Syndicalisme

Femmes en lutte : Marie Saderne, une ouvrière à la tribune pour fonder la CGT




À la fin du XIXe siècle, les femmes sont nombreuses dans l’industrie textile. En milieu rural, l’Église catholique joue un rôle actif dans leur exploitation. Mais leurs luttes ont forgé des militantes. Marie Saderne est l’une d’entre elles, qui a eu un rôle particulier dans l’organisation du congrès de fondation de la CGT.

La CGT est aujourd’hui la première organisation de résistance de masse des femmes, avec plus de 200 000 adhérentes. De Marie Guillot, première secrétaire confédérale en 1922, au journal cégétiste Antoinette tirant à 120 000 exemplaires dans les années 1970, la place des travailleuses dans la CGT est ancienne mais souvent ignorée. Elle tient du courage et de la volonté de ces femmes convaincues que sans les travailleuses, la classe ouvrière ne pourra vaincre.

C’est à Limoges, en 1895, ville ouvrière marquée par les courants anarchistes, que les organisations ouvrières professionnelles décident de s’unir et de fonder la Confédération générale du Travail.

XIXe, Un tiers des travailleurs sont des travailleuses

Celles qu’on oublie dans les manuels et jusque dans les formations syndicales, jouent un rôle essentiel dans la naissance et le développement du mouvement ouvrier, à l’instar de Marie Saderne. Ce sont les parisiennes des quartiers populaires qui lancèrent les débuts de la Commune de Paris, en récupérant les canons financés par le peuple. Près de 10 000 femmes participèrent à l’organisation et à la défense de la Commune de Paris selon la journaliste anarchiste et féministe André Leo. Elle fera ce commentaire à l’époque : « Croit-on pouvoir faire la révolution sans les femmes  ? » En 1880, quinze ans avant la création de la CGT et la grève des corsetières, éclate la première grève de masse contre les paies misérables. À leur tête  ? Plusieurs milliers d’ouvrières ovalistes, dont la tâche consistait dans la préparation du fil de soie. Elles sont finalement victorieuses. La victoire fut arrachée par ces travailleuses lyonnaises qui participèrent par la suite à l’Association internationale des travailleurs.

La plus longue grève dans la première industrie de France

En 1895, c’est de nouveau dans la filière textile, à l’époque le premier secteur industriel, qu’une de ses plus longues grèves éclate à Limoges. Son origine  ? Des conditions de travail épouvantables, une discipline de fer quotidienne douze heures durant, rythmée par l’obligation de suivre les rites religieux, que Marie Saderne et ses collègues éprouvent quotidiennement. Elles sont employées par l’entreprise de confection de corsets Clément. Les amendes, les brimades et les renvois y sont monnaie courantes. Marie Saderne et ses collègues sont toutes issues de la région limousine. Elle n’a alors que 19 ans quand la grève éclate. Elle lutte en compagnie de Madame Barry et Mademoiselle Coupaud.

Le refus de la prière quotidienne est le déclencheur de cette grève qui dure cent huit jours. Marie Saderne participe à la création d’un syndicat féminin soutenu par les syndicats de Limoges, en pleine préparation du premier congrès de la CGT. Durant ces trois mois et demi de grève, une quarantaine d’ouvrières prennent part à ce combat pour la liberté de pensée, la dignité des travailleuses mais aussi pour de meilleures rémunérations. Payées seulement 2 francs par jour, elles revendiquent la hausse de 20 centimes supplémentaires par corset. Les religieuses viennent les remplacer dans les ateliers. La plupart des grévistes, dont Marie Saderne, perdent leur emploi. Mais les leçons qu’elles tirent de leur résistance, elles, ne se perdront pas.

Le statut de travailleuse subalterne des ouvrières du textile comme Marie Saderne, laisse voir dès le départ l’alliance criminelle qui se joue entre le patriarcat et le capitalisme. En septembre 1895, Marie Saderne est assesseure de la deuxième séance du congrès de fondation de la CGT. Cela signifie qu’elle préside une partie du premier congrès aux côtés de syndicalistes hommes, sous les railleries des journalistes misogynes présents pour couvrir l’événement. Sa combativité et l’exemplarité de la lutte qu’elle et ses camarades ont mené feront taire un temps le machisme syndical.

Le machisme syndical ne connaît jamais de retraite

Si elles n’organisent pas le rapport de force, les femmes sont toujours un pas derrière les hommes. En 1895, la CGT s’adresse explicitement dans ses statuts aux femmes et aux travailleuses. Mais au congrès de 1901 à Lyon, cette mention « de syndicats d’ouvriers et d’employés des deux sexes » disparaît, au profit de « groupement général des salariés ». Et la présence d’une femme à la tribune d’un congrès confédéral se fera attendre. La CGT ne fera de nouveau explicitement mention dans ses statuts de la syndicalisation des femmes, avec celle des hommes, qu’en… 1995.

Au début du XXe siècle, des débats sur la place des femmes au foyer et dans l’encadrement de la famille surgissent dans la confédération, portés par les franges conservatrices du syndicalisme. La bêtise et le machisme syndical s’imposeront, jusqu’à l’exclusion de son syndicat en 1913 d’une ouvrière typographe, Emma Couriau, pour la seule raison d’être une femme. Dans ces même années, Madeleine Vernet tient cette triste comptabilité : à 54 reprises, des ouvriers se sont mis en grève contre le travail des femmes, partout en France.

La présence de Marie Saderne à l’organisation des débats du premier congrès de la CGT est donc un marqueur important. Rappeler son histoire, et se souvenir de celles qui prendront place après elle permet de briser l’ignorance du rôle des syndicalistes féministes dans le mouvement ouvrier et de tailler en pièces les complexes d’infériorité que nous pouvons ressentir en tant que syndicalistes. C’est une continuité avec laquelle il ne faut jamais rompre. C’est aussi mettre un éclairage sur les rapports de forces à tenir, à la veille de l’élection — que l’on espère — d’une syndicaliste féministe, Marie Buisson, au secrétariat général de la confédération CGT. Des rapports de forces et des alliances à nourrir qui sont indispensables à l’avenir d’un syndicalisme de masse et de classe, et donc féministe.

Louise (UCL Saint-Denis)

  • Lire la notice biographique de Marie Saderne sur le site Maitron.fr.
 
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