Gabon : Avec le clan Bongo, c’est tous les jours bingo




La dette gabonaise a explosé ces dernières années. La faute se porte sur le clan Bongo et la Françafrique, qui grâce aux «  biens mal acquis  » et au favoritisme envers certaines multinationales bradent les richesses du pays au détriment de la population.

Le Gabon est un maillon essentiel de la Françafrique, cet entrelacs de relations troubles permettant à la France de maintenir sa domination sur ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne  : en contrepartie d’un soutien, y compris militaire et sécuritaire, aux dictateurs de ces pays, la France bénéficie, entre autres, d’un accès privilégié aux matières premières stratégiques.

L’AFD appuie l’endettement gabonais

Depuis qu’Ali Bongo a pris le pouvoir en 2009 suite à la mort de son père et d’une parodie d’élection soutenue activement par le pouvoir français  [1], la dette publique du Gabon a littéralement explosé. Alors qu’elle était, en 2008 de 1 180 milliards de Franc CFA, elle atteignait au début de cette année plus de 4 150 milliards de Franc CFA (représentant 6,33 milliards d’euros).

Si ce pays riche en matières premières (notamment pétrole, manganèse, bois, or, etc.) a vu le poids de sa dette multiplié par plus de trois en moins de 10 ans, c’est notamment du fait d’une gouvernance catastrophique du clan Bongo, mais aussi du pillage des matières premières par des multinationales, au premier rang desquels des françaises.

L’un des piliers du système de domination de la Françafrique est la prétendue aide publique au développement (APD). Le 1er décembre 2017, l’Agence française de développement (AFD) a ainsi accordé au gouvernement gabonais un prêt de 255 millions d’euros sur trois ans. Il s’agit d’un appui au programme conclu le 19 juin 2017, entre le FMI et le Gabon, et permettant à ce dernier de bénéficier de 642 millions de dollars sur trois ans. Le but est, officiellement, de soutenir le plan de relance de l’économie (PRE) adopté par le gouvernement gabonais le 19 mai 2017 dans le cadre imposé par le FMI et par la France aux chefs d’État d’Afrique centrale, mis en difficulté par la chute des prix pétroliers, lors du sommet qui les a réuni au Cameroun, le 23 décembre 2016, en présence de Christine Lagarde et Michel Sapin, encore ministre de l’Économie et des Finances.

Or, ce programme constitue un véritable plan d’ajustement structurel qui remet au goût du jour une politique d’austérité bien connue aux Gabon et en Afrique depuis les années 1980 et dont on connaît déjà les résultats  : mise à mal des secteurs fondamentaux (santé, éducation, agriculture…), privatisations juteuses principalement au profit des multinationales françaises, accès privilégiés aux marchés pour ces dernières… Ce programme de relance ne permettra donc pas d’attein­dre les objectifs affichés en termes de croissance, d’emploi et de réduction de pauvreté. Bien au contraire.

Plus que par la chute des prix pétroliers depuis 2014, la crise de l’économie gabonaise s’explique par une gouvernance catastrophique à laquelle la France et ses entreprises ont activement contribué et dont elles ont largement bénéficié. Depuis son arrivée contestée au pouvoir en 2009, Ali Bongo a notamment multiplié les investissements douteux et les emprunts irresponsables à des taux prohibitifs comme, par exemple, pour la Coupe d’Afrique des Nations de football organisée par le Gabon en 2012 et 2017, pour un coût de 1,3 milliard d’euros. Si diverses entreprises françaises (Colas, Total, Orange, Canal Plus…) en ont tiré un bénéfice certain, cela a surtout contribué au surendettement du Gabon.

Un hôtel particulier envahi à Paris

Si la potion amère que le FMI et la France veulent administrer au Gabon n’a aucune chance d’aider son économie à guérir, elle leur donne cependant un droit de regard sur la politique économique du pays, consacrant ainsi de facto un véritable droit d’ingérence, et la possibilité de réduire l’influence de concurrents, au premier rang desquels la Chine. Ceci explique sans doute pourquoi François Hollande a tenu à consacrer, en avril 2017, une partie de ses derniers jours à l’Elysée à presser les chefs d’État des pays pétroliers d’Afrique centrale d’accepter cette potion. Cette mal gouvernance se manifeste également par un niveau élevé de corruption et de nombreux scandales financiers impliquant souvent des multinationales françaises comme l’ont montré, par exemple, l’affaire des «  BongoLeaks  », celle des Panama Papers, ou encore la procédure judiciaire en France dite des «  biens mal acquis  » (BMA) qui pourrait permettre de démontrer que l’immense patrimoine du clan Bongo est le fruit de détournements et du recel de fonds publics.

