écologie

Extractivisme : La Terre, cette coquille bientôt vide ?




Depuis le XIXe siècle et la révolution industrielle, un basculement s’est opéré : nos sociétés ont répondu aux besoins de l’industrie en matières premières en extrayant toujours plus de ressources naturelles, sans aucun contrôle. Si nous avons pris conscience que celles-ci ne sont pas infinies, tout reste à faire pour sortir d’une logique mortifère.

On parle d’extractivisme lorsqu’on utilise de manière irraisonnée des ressources naturelles. Irraisonnée, c’est-à-dire que le rythme d’exploitation de ces ressources dépasse celui auquel elles se renouvellent. On peut ainsi parler d’extractivisme pour désigner la production de pétrole ou de charbon (qui mettent des dizaines de millions d’années à se former). Mais on peut aussi parler d’extractivisme quand on exploite des forêts de façon outrancière, sans les renouveler.

La définition de l’extractivisme englobe également la tendance à séparer géographiquement la production des matières premières et leur transformation. L’extractivisme est donc un concept intrinsèquement lié au colonialisme et à l’impérialisme : exploiter sur le territoire des autres des ressources naturelles au-delà d’une limite soutenable. Pour résumer, c’est la vieille idée selon laquelle on pourrait avoir une croissance infinie dans un monde fini. Cette vieille idée est pourtant plus que jamais d’actualité.

Toujours plus d’extractions

On a pu croire, lors du passage au XXIe siècle, qu’on allait, bon gré mal gré, vite sortir de la civilisation du pétrole, du plastique et de la bagnole. Eh oui, le pic pétrolier (peak oil) [1] était annoncé : ce moment où, fatalement, le pétrole devenant de plus en plus rare, on allait en extraire de moins en moins. De fait, on considère qu’il a eu lieu en 2008 pour le pétrole conventionnel. Mais, en fait de pic, il semble qu’on se dirige plutôt vers un plateau, avec une baisse de production, certes, mais très lente. En comptant l’exploitation des sources de pétrole non conventionnel (extralourd, sables bitumineux, pétrole de schiste...) on n’a jamais autant extrait de pétrole qu’aujourd’hui, sans compter l’utilisation des autres ressources fossiles, qui produisent énormément de CO2 !

Mais l’extractivisme ne concerne pas seulement des sources d’énergie comme le pétrole, le charbon ou le gaz. La fabrication des smartphones, télévisions et autres objets électroniques nécessite toujours plus de minerais, notamment les « terres rares », des métaux précieux essentiels à l’industrie technologique. Leur extraction est difficile et extrêmement polluante : rejet d’acide sulfurique, d’éléments radioactifs, contamination des eaux et des sols sur plusieurs siècles. La demande explose, notamment du côté des pays émergents (les pays « émergés », eux, n’en demandent pas moins pour autant).


Pipeline destinée au transport du pétrole en Alaska.

Pseudo-solutions de la COP21

Ces ressources sont limitées et on commence sérieusement à s’inquiéter de leur pérennité. Elles sont pourtant essentielles aux pseudo-solutions avancées lors de la COP21 s’appuyant sur la sacro-sainte « croissance verte ». Et plus les métaux sont difficile à extraire, plus on utilise de produits chimiques et on étend la superficie des mines.

Mais les terres rares ne sont pas les seuls métaux précieux qui ont la cote. Par exemple on estime qu’on a déjà extrait les deux tiers des réserves d’or exploitables. Alors qu’on en extrayait moins de 100 tonnes par an en 1980 on en est aujourd’hui à 2 500 tonnes par an. Si 14 % environ de la production sert à des secteurs comme l’électronique ou la dentisterie, le reste sert principalement à... la simple fabrication de bijoux et pièces de monnaies. L’extraction de l’or nécessite l’utilisation de cyanure, responsable d’importants dégâts environnementaux. On peut également évoquer le tungstène, dont l’usage principal est le blindage pour l’armement et l’aérospatial. Rien qu’en France une quarantaine de projets exclusifs de recherche (PER) ont été accordés ces dernières années pour l’or et le tungstène. [Voir ici]

Face à ce modèle insoutenable, des luttes naissent. Elles constituent le mouvement antiextractiviste (tout simplement). En Amérique latine, ce sont les femmes qui ont relancé la lutte contre l’extraction minière et ses méfaits. L’arrivée massive de mineurs sur un territoire développe mécaniquement les réseaux de prostitution et mettent en danger la sécurité des femmes. Ainsi, dans l’Amazonie équatorienne, les femmes du peuple de Sarayaku se sont révoltées en 2004 contre la compagnie pétrolière CGC [2]
. Elles y ont impulsé le mouvement qui a permis d’expulser l’entreprise des territoires indigènes.

Au Pérou, Máxima Acuña [3]
est devenue une figure de la lutte antiextractiviste en refusant de céder ses terres à la multinationale Newmont et à la compagnie minière Yanacocha. Elle les empêche ainsi de réaliser une gigantesque mine d’or et de cuivre à ciel ouvert qui couvrirait 3 000 hectares. Depuis 2012, des comités locaux l’aident à résister face à la pression judiciaire et physique de ses adversaires.
La lutte contre l’exploitation du gaz de schiste bat également son plein. Ainsi, en France, on recense une centaine de collectifs locaux opposés à des permis et demandes de permis de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux. Ils pointent également le danger que représente l’accord de libre échange transatlantique Tafta sur la possibilité juridique à terme de refuser de tels permis. Et l’année dernière avait lieu, dans la Creuse, le Festival international contre l’exploitation minière. On y trouvait des militants et militantes en lutte du Mexique, du Brésil et de Roumanie. Citons enfin le collectif Ende Gelände (le bout du chemin) qui milite pour l’arrêt de l’extraction du charbon et organisera le blocage d’une mine près de Berlin du 13 au 16 mai prochain.


Máxima Acuña, paysanne péruvienne, environnementaliste et activiste pour l’autodétermination des peuples autochtones.
©John PC

Ces luttes s’articulent avec celles contre le bétonnage des espaces agricoles et contre les grands projets inutiles et imposés (les GPII). Ce sont des luttes nouvelles, mêlant des enjeux locaux et globaux, éthiques et politiques. Elles se déroulent sur un terrain souvent éloigné des villes et des pratiques militantes politiques « traditionnelles ». L’épuisement des ressources pousse le capitalisme à élargir le champ des recherches, poussons à l’élargissement des luttes.

Éric (AL Auvergne)

[1« Peut-on (et doit-on) toujours parler de pic pétrolier ? » à lire sur http://www.avenir-sans-petrole.org/2015/11/peut-on-et-doit-on-toujours-parler-de-pic-petrolier.html

[2« Le féminisme relance la lutte contre
« l’extractivisme » en Amérique latine », à lire sur http://www.pressegauche.org/spip.php?article17199

[3« Máxima Acuña de Chaupe, paysanne péruvienne à l’assaut des géants miniers »,
à lire sur http://information.tv5monde.com

 
☰ Accès rapide
Retour en haut