Algérie.

Mais les gouvernants n’ont pas attendu un contexte de crise pour mettre en œuvre ce racisme d’État, qui s’exprimait déjà dans la loi ignoble du 23 février 2005 : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. »

Pour la presse d’extrême droite, « l’autorité est impuissante aujourd’hui en France et cela se sait, c’est plus qu’une crise de régime, c’est une crise de société, une crise de civilisation. Cela se voit aux petites choses comme aux grandes émeutes ». (National hebdo le 08-01-98). En 1995, le Front national annonçait la nécessaire « reconquête des banlieues » : « Depuis quelques mois les banlieues des grandes villes connaissent émeutes, pillages ou violences presque tous les soirs. […] Pourtant depuis plus de dix ans, les gouvernements ont dépensé des milliards pour acheter la paix civile […]. Or aujourd’hui, c’est pire que jamais et un mai 68 immigré est possible. [...] La politique d’intégration des communautés allogènes ne marche pas et conduit à la désintégration nationale. » (Français d’abord de décembre 1995).

Depuis, la représentation des quartiers populaires véhiculée par les médias et les politiques est réduite à celle de « zones de non-droit » ou de « cités interdites » sur lesquels l’État a imposé des « couvre-feux ». Le vocabulaire militaire est choisi à dessein, et de Villiers peut réclamer, pour mater « une guerre civile ethnique », « l’envoi de l’armée dans les banlieues ».

Immigration = insécurité

« En 1985, le Front national était accusé de folie obsessionnelle pour avoir révélé que certains quartiers étaient interdits, même à la police [...]. Dix ans plus tard, Jacques Chirac dénonçait le “scandale des enclaves étrangères”. Il en est de même pour le lien entre l’immigration et le chômage, le lien entre l’immigration et la délinquance, le lien entre l’immigration et l’insécurité. » (NH, 20-11-97).

L’amalgame central dans la rhétorique du Front national – "insécurité = immigration = invasion" – est aujourd’hui ouvertement adopté par la classe dirigeante. Celle-ci trouve prétexte, dans le contexte de crise actuelle, à criminaliser les parents immigrés puisque les prétendues causes en seraient l’irresponsabilité parentale et la polygamie. Sarkozy peut alors déclarer : « Certes, les jeunes responsables des violences urbaines “sont tout à fait français juridiquement”, mais disons les choses comme elles sont : la polygamie et l’acculturation d’un certain nombre de familles font qu’il est plus difficile d’intégrer un jeune Français originaire d’Afrique noire qu’un jeune Français d’une autre origine. » (L’Express, le 17-11-05).

Application de la préférence nationale

« La préférence nationale est au cœur de notre projet politique parce qu’elle répond à la majorité des grands problèmes rencontrés par notre pays (identité, souveraineté, nationalité, droit économique et social). [...] Ce concept est né au Club de l’Horloge, dans le cadre de la commission de l’immigration que je présidais, et qui comptait un certain nombre de personnes “au-dessus de tout soupçon” : Georges Berthu (actuellement député européen villiériste), Jean-Antoine Giansily (député européen RPR, ex-CNI), Pierre-Marie Guastavino (ancien conseiller RPR de Paris), ou encore Bruno Tellenne (le frère de Karl Zéro !). Nos réflexions ont donné lieu à la publication chez Albin Michel, en 1985, du livre La Préférence nationale, réponse à l’immigration.  » Ainsi s’exprimait, en juin 1998, dans Français d’abord, Jean-Yves Le Gallou, qui a basculé de la droite institutionnelle au Front national au printemps 1985 et a fait intégrer cette conception lors du congrès de Versailles en décembre 1985.

Aujourd’hui, on assiste à la mise en place d’une préférence nationale qui ne dit pas son nom, par des mesures telles que la suppression des allocations, qui va toucher de fait principalement les familles immigrées, et la remise en cause du regroupement familial. Ainsi, pour Bernard Accoyer, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale : « Il y a probablement à réfléchir sur les dérives du regroupement familial, pour qu’on puisse les intégrer, il ne faut pas qu’il y en ait au-delà de nos capacités d’intégration. »

Quant à Sarkozy, au-delà de l’injonction faite aux préfets pour leur demander d’expulser tous les étrangers interpellés dans le cadre des violences urbaines – même ceux titulaires d’un titre de séjour –, il énonce devant les députés : « Quand on a l’honneur d’avoir un titre de séjour, le moins que l’on puisse dire c’est que l’on n’a pas à se faire arrêter en train de provoquer des violences urbaines ! » L’UMP Jean-Paul Garaud peut alors s’engouffrer dans la brèche et suggérer de « déchoir de la nationalité française » les étrangers naturalisés reconnus coupables de « faits graves » dans les violences urbaines. Et de Villiers de surenchérir sur les « Français de simple administration », poursuivant ainsi la bataille du vocabulaire.

Pour un front social de l’égalité et de la solidarité !

L’instrumentalisation de la peur, avec désignation de « l’ennemi de l’intérieur » et stigmatisation des nouvelles « classes dangereuses », sert à masquer la politique capitaliste de casse des services publics, de précariat généralisé, de délocalisation des entreprises et de destruction des solidarités. Et on peut redouter que l’application de la loi de 1955 et la prorogation de l’état d’urgence pour les trois mois à venir, au moins, relèvent, comme le note la CGT, « d’autres intentions que le respect de l’ordre public ». Inquiétude bien réelle avec les annonces de grèves et de manifestations qui se multiplient actuellement dans plusieurs secteurs.

Au printemps 2002, pour lutter contre le F-Haine, la jeunesse est descendue spontanément dans la rue, débordant les organisations de gauche. Au printemps 2005, une partie de la jeunesse affronte le pouvoir de la loi Fillon et paie encore aujourd’hui judiciairement les conséquences de son engagement. Aujourd’hui, une partie de cette jeunesse se révolte contre la violence sociale de l’État. Cette révolte est légitime, comme l’est la résistance à l’oppression. Nous sommes pour l’action directe, mais à condition qu’elle ne se retourne pas contre ses voisins de galère et qu’elle puisse se politiser en jonction avec l’ensemble des travailleuses et des travailleurs et précaires. Il y a un refus plus large que celui de la jeunesse, et les luttes (La Poste, SNCM, RTM, SNCF, Éducation, Finances, etc.) le démontrent chaque jour, sans compter l’attachement de la population à ses services publics et aux acquis sociaux dans la ligne de mire du patronat.

Dès maintenant, nous devons nous atteler à analyser, pour mieux le combattre, ce régime illégitime à façade démocratique – aujourd’hui renforcé par l’état d’exception – et que nous qualifions pour notre part de libéral-totalitaire. À nous de recentrer les luttes sur l’insécurité sociale avec l’indispensable nécessité d’une unité de classe et d’action.

Français et migrants : solidarité ! La lutte des classes est internationale !

Boxing Bertha & Flores

[1Pierre Tévanian et Sylvie Tissot, Dictionnaire de la lepénisation des esprits, L’Esprit frappeur.

 
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