Guyane : Sous le soleil de la précarité




Son bagne, sa fusée, son or, Félix Eboué (compagnon de la libération), Bernard Lama (ancien gardien de l’équipe de France de football), Christiane Taubira (candidate PRG à la présidentielle de 2002). Mais que se cache-t-il vraiment derrière ce nom évoquant le soleil et les vacances ?

Tout d’abord la Guyane n’est pas une île, c’est un bout d’Europe entre le Brésil et le Suriname. Ensuite, la Guyane, n’est pas un paradis sur Terre pour l’ensemble de sa population, en effet, ici, comme dans l’ensemble des Dom, se trouve un nombre sans cesse grandissant de personnes survivant grâce aux minima sociaux. Une population sans grande ressource dont le nombre est multiplié par la masse de « clandestins » venus chercher quelques subsides non loin de leurs régions natales en proie à de complexes et interminables difficultés (Haïti, Suriname, Brésil, etc.).

La Guyane française n’est un département d’outre-mer que depuis 1946. Avant cette date et depuis le XVIIe siècle, il s’agissait d’une colonie esclavagiste (jusqu’au 10 juin 1848). 58 ans après la départementalisation et un siècle et demi après l’abolition de l’esclavage, bien des habitudes subsistent.

En matière de justice, en 1997, des militants indépendantistes sont déportés vers la Martinique par bateau militaire spécial pour les éloigner des troubles qui se déroulaient alors à Cayenne tandis qu’aucune charge n’était retenue contre eux. À l’inverse, une affaire de délivrance de cartes de séjour contre rétributions (de 1 500 à 4 000 euros) par des fonctionnaires de la préfecture est depuis longtemps étouffée. On attend depuis bientôt cinq ans le procès de la catastrophe de Cabassou [1] alors que la responsabilité des services de l’Etat (DDE, préfecture) est en cause.

Apartheid

Il y a aussi l’assassinat de notre camarade Michel Kapel [2] pour lequel le principal suspect demeure en liberté et le procès se fait toujours attendre.

Au niveau social, c’est aussi l’état de colonie doublé parfois de pratiques d’apartheid sous couvert d’exacerbation des communautarismes (diviser pour mieux régner). 30 % de chômeur(se)s en Guyane (chiffre officiel), 50 % d’étranger(se)s (estimation) dont au moins la moitié est sans papiers, maintenu(e)s ainsi artificiellement en situation de grande précarité. Sans droits, ce sont les nouveaux/elles esclaves de la France.

En ce qui concerne le logement, la situation des droits humains n’est pas meilleure. Les bidonvilles fleurissent au sein même des grandes villes que sont Cayenne et Kourou. De nombreux sans-abris, souvent toxicomanes, arpentent les villes ajoutant à la sordidité de la situation. Les délais pour l’obtention d’un logement social (sous condition de régularité de séjour pour les étrangers) se chiffrent en dizaine d’années.

Le constat est tout autant sinistre en matière d’éducation. 5 000 jeunes enfants et adolescents (chiffres officiels) sont non scolarisés, l’âge d’accès à l’école maternelle est souvent porté à 4 voire 5 ans. Les enseignant(e)s, comme les locaux, manquent. Il n’y a pas d’enseignement supérieur digne de ce nom.

Même constat pour la santé, où il y a aussi matière à indignation. L’espérance de vie est de plus de 10 ans inférieure à celle de la France, la mortalité prénatale est plus de deux fois supérieure. 2 % de la population est atteinte du virus du sida. Aucune politique de rattrapage n’est mise en place dans ce domaine, comme dans les autres.

Quant à la culture, aucune aide n’est apportée aux artistes guyanais sur place et aucune ouverture ne leur est faite en France ou dans les autres Dom.

Tête de pont de l’impérialisme

C’est sur ce fond de bidonvilles, de chômage, de précarité et de dénuement dans tous les domaines que la base spatiale française de Kourou opère ses activités. Cette base représente le principal intérêt de la France en Guyane avec la situation géostratégique de ce pays enclavé entre Brésil et Suriname au sud de l’arc antillais. La France a déployé ici des forces militaires puissantes (légion étrangère, infanterie de marine, gendarmerie mobile), véritable tête de pont de l’impérialisme français en Amérique du Sud et dans la Caraïbe comme le prouve l’intervention en Haïti.

Suite à cet état des lieux, le collectif Alternative libertaire de Guyane a retenu les orientations suivantes pour son action :
 créer une base de données disponible de consultation et d’achat (livres, brochures, revues, etc.) portant sur le mouvement libertaire, en Guyane ;
 s’inscrire dans la réflexion et les combats locaux en tant que courant propre ;
 échanger avec les associations et les syndicats dans une perspective libertaire ;
 intervenir dans les médias locaux et faire le lien entre la Guyane et l’Hexagone.

Jérôme et K. Rolston (AL 973)

[1Le 19 avril 2000, 300 000 m3 de terre se détachent de la colline de Cabassou et s’écroulent en contrebas sur la RN3 pour finir leur course sur la Cilama, usine de fabrication de produits laitiers. Cette catastrophe fera 10 morts « officiellement » dont des automobilistes, des agents de la DDE et de la Cilama.

[2Michel Kapel, militant guyanais anticolonialiste et libertaire, a été assassiné au début de l’été 2000, à la suite d’un conflit concernant le terrain sur lequel il installait une communauté agricole libertaire.

 
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