Politique

Génocide des Tutsis : le rapport Duclert, plus politique qu’historique ?




C’est une avancée dans la reconnaissance, par l’État français, de son rôle dans le génocide commis au Rwanda en 1994. Mais en s’abstenant d’exploiter certaines sources et en expliquant tout par l’« aveuglement » de l’Élysée, le rapport Duclert écarte l’accusation de complicité, pourtant solide. Explications.

Le 26 mars 2021, la «  Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis 1990-1994  », présidée par Vincent Duclert, a remis son rapport à Emmanuel Macron. Nommée en avril 2019 par une lettre de mission de l’Élysée, cette commission devait avoir un accès illimité aux différents fonds d’archives françaises afin d’«  analyser le rôle et l’engagement de la France au Rwanda  ». La sortie du rapport fut accompagnée d’une communication bien organisée autour de deux idées clés  : des responsabilités lourdes et accablantes mais une absence de complicité au sein de l’État français.

Mitterrand était informé de tout

La reconnaissance officielle des lourdes responsabilités de civils et militaires français est une avancée remarquable pour la compréhension par le grand public du rôle de la France dans le dernier génocide du XXe siècle, même si cette responsabilité, dénoncée depuis 1994 par de nombreux chercheurs, journalistes ou associations, arrive tardivement. C’est une charnière importante pour le monde académique et politique. Pour preuve, les récentes prises de position de plusieurs personnalités en ce sens. On retrouve d’ailleurs une position assez similaire dans les conclusions d’un autre rapport, commandé par le Rwanda à un cabinet d’avocat américain sur le même sujet et rendu public trois semaines après le rapport Duclert.

John Beurk

Rien pourtant, dans le rapport Duclert, qui ne soit déjà connu des spécialistes du sujet  : soutien militaire de Paris au gouvernement de Kigali qui prépare le génocide  ; diplomatie favorable à ce gouvernement au sein duquel existe une mouvance extrémiste  ; mise à l’écart des lanceurs d’alerte qui voient arriver la tragédie  ; racisme et ethnicisme, enfin, comme grille de lecture. Le rapport confirme que François Mitterrand, ses conseillers et les ministères concernés étaient parfaitement informés des événements avant et pendant le génocide. Malgré des informations recoupées et de bonne qualité, ils ont continué, au nom de la politique menée en Afrique depuis les indépendances, à soutenir ceux qui ont organisé puis commis ce génocide.

Intention génocidaire

Ce qui est surprenant, c’est qu’au regard de ces faits accablants, le rapport Duclert se prononce sur l’absence de complicité de la France en adoptant une vision simpliste de cette notion juridique. En effet, celle-ci ne pourrait être reconnue que si les responsables français avaient partagé l’intention génocidaire, ce qui n’est, bien entendu, pas le cas au regard des archives consultées. Pourtant, la justice française a condamné Maurice Papon pour complicité de crimes contre l’humanité, tout en reconnaissant qu’il n’avait pas l’intention de les commettre. Le fait qu’une commission nommée par l’Élysée, composée de non-spécialistes de l’Afrique des Grands Lacs, se prononce sur une notion éminemment juridique, laisse planer le doute quant à une immixtion politique dans ce rapport dont les conclusions rappellent la position de Georgina Dufoix dans l’affaire du sang contaminé en 1991 : «  responsable [...] mais pas coupable  ».

Pour arriver à une position aussi paradoxale, la commission a ignoré les pistes qui pourraient amener à des poursuites judiciaires contre des responsables encore vivants. Le rapport n’a pas trouvé d’archives sur les livraisons d’armes avant, pendant et après le génocide, alors que celles-ci sont documentées par plusieurs sources.

Des sources non exploitées

De même, l’ambiguïté de l’opération Turquoise (juin-août 1994), présentée comme «  humanitaire  », n’est pas assez questionnée. Turquoise comportait un volet offensif visant à soutenir les Forces armées rwandaises (FAR) – qui participaient aux massacres – contre le Front patriotique rwandais (FPR) – qui y a mis un terme.

On ne trouve pas non plus d’informations sur l’attentat du 6 avril 1994, qui a causé la mort des présidents rwandais et burundais et qui fut le déclencheur de la machine génocidaire  : or, dès 1996 et au sein même des services secrets français, la possibilité d’une implication de la France dans cet assassinat était évoquée. Le rôle des mercenaires Paul Barril et Bob Denard, dont la présence au Rwanda en 1994 est attestée, n’est même pas abordé, alors que l’on sait qu’ils ont joué un rôle important dans ce que les conseillers de Mitterrand appellent la «  stratégie indirecte  » pour soutenir les FAR.

En ayant circonscrit la période d’étude des archives à 1990-1994, la commission Duclert a aussi permis de ne pas se pencher sur les conséquences de la fuite des génocidaires avec armes et bagages au Zaïre. On sait pourtant que le ministère des Affaires étrangères a explicitement demandé, dans un télégramme du 15 juillet 1994, aux hommes sur le terrain de laisser passer les responsables du génocide. Cet ordre aurait pourtant mérité qu’on en questionne le ou les auteurs  : la France a laissé fuir ces génocidaires alors qu’elle est, depuis 1948, signataire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide  ; elle était à ce titre dans l’obligation de les arrêter.

On sait enfin, aujourd’hui, que le Zaïre a servi de base arrière aux génocidaires en fuite pour se réorganiser et attaquer le Rwanda, ce qui a, par rebond, profondément déstabilisé toute la sous-région jusqu’à aujourd’hui.
Finalement, ce rapport politico-académique essaye de démontrer que les responsables disposaient des informations mais qu’ils ont fait preuve d’«  aveuglement  » et qu’ils n’ont «  pas compris  » ce qui se passait, que la politique menée fut le fait de quelques personnes gravitant autour de Mitterrand qui ont commis des «  erreurs d’appréciation  » et qu’il y a eu des dysfonctionnements.

« Aveuglement » et « erreurs »

Cette interprétation est battue en brèche par les nombreux travaux menés notamment par l’association Survie [1], qui montre que le présidentialisme de la Ve république permet de mener une politique africaine en dehors de tout contrôle démocratique. Ce qu’a fait la France au Rwanda dans les années 1990 s’inscrit dans le cadre d’une politique organisée depuis des décennies afin d’assurer à la France un poids diplomatique, économique et militaire semblable à celui dont la France jouissait avec son empire colonial, et que Survie a popularisé sous le nom de Françafrique.

Martin David, François Graner

  • Martin David est membre de Survie.
  • François Graner, membre de Survie, est auteur de deux livres sur le génocide : Le Sabre et la Machette (2014) et L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda (2020).
 
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