Féminicides : Les hommes ont un permis de tuer




Si les meurtres de femmes au sein de leur couple sont si nombreux, c’est que les hommes violents bénéficient d’une grande tolérance. Mais surtout, c’est parce que les femmes ne sont ni crues, ni écoutées, ni protégées et que les plaintes ne sont pas traitées avec la rigueur nécessaire pour éviter le massacre. Le gouvernement avec son Grenelle de l’inutilité, la police et la justice sont alliés pour mépriser les femmes victimes de la violence des hommes.

Au moment où j’écris (le 17 novembre) le triste compteur alimenté par des militantes est provisoirement arrêté à 136 féminicides conjugaux, c’est-à-dire femmes assassinées par leur compagnon, petit ami ou ex. Le chiffre officiel (ministère de l’Intérieur) annuel était de 121 meurtres en 2018, 130 en 2017.

La justice et la police ne protègent pas les femmes

Un rapport du ministère de la Justice en date du 16 novembre a été rédigé à partir de l’étude de 88 cas d’homicides conjugaux ou de tentatives (les cas définitivement jugés sur 2015 et 2016). Il en ressort, entre autres, que 15 % des auteurs avaient déjà été condamnés pour violences conjugales, dont 77 % pour des faits commis sur la même femme. Près de deux tiers des victimes avaient subi des violences antérieurement, 65 % de ces violences avaient été dénoncées aux forces de police. Les plaintes pour violences sont rares (souvent des mains courantes ou de simples procès-verbaux) et de toute façon suivies de peu d’effets puisque 80 % ont été classées sans suite. Un seul des auteurs des violences préalables au meurtre avait été placé en garde à vue.

Le parquet d’Aix-en-Provence a fait une étude sur 26 meurtres et tentatives en 2018 et 2019. 55 % des auteurs avaient des antécédents de violences ou menaces sur conjointe. Dans un quart des cas, la procédure avait été classée, dans un tiers les auteurs étaient sous suivi judiciaire.

Parmi les 120 femmes tuées en 2018, un tiers avait déposé une plainte ou une main courante.

Plus concrètement, un exemple au hasard cette année, en janvier, Gülçin a été poignardée à mort en pleine rue par son mari, dont elle était en instance de divorce. Et pourtant elle avait alerté  : cinq dépôts de plainte, des visites régulières au commissariat, un accompagnement par une association féministe, une lettre au procureur réclamant une audience…

Les exemples de mépris des femmes, de leurs plaintes et de leurs terreurs sont multiples  : du dépôt de plainte refusé aux propos minimisant la «  dispute  », du procureur qui ne poursuit pas au juge qui accorde la garde au père. En ce moment, avec le Grenelle et le décompte sinistre, les journaux en sont pleins.

BUNK

Le problème, ce sont les hommes et le patriarcat

En juillet de cette année, le bracelet anti-rapprochement disponible depuis 2017 n’était pas (encore  ?) utilisé. Il permet de détecter la présence de l’agresseur dans le périmètre interdit. Encore faudra-t-il que quelqu’un intervienne en cas de violation…

Le «  téléphone grand danger  », tellement vanté pour dire que le gouvernement agit, est également sous-utilisé. Il a été théoriquement généralisé fin 2018. Aucune des femmes victimes de l’étude du ministère de la justice n’en disposait. Plus de 800 téléphones sont disponibles, les deux tiers ne sont pas attribués.

L’ordonnance de protection permet de mettre à l’écart le conjoint violent, interdit toute forme de contact avec la victime, reloge cette dernière à une adresse tenue secrète, protège les enfants. Le tout sans qu’une plainte n’ait forcément été déposée. Cet outil efficace a été appliqué 1 839 fois en 2017 pour plus de 3 000 demandes. Dans le même temps, l’Espagne, qui s’est réellement engagée contre les violences conjugales et compte 47 millions d’habitantes et habitants, en a accordé 29 000.

Évidemment tout ce qui peut mettre les femmes à l’abri est bon à prendre. Mais ce n’est pas elles qui sont responsables des violences dont elles sont victimes. C’est sur les hommes qu’il faut agir efficacement. Les stages de sensibilisation ou autres mesures psycho-quelque-chose servent juste à entériner l’idée que cogner sa compagne n’est pas un vrai crime. Il faut que de réelles mesures soient prises contre les hommes violents et que les agressions sur conjointes soient traitées aussi sérieusement que les agressions envers un ministre (envers les hommes blancs riches ferait l’affaire aussi). Mais la répression ne suffit évidemment pas.