Dans le but de protester contre ces «  biens mal acquis  » du clan Bongo, des militants de la diaspora gabonaise ont investi début janvier deux hôtels particuliers en plein cœur de Paris, dont notamment le 13 janvier le Pozzo di Borgo, un hôtel particulier rue de l’Université à Paris 7e, acheté en 2010 pour environ 100 millions d’euros. La facture s’élèverait autour de 200 millions d’euros en comptant les travaux de rénovation, d’après les militants. Les différentes sociétés civiles immobilières (SCI) propriétaires de cet hôtel de luxe renvoient, entre au­tres, vers l’ancien directeur de cabinet et actuel haut représentant personnel d’Ali Bongo, Maixent Accrombessi  [2], et à son adresse de l’époque, le palais présidentiel de Libreville. Le 17 janvier, c’est un autre hôtel particulier du clan Bongo, situé au 4 rue de la Baume dans le 8e arrondissement de Paris, qui a été investi par les militants.

Mais comme l’expliquait Marc Ona Essangui, coordinateur de Tournons la Page Gabon, au lancement d’un collectif citoyen pour un audit de la dette gabonaise  [3]  : «  Depuis l’indépendance du Gabon, le pouvoir en place brade les ressources naturelles du pays à des entreprises étrangères – au premier rang desquelles des françaises – et ce au détriment de la population. Le Collectif citoyen sur la dette du Gabon compte mettre en lumière l’implication des multinationales étrangères, soutenues par les bailleurs, dans ce processus d’endettement, mais aussi leurs responsabilités dans les violations des droits humains, économiques, sociaux et environnementaux.  »

Régis Essono et Thomas Bart (militants de Survie)


Échos d’Afrique : L’impunité des soldats coloniaux

Le 11 janvier, les juges d’instruction ont décrété un non-lieu pour les militaires français soupçonnés d’avoir commis des viols sur des enfants en République centrafricaine entre 2013 et 2014, dans le cadre de l’opération Sangaris.

Une occasion de revenir sur l’impunité dont jouissent «  nos  » soldats dans l’immense majorité des crimes commis en Afrique  ; résultat de l’organisation de la justice et de volontés politiques de «  ne pas salir le drapeau  ».

Le scandale éclate en avril 2015 grâce à «  l’indiscrétion  » du quotidien britannique The Gardian qui relate le contenu d’un rapport de l’ONU réalisé au 1er trimestre 2014 et passé sous silence par les autorités militaires françaises.

Obligés de réagir publiquement, les représentants de l’État français n’ont alors aucun mot de compassion pour les supposées victimes, mais des injonctions à l’exemplarité de l’armée et des soldats  : «  aucune tâche ne doit écorner l’uni­forme  » scande alors le président Hollande… cependant que la presse française (notamment L’Obs et Le Monde) évoque des risques de manipulations et complots. Les Français sont priés de croire que ces accusations sont probablement sans fondement sérieux au regard de la confiance (aveugle  ?) que l’on doit porter à «  notre  » armée, comme l’a rappelé Macron aux étudiants burkinabés en novembre dernier (lire AL de janvier 2018).

Au niveau judiciaire, sur les trois enquêtes ouvertes devant la justice française pour des agressions sexuelles commises par des militaires français en Centrafrique, aucune n’aura donné lieu à des mises en examen  ; et cela malgré l’apport des éléments d’enquêtes par deux journalistes de Médiapart (Justine Brabant et Leila Minano) en décembre 2015… Éléments non approfondis par la justice, permettant ainsi d’éviter d’avoir à poursuivre les militaires  !

Il faut dire que tout est organisé pour assurer l’impunité des soldats en opérations extérieures (Opex)  : des accords avec les gouvernements locaux garantissant un jugement par la France  ; des blocages institutionnels comme le monopole du parquet (dépendant de l’exécutif) sur les poursuites ou comme le secret défense qui empêche l’accès à des documents d’instruction (lire AL de février 2018)  ; et surtout des enquêtes menées manifestement «  à décharge  » par des enquêteurs de la prévôté (la police militaire), sans doute plus empathiques avec nos héros en treillis qu’avec les Africaines et Africains qu’ils prétendent protéger lors des conflits armés… et qui sont assez ingrats pour se plaindre des agissements de leurs sauveurs. La même (in)justice s’applique pour presque tous les crimes des militaires en Opex, du Rwanda à la Côte d’Ivoire. Au mieux, les militaires concernés sont «  éloignés du théâtre  » et subissent des sanctions disciplinaires… trop dur pour des présumés violeurs ou meurtriers  !

Quant aux victimes qui ont osé parler, elles sont souvent mises au ban de la société, quand elles ne subissent pas la répression des forces armées, formées et conseillées par des Français (lire AL de janvier 2018).

Noël Surgé (AL Carcassonne)

[1Voir le rapport de Survie : « La coopération militaire française au service des dictatures », et notamment la partie 4 sur le Gabon, p.52, novembre 2016.

[2Cet ancien bras droit d’Ali Bongo est aussi impliqué dans une autre affaire impliquant le groupe français Marck. Il a dans ce cadre été mis en examen en novembre 2017 à Paris pour corruption passive d’agent public étranger, blanchiment en bande organisée de corruption passive, faux et usage de faux. Le président du groupe Marck, Philippe Belin, a aussi été mis en examen dans ce dossier en août dernier.

[3Ce collectif, initié par le CADTM, Survie et Tournons la Page a été lancé officiellement en décembre 2017. Survie.org.

 
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