Italie : Entre crise financière et racisme d’État




Le nouveau gouvernement italien – issu d’une coalition entre les organisations Cinq étoiles et la Ligue – est un assemblage à l’équilibre électoral instable. Tiraillé entre ces différentes composantes, l’exécutif italien navigue à vue laissant toutes les formes politiques classiques italiennes dans le désarroi, tout en accentuant le clientélisme.

Quoi que chacun pense du non-parti, en théorie, Le Mouvement cinq étoiles (M5S), sa victoire aux dernières élections législatives ne constitue une surprise qu’en dehors de l’Italie. Ce mouvement, qui a véritablement émergé hors des cénacles politiques, enregistrait dans les sondages comme dans les discussions au café du commerce et dans les alcôves, une sympathie qui est allée croissante.

Évidemment, l’étincelle de départ ne fut pas une révolte populaire mais le pari d’un humoriste quasi-retraité. Giuseppe «  Beppe  » Grillo a été l’étincelle, mais si l’incendie s’est allumé dans la prairie, c’est que les conditions étaient propices à l’incendie. La victoire est sans équivoque – 32 % – laissant le second parti de la coalition au pouvoir, les fachos de l’ancienne Ligue du Nord, à 17 %  ! Un tiers des votant.es s’est prononcé pour le mouvement 5S contre seulement 1/6 (la moitié  !) pour la Ligue. Néanmoins, l’autre grand gagnant demeure le parti abstentionniste, car même s’il n’atteint pas le niveau français, il a été le plus élevé de toutes les élections connues, 27 %. Il faut donc relativiser l’engouement pour la Ligue ou le M5S, bien entendu, à moins que ce ne soit pour le cirque politique.

Une repolitisation en trompe l’œil du mouvement 5 étoiles

Le M5S, cohérent avec leur idéologie disruptive, est allé seul au combat. La Ligue, fidèle à ses rodomontades, s’est alliée à trois autres partis de droite tout aussi avant-gardistes qu’elle. Cette coalition termine à 37 % et 109 sièges. Parmi eux, le parti du mafio-entrepreneur communiquant Silvio Berlusconi. La coalition de gauche parlementaire ne comptait pas moins de cinq dinosaures qui finissent à 18 % et 86 sièges. Les autres partis ou coalitions, dont les Nationalistes révolutionnaires de CasaPound (se présentant seuls), ne réalisent pas assez de voix pour siéger. Le M5S obtiennent à elles seules 88 siègent... Il faut donc s’allier. Résultat, il y a à présent un arrière goût amer car la Ligue a le vent en poupe pour des raisons contextuelles récentes (les migrants et l’Acquarius). Le M5S a servi de tremplin à la Ligue et se sent un peu le dindon de la farce – mais après en avoir mis plein la figure à tout le monde, pouvait-il espérer autre chose qu’une fuite en avant vers toujours plus de gros bras  ? En clair, cela signifie que les partis traditionnels se sont effondrés, Berlusconi essaye de capitaliser sur l’alliance avec la Ligue qui le considère has been et l’ignore, les partis de gauche parlementaire sont pulvérisés, les partis d’extrême droite ou de droite représentent la force d’appoint de nuisance que le M5S est obligé d’agréger si il veut vraiment poser ses propositions. Certains membres du M5S et journalistes parlent d’une forme italienne de prise d’otages.