Comme pour la prostitution et tout autre système d’exploitation humaine, les petits garçons, les collégiens, les lycéens doivent apprendre qu’on ne méprise et qu’on ne maltraite pas les femmes (et les autres humains en général). Pas seulement avec des séances de sensibilisation à raison de deux heures par an. Mais par des interventions constantes. Les hommes qui ne cognent pas sont responsables aussi. Responsables de ne pas empêcher, de ne pas dénoncer, de continuer à parler aux agresseurs sans les mettre face à leurs responsabilités.
Les femmes représentent moins de 30 % des personnels de police et moins de 20 % des gendarmes. C’est peut-être un élément d’explication du mauvais accueil et de l’absence de suivi.

Y’a-t-il un espoir pour les femmes ?

La tendance est clairement à l’augmentation du nombre de féminicides conjugaux. Et si c’était le retour de bâton face à la parole libérée et à moins de tolérance  ? Une façon inconsciente et collective de dire «  c’est toujours nous les maîtres  !  ». Envisager la situation sous cet angle est angoissant mais les violences faites aux femmes sont un domaine dont on parle beaucoup et où rien ne s’améliore, au contraire !
En admettant que de vrais programmes d’éducation et de prévention soient mis en place, il faudra des (dizaines d’) années pour inverser la tendance de l’oppression des femmes. Quel espoir on se donne ici et maintenant ?

Christine (UCL Sarthe)


Une mobilisation historique

Les manifestations du 23 novembre contre les violences faites aux femmes de cette année ont été un véritable succès, dépassant en nombre et en cortèges celles de l’année précédente.

À Paris, plus de 80 000 personnes se sont réunis pour marcher au son des slogans anti-féminicides, féministes et réformistes (1 million de plus pour le droit des femmes). La manif s’est rapidement dotée d’un cortège de tête avec des féministes radicales et Act-Up, ainsi qu’un cortège non-mixte. On peut cependant déplorer la place laissée aux personnalités (culturelles et politiques) au détriment des syndiquées.

À Montpellier, 3 000 personnes, principalement des jeunes militantes se sont déplacées, rejointes par les gilets jaunes. Sur la base d’un appel unitaire (48 organisations, associations et syndicats locaux signataires) la manifestation s’est arrêtée à plusieurs reprises dans des lieux stratégiques (tribunal, préfecture et commissariat).

Au Mans, où seul un rassemblement était prévu avec lecture des noms des 137 victimes de féminicides en 2019, les manifestantes ont défilé jusqu’à la préfecture.

À Amiens, la manifestation n’ayant pas été autorisée par la préfecture, c’est une marche funèbre à travers le marché de Noël qui a mené les militantes du commissariat au tribunal.

À Nantes, plus de 3 000 personnes ont défilé dans la rue pour une manifestation nocturne, avec un cortége animé et déterminé qui a envahit la gare. Les prises de paroles ont notamment invité les féministes à s’engager dans la lutte contre le projet de la "réforme" des retraites.

À Rennes comme à Saint-Nazaire, le nombre de manifestantes et manifestants dépasse de loin les rassemblements de l’an passé, les mobilisations ont été marquées par des prises de paroles de femmes kurdes, sans papiers, autour des féminicides et de l’islamophobie.
Dans ces villes et dans d’autres, l’UCL participait à l’organisation et aux cortèges.

D’autres manifestations sont prévues jusqu’au 25 novembre.
Cette année le climat était particulièrement propice à une mobilisation d’ampleur.

Depuis le début de l’année 2019, les collectifs contre les féminicides qui se sont propagés (et ont collé) à travers la France ont permis à la colère de grandir chez de nombreuses jeunes militantes féministes. L’État, la police et la justice ont quant à eux prouvé leur inefficacité. Selon le rapport de la mission sur les homicides conjugaux  : dans 65 % des cas d’homicides et de violences conjugales, la justice ou la police avaient été saisies. Enfin les dernières révélations de crimes sexuels commis par Polanski au début du mois de novembre, ont achevé de convaincre de la nécessité éminente d’abattre le patriarcat.

 
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