France Telecom : Rançon d’une politique mortifère




Élevant le cynisme au rang de méthode de gestion, la direction d’Orange France Telecom ne se contente pas de pousser des gens à se tuer avec la régularité d’un métronome, il les insulte et s’en lave les mains en invoquant une « mode » des suicides.

Histoire banale chez Orange-France Telecom : une jeune responsable d’un service de « communication interne » dans un site d’Île-de-France, prépare son départ en vacances. Pour accompagner la fusion de deux unités opérationnelles, elle transfère à son homologue le fruit de ses dix ans d’expérience, méthodes, outils, équipe, etc. Sa DRH, qu’elle côtoie chaque jour, l’y encourage. Elle part sereine…

À son retour, son poste n’existe plus. Ou plutôt, il est désormais occupé par quelqu’un d’autre. C’est elle qui n’existe plus.

Elle demande : « Que se passe-t-il ? J’ai perdu mon travail ? » Son encadrement lui répond : « Mais enfin, tu aurais dû comprendre par toi-même que c’était toi qui étais impactée. »

« Impactée ». C’est ainsi qu’on appelle les victimes des restructurations chez France Telecom. En un an et demi, 24 personnes se sont données la mort, certaines sur leur lieu de travail, d’autres laissant des descriptions du harcèlement institutionnalisé, de la pression, de la souffrance. Pour la direction, ces statistiques sont normales comparées aux 28 suicides de 2000 et aux 29 de 2002. Pour le PDG Didier Lombard : « C’est une mode. »

Terreur délibérée

« Impacté. » Ni banal ni neutre, le mot signifie que la violence est reconnue, délibérée, que l’acte managérial est pensé et pesé, et ses conséquences admises. Alors ? Alors, cette politique qui tue des gens est simplement un mode de gestion. Objectif : moins 22 000 salarié-e-s en trois ans. Chiffre atteint fin 2008. La méthode est rôdée.

C’est d’abord le maintien d’une tension permanente chez les salarié-e-s avec fermetures de site en express, mutations immédiates, fusion d’équipes, déménagement soudain, à la hussarde. Chaque épisode apportant son lot de postes de travail sacrifiés. Parallèlement, le discours institutionnel assure que les « collaborateurs » [1] sont des « acteurs » de leur développement. Donc responsables de ce qui leur arrive.

Puis il faut mouiller les cadres en liant une part de leur rémunération variable aux départs obtenus dans leur équipe. Tout l’encadrement d’Orange-France Telecom souffre de schizophrénie. Lors des entretiens individuelles il peut pousser le salarié à partir, et dans le même temps exiger sa disponibilité, l’entreprise ayant besoin de toute ses ressources en période d’accroissement d’activité. Ce sont les salarié-e-s qui forment la variable d’ajustement, celle qui travaille le dimanche, la nuit, lors des urgences, y compris le 1er mai. L’« espace développement », sorte d’ANPE interne, est aussi intéressé à la mobilité…

Enfin, en continu, faire peser à chacun la menace de la précarité : des mails quotidiens matraquent les employés, vantant la mobilité, l’ouverture de postes… ailleurs.

Aujourd’hui chez Orange, il ne s’agit plus de « signaux faibles ». Un capitalisme débridé s’y déploie sans vergogne. En écho aux suicides des années passées et aux droits d’alerte réitérés par le comité hygiène sécurité (CHS), les médecins du travail appellent à l’aide. Didier Lombard ne remet rien en cause, mais renvoie la responsabilité sur les managers. Il ne décide de geler le processus que jusqu’au 31 octobre 2009. Pur effet d’annonce puisque les effectifs de France Telecom sont arrêtés en période post-élection du conseil d’administration.

Les résultats de cette politique cynique ? Jusqu’à 70 milliards d’euros de dettes depuis la privatisation par Jospin ; 22 000 départs en trois ans, 25 000 sous-traitants exploités dont personne ne se

soucie. Aujourd’hui les gens retournent leur colère, leur souffrance, leur désarroi contre eux-mêmes. Mais combien de temps encore avant qu’ils ne se dressent contre ce qui n’est, somme toute, que le banal capitalisme de toujours ? Celui qui tue aussi sûrement que l’agent Orange.

Freddy, militant Sud-PTT

[1Le terme managérial de collaborateur laisse penser que la ou le salarié est co-décisionnaire et donc responsable de sa situation.

 
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