Le jeu des alliances favorise le virage a droite

«  Faire que tout change pour que rien ne change  »  : cet adage qui met Lampedusa une nouvelle fois sur le devant de la scène puisqu’il provient du roman de Tomaso di Lampedusa dans un classique de la littérature italienne, semble coller à merveille au cas italien. Se retrouvant dans cette situation politique, la première proposition du Premier ministre avait été refusée (trop anti-Bruxelles), la seconde prête à rire dès le lendemain. En effet, Giuseppe Conte aurait un peu «  bidouillé  » son CV façon Rachida Dati il y a quelques années. Des pratiques somme toute classiques dans un pays marqué par une forme subtile de corruption et de clientélisme qui, si elles s’arrangent lentement avec les luttes antimafia, perdurent néanmoins de façon insupportable pour les Italiens et Italiennes au quotidien. À l’intérieur, c’est le chefaillon de la Ligue qui s’y colle, Matteo Salvini. Son programme est simple et entendu, renvoyer Roms, migrants et tout étranger entrés illégalement, fermer la porte à l’immigration. L’Italie ayant le taux de natalité le plus bas de toute l’Europe et vieillissant comme tous les pays européens, on peut s’attendre à l’impossibilité de réaliser ce fantasme sauf à faire retourner les femmes à la maternité de manière forcée. L’Italie se prépare plus sûrement sur ce sujet à devoir mesurer le hiatus entre des discours de fermeté sur les étrangers, et de plus en plus de migrants, avec une incompréhension poussant à aller chercher celui qui empêchera vraiment les étrangers de venir, donc encore plus à droite. Autre riche idée de Salvini, permettre aux citoyens de se défendre officiellement en groupe organisé, bref des ligues ou milices d’autodéfense. La Ligue ayant le vent en poupe, les propositions sociales du M5S, ses critiques de l’Union européenne parfois proches d’un certain Mélenchon en France, sa proposition d’un revenu de base inconditionnel mais transitoire pour les plus démunis (sans véritable rapport avec le revenu de base défendu par le Mouvement français pour un revenu de base ou l’allocation universelle historique) passent second plan et deviennent de plus en plus inaudibles. Et le fait que la plupart des élu-es ne sont effectivement pas des politiques professionnels les mettent dans l’incapacité de plus en plus évidente ou de reprendre la main ou répondre de manière convaincante aux critiques budgétaires sur les dépenses à engager pour les propositions du M5S. L’Italie a un niveau d’endettement proche de la Grèce d’avant la punition bruxelloise. Il faut donc s’attendre dans ce contexte à de l’imprévisible. Vu le mode de fonctionnement du M5S, ils peuvent aussi bien démissionner cela ne les satisfaisant plus du tout  ! Ceci permettra à des vieux briscards de reprendre la place encore chaude et de perpétuer ce qui se faisait déjà depuis longtemps. Le climat sera bien entendu au mieux euro-sceptique, au pire trublion, mais un Italexit rendrait la situation financière italienne apocalyptique du point de vue de l’orthodoxie économique en vigueur. Mais ces nouveaux, ils sont capables de tout...

François M. (Ami d’AL)


Le minestrone politique italien

Giuseppe Conte, président du Conseil, originaire du Sud, professeur de droit privé, s’est prononcé avec politesse mais clairement contre un welfare étendu dans un pays qui compte déjà assez peu d’assurances et allocations sociales.

Le M5S occupe les ministères suivants  : aux rapports avec le parlement et la démocratie directe Riccardo Fraccaro, au sud Barbara Lezzi, à la justice Alfonso Bonafede, à la défense Elisabetta Trenta, aux infrastructure et transports Danillo Toninelli, à la culture Alberto Bonisoli, à la santé Giulia Grillo (sans parentèle avec Guiseppe Grillo), à l’environnement le Général Sergio Costa, au développement économique et de la sécurité sociale Luigi di Maio (bras droit et successeur de Grillo), aux affaires européennes Paolo Savona (celui-là même qui avait été refusé comme Président du conseil par le président de la République pour euro-scepticisme, un comble  !).
Presque tous sont de parfait.es inconnu.es, autant que novices en «  politiquanteries  ».
À l’économie, Giovanni Tria. Ce dernier a été choisi alors qu’il étrillait l’accord « vague  », selon lui, entre Ligue et M5S. Il s’est prononcé pour une flat tax (taux d’imposition unique sur le revenu), ce qui peut franchement remettre en question le besoin de financement pour le revenu de base du M5S.
Aux affaires étrangères, un européiste convaincu (nous ne sommes plus à une contradiction près) Enzo Movero Milanesi.

La Ligue obtient quant à elle les ministères suivants  : à notre équivalent des services publics Giulia Bongiorno, aux affaires régionales (l’Italie compte cinq régions autonomes ou aux statuts spéciaux) Lorenzo Fontana, à l’agriculture Gianmarco Centinaio et à l’instruction (notre éducation nationale) Marco Bussetti.

Ce sont, jusqu’à aujourd’hui de parfaites marionettes de Salvini (qui est ministre de l’Intérieur). Sachant que la Ligue s’est souvent prononcée pour plus d’indépendance des régions (c’est-à-dire «  débrouillez-vous, et adieux aux péréquations car on dépense trop d’argent pour le Sud  ») pour ne pas dire faire sécession d’avec Rome et en dessous, le décor est posé pour que cela se prépare tranquillement.

Un acteur inattendu mais ô combien bienvenu s’est introduit depuis mi-juin dans le débat. Roberto Saviano, l’écrivain antimafia, a pris la parole pour traiter de bouffon Salvini après que ce dernier a, dans son délire de coupes budgétaires, estimé que sa protection devait être supprimée car inutile. En effet, Saviano a fait remarquer comment, étrangement, lors des meetings de la Ligue en Calabre et en Sicile, l’ensemble des familles de Cosa Nostra (Sicile) et de la Ndrangheta (Calabre) était à la fois très présentes et en même temps très paisibles, malgré le mépris et l’ethnocentrisme anti-sud de Salvini et de la Ligue. Le hasard, sûrement...

François M. (Ami d’AL)

 
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