Grande-Bretagne : Justice de classe pour les émeutiers




Le jeudi 4 août 2011, Mark Duggan, habitant du quartier populaire londonien de Tottenham, est abattu par la police. Le samedi suivant, sa famille et les associations du quartier organisent un rassemblement devant le commissariat de Tottenham afin d’obtenir des explications. La police confirme son refus de les recevoir. Une émeute commence et se généralise durant quatre nuits à une quinzaine de villes, avant qu’une répression sans précédent entraîne le retour à l’ordre bourgeois et policier.

Les causes des récentes émeutes outre-Manche sont très proches de celles des émeutes françaises de 2005. Ainsi, le district comprenant le quartier de Tottenham est un des plus pauvres d’Angleterre, le taux de chômage y est deux fois supérieur à la moyenne nationale, huit de ses treize centres pour la jeunesse sont en cours de fermeture suite aux cuts (coupes budgétaires). On peut généraliser ces constats à tous les quartiers touchés par les émeutes. Ces émeutes sont donc une réaction de plus, bien qu’indirecte, aux mesures d’austérité qui s’abattent sur les classes populaires partout en Europe.

Elles se situent également dans la continuité de plusieurs crimes policiers, le dernier en date étant celui de l’artiste reggae Smiley Culture en mars dernier, qui se serait auto-poignardé lors d’un raid de la police. La situation est moins tranchée ici puisque Mark Duggan était armé d’après la police. Seul soucis : l’arme retrouvée était encore dans son étui. Gangster ou pas, Mark Duggan a donc été abattu sans raison.

[*Des émeutes doublées de pillage*]

Si les causes sont similaires, la forme qu’ont pris ces émeutes est différente des émeutes françaises de 2005. En effet, les quartiers populaires sont en Angleterre très proches des centres villes et les émeutes se sont donc rapidement doublées de pillages, notamment de supermarchés, magasins d’audiovisuel, de téléphonie et de sport. La police anglaise, formée pour contenir une foule et non pour intercepter des groupes très mobiles, a été prise complètement au dépourvu, d’autant que de nombreux habitants de tout âge et sexe ont pris part aux pillages, de tout âge ou sexe. La police a également fait l’objet d’attaques ciblées, mais cela reste faible comparé aux émeutes faisant directement écho à l’oppression policière comme celles des années 80 dans des quartiers noirs anglais.

Il est toujours difficile d’identifier les motivations exactes des émeutiers et émeutières. Les expressions individuelles de celles et ceux-ci montrent cependant que si certains voulaient avant tout s’amuser ou être dans le coup, bon nombre d’entre elles et eux voulaient exprimer leur colère contre un système qui ne leur promet aucun avenir. Pour autant, pas d’angélisme : si les motivations pouvaient être radicales, les pillages restent de l’ordre de l’enrichissement individuel avec des produits phares de la société de consommation. Une interview très diffusée par la BBC de deux jeunes filles résume sans doute assez bien les motivations des émeutiers et émeutières : « montrer aux riches et à la police qu’on peut faire ce qu’on veut ».

[*Reprise en main par le gouvernement*]

Et c’est ce qui s’est passé pendant quatre nuits : la situation a été hors de contrôle. Certains individus en ont profité pour exercer une violence gratuite en toute liberté. Ainsi, pas moins de cinq personnes ont été tuées alors qu’elles cherchaient à défendre leur magasin, à éteindre une poubelle ou à exprimer leur opposition aux émeutes. Évidemment ça n’est rien comparé à la violence quotidienne exercée par la police et plus généralement le capitalisme, mais ces drames n’avaient rien d’inéluctable.

Devant l’incapacité de la police à contenir les émeutes, une partie de la population s’est mobilisée soit pour « nettoyer les rues » au balai le jour, soit pour faire présence dans les quartiers le soir. Ces manifestations se disaient apolitiques, même si le maire conservateur de Londres a surfé sur les nettoyages et l’English Defense League [1] sur les patrouilles nocturnes. Après les cinq morts et le retour du premier ministre Cameron de vacances, le gouvernement a pu définitivement retourner les classes moyennes en faveur d’une répression sans limite pour mettre fin aux émeutes. Les questions sociales ont été occultées pour de bon, les causes se résumant ainsi pour le gouvernement à la mauvaise intégration des populations immigrées et au manque d’éducation des enfants par les parents.

L’Angleterre étant truffée de caméras, la police a rapidement pu réunir des photos d’émeutiers et d’émeutières. Elle a également enquêté sur les réseaux sociaux (certains émeutiers posant fièrement avec leur butin sur Facebook) et a obtenu de la société canadienne Blackberry, réputée pour la confidentialité de son réseau téléphonique, qu’elle lui donne un historique de toutes les communications lors des émeutes. Les photos ont ensuite été largement diffusées : sur un site internet de la police, des écrans géants dans les villes et en une des journaux. Un fond a été constitué par la police, alimenté par les grands magasins touchés par les émeutes, afin de récompenser les bons citoyens ayant des informations valables. Et les perquisitions ont commencé.

[*Reprendre la main contre le racisme et la casse sociale*]

A l’heure actuelle, plus de 3 000 personnes ont été arrêtées. Les procès se sont succédés à la chaîne, avec leur lot de condamnations délirantes, encouragées par le gouvernement : six mois de prison pour avoir « pillé » quatre euros d’eau minérale ou pour avoir accepté un don de deux raquettes de tennis volées, mise en détention provisoire d’une femme enceinte sur la seule base d’un témoignage, quatre ans de prison pour deux jeunes ayant incité à l’émeute sur Facebook, etc. Le gouvernement encourage également les maires conservateurs à virer des logements sociaux les familles ayant un enfant condamné lors des émeutes. « Il fallait réfléchir avant de commettre des cambriolages » d’après Cameron. La justice de classe est rendue.

Force est de constater que les conservateurs ont su se saisir de ces évènements pour diviser les exploité-e-s et en sortent en partie renforcés. Les organisations anticapitalistes anglaises, qui semblent avoir été comme en France tétanisées par les évènements, n’ont pas su remettre les curseurs sur les causes sociales de ces émeutes. Elles l’ont fait dans les textes, mais souvent sans intervention concrète dans les quartiers populaires. Il n’est jamais trop tard et l’élaboration et la diffusion de bilans politiques vont être cruciales. Nous saluons de ce point de vue l’excellent texte de nos camarades irlandais du Workers Solidarity Movement [2].

Les prochaines initiatives antiracistes ou contre la politique du gouvernement vont être autant d’occasions pour discuter publiquement ces bilans et affirmer l’unité des classes populaires.

Grégoire Mariman (AL Paris-Sud)

[1Organisation d’extrême-droite créée en 2009, recrutant dans les milieux hooligans et skinheads et aimant faire le coup de poing.

[2Traduit en français sur leur site www.wsm.ie)

 
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