Antipatriarcat

Festival d’Angoulême : La controverse Bastien Vivès attise le feu du #MeTooBD




Alors que l’exposition « dans les yeux de Bastien Vivès » planifiée pour le Festival d’Angoulême de janvier est annulée, la colère des défenseurs des droits des enfants et des créatrices de bande dessinée ne faiblit pas.

Pour sa 50e édition, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (FIBD) a choisi de consacrer une exposition carte blanche à l’auteur Bastien Vivès. Le 14 décembre 2022, le FIBD annule l’exposition à la suite de menaces physiques proférées contre l’auteur, arguant ne pas vouloir « faire peser de tels risques sur un auteur ». Avec ce motif d’annulation plaçant Vivès en victime, le FIBD esquive les accusations bien réelles de représentations pédopornographiques dans l’œuvre de cet auteur, formulées par nombre de personnes du milieu de la bande dessinée. Face à ce positionnement sans aucune remise en question de la part du festival, plusieurs collectifs (ad-hoc ou non) composés d’autrices de BD, éditrices, étudiantes et étudiants, militants et militantes féministes et pour les droits des enfants, ont rédigé des tribunes exprimant leur colère.

Souvent présenté dans les médias comme l’enfant prodige de la bande dessinée, Bastien Vivès est, depuis le début de sa carrière, un auteur clivant. Salué par une large partie de la profession pour son humour « subversif », son trait vif et son « génie » (dans Le Goût du chlore en 2008, Polina en 2011, ou encore la série Lastman écrite avec Sanlaville et Balak), il est également pointé du doigt et se retrouve régulièrement au cœur de controverses en raison de certains de ses sujets de prédilection.

Le prodige des BD graveleuses

Depuis ses études aux Gobelins, durant lesquelles il a réalisé un court film d’animation mettant en scène le viol d’une fillette par son père, jusqu’à la publication sur son compte Instagram d’une série de dessins lesbophobes l’été dernier (depuis supprimés du média social), Bastien Vivès a toujours accordé une part considérable de son œuvre aux représentations misogynes et à la sexualisation des enfants. Pour justifier la publication de plusieurs BD mettant en scène des violences sexuelles commises sur des enfants (Les Melons de la colère en 2011, Petit Paul et La Décharge mentale en 2018) , l’auteur invoque l’expression de ses fantasmes ou bien l’inscription de ces ouvrages dans un « genre burlesque humoristique », inoffensif puisque invraisemblable.

La diffusion de contenus pédopornographiques est proscrite par la loi française. Or, les bandes dessinées de Bastien Vivès ont été publiées et il n’a jamais été accusé officiellement pour leur contenu. Pratique pour se défendre : il est dès lors interdit de qualifier ces œuvres de représentations pédopornographiques, sous peine de poursuites judiciaires pour diffamation.

Suite à l’annulation de son exposition et à la publication d’articles incriminant ses œuvres, Bastien Vivès a publié sur ses réseaux sociaux un message d’excuses, exprimant sa « solidarité sincère envers les victimes d’inceste et de tout autre abus sexuels ». Dans ce message, il tente une fois de plus de justifier la légitimité de ses œuvres, ne reconnaissant pas que les incriminations proférées dépassent le cadre de ses quelques livres pornographiques. Toutes ses bandes dessinées présentent une vision dégradante des femmes.

Vision dégradante des femmes

Si cet auteur a pu avoir autant de succès, et bénéficier encore aujourd’hui d’un large soutien au sein de sa profession, cela tient surtout à ses nombreux privilèges. Issu d’une famille aisée, Bastien Vivès a profité d’études d’art dans d’excellentes écoles parisiennes. Son père, peintre de décors de cinéma, lui fournit un atelier dans la capitale où il exerce avec d’autres artistes. Il est donc soutenu par ses pairs grâce à sa notoriété, mais aussi grâce aux mécanismes patriarcaux qui régissent les milieux artistiques et lui permettent de garder toute sa crédibilité en dépit de ses publications misogynes.

Face à Bastien Vivès et aux autres auteurs construisant leur humour principalement sur la misogynie, les autrices s’organisent pour se défendre et prendre la place qu’elles méritent. Les noms d’auteurs ou d’éditeurs dont se méfier circulent surtout en privé, mais la bande dessinée a également connu un mouvement de dénonciation du sexisme antérieur à #MeToo. En effet, dès 2013, des autrices ont commencé à rassembler leurs expériences de sexisme et ont fini par aboutir à la création de la Charte des créatrices de bande dessinée contre le sexisme et de son site internet en 2016. Le site héberge également des dizaines de témoignages de sexisme ordinaire, violences et harcèlement. La même année, un large mouvement de boycott a été suivi par de nombreuses autrices et auteurs contre le FIBD suite à l’absence de publications écrites par des femmes dans les livres sélectionnés pour le grand prix du festival.

67 % des autrices en dessous du Smic

Plusieurs enquêtes ont depuis révélé au grand public les inégalités flagrantes entre auteurs et autrices dans la bande dessinée. Ainsi, le rapport des États généraux de la bande dessinée, présenté en 2016, faisait état d’une profession largement masculine (27% des 1500 personnes ayant répondu à l’enquête étaient des femmes), et d’une précarisation accrue des femmes (67% ayant un revenu inférieur au SMIC, et 50% vivant en-dessous du seuil de pauvreté). En 2020, le rapport Racine confirmait l’importante précarité des métiers d’artistes-auteurs.

Aujourd’hui, une actualisation de ces données serait bienvenue, surtout si elle pouvait inclure les personnes trans et non-binaires. Tout comme les femmes, les personnes trans sont davantage présentes dans les maisons d’édition indépendantes. Or, ces éditeurs offrent généralement des revenus bien moins importants que les plus gros éditeurs, accentuant la précarisation des artistes. Avec des conditions de vie aussi difficiles, souvent contraintes de coupler leur activité artistique avec d’autres sources de revenus, les femmes et les minorités de genre se retrouvent dans des positions délicates, où la dénonciation d’agresseurs peut entacher durablement leurs carrières.

Malgré cette précarité, la parole commence à se libérer  : le 13 décembre 2022, un compte Twitter et Instagram MeTooBD est créé, et commence à lister des témoignages anonymes d’agressions.

Les autrices de bande dessinée, plus unies que jamais, n’ont pas fini de dénoncer les violences qu’elles subissent et de mettre en avant leur talent trop longtemps méprisé par les hommes.

Ambroise (UCL Angoulême)

 
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