Écologie

Jean-Jacques Guillet (Bassines Non Merci) : « L’arrivée des Soulèvements a été une bouffée d’oxygène »




Les événèments qui ont eu lieu à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 29 octobre dernier ont fait du bruit dans la presse nationale mais aussi internationale. Alternative Libertaire s’est entretenu avec le port-parole du Collectif Bassines Non Merci 79, Jean-Jacques Guillet, afin de comprendre comment ce petit coin des Deux-Sèvres est devenu un point central dans la lutte écologique nationale.

Les événèments qui ont eu lieu à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 29 octobre dernier ont fait du bruit dans la presse nationale mais aussi internationale. Une manifestation contre la construction des mégabassines (des énormes réservoirs d’eau remplis en hiver par de l’eau pompée dans la nappe phréatique, afin d’irriguer des cultures en été). Quelques 7 000 personnes se sont rassemblées. L’État, pour sa part, a envoyé 1 700 gendarmes et 6 hélicos pour défendre le chantier. Un trou dans la terre de 16 hectares, qui promet de stocker 720,000 m3 d’eau. Alternative Libertaire s’est entretenu avec le port-parole du Collectif Bassines Non Merci 79, Jean-Jacques Guillet, afin de comprendre comment ce petit coin des Deux-Sèvres est devenu un point central dans la lutte écologique nationale.

Alternative Libertaire : Les événements de Sainte-Soline sont, pour une grande partie de la population, la première occasion d’entendre parter de la lutte contre les bassines. Mais cette lutte dure depuis bien longtemps, notamment en Vendée, où de nombreuses bassines ont déjà été construites. D’où vient cette idée de construire ces réservoirs d’eau, qui la soutient et depuis quand existe le Collectif Bassines Non Merci 79 ?

Jean-Jacques Guillet : Notre collectif existe depuis cinq ans, mais les premières bassines ont été construites dans les années 1990, car après la sécheresse de 1976, l’État a autorisé des prélèvements dans la nappe phréatique à tous ceux qui en avaient envie, sans se poser la question de savoir si on avait assez d’eau. Très vite, les cours d’eau ont été asséchés, pendant de plus en plus longtemps. Dans les années 2000, ceux qui ont organisé les remembrements, l’assèchement et le drainage, notamment l’État, ont eu l’idée de faire des bassines (qui ont été entièrement co-financées avec les conseils généraux, la chambre d’agriculture, et la FNSEA).

Ces constructions ont notamment été facilitées par la perte, par le Marais Poitevin, de son statut de parc naturel régional, du fait du retournement de 50% des pairies au profit de la culture de blé et de maïs. Sur ces bassines aujourd’hui en Vendée, les prélèvements sont tellement forts qu’on constate que les nappes ne se remplissent plus. On arrive au niveau d’été dès le printemps.

Il y a des problèmes d’eau potable aussi. Ceux qui ont provoqué cette situation admettent qu’il y a un souci à puiser dans les nappes car cela assèche les rivières, et résultat, la solution pour eux est qu’il faut puiser en hiver lorsque les nappes sont pleines. En effet ils voient la nappe phréatique comme une cuve d’eau souterraine, mais en réalité c’est beaucoup plus compliqué que ça. Et tout ça pour nourrir un système industriel, et avec de l’argent public.

« Aujourd’hui, on a 1 000 km de rivières asséchées »

C’est la Coop de l’eau 79 (un regroupement d’agriculteurs en coopérative) qui mène ce projet. Pour donner quelques chiffres, sur le territoire de la Coop de l’eau (le bassin de la Sèvre Niortaise) avant le projet des 16 bassines prévues, en moyenne on extrait déjà 11 millions de mètres-cubes dans le milieu. Aujourd’hui on a 1 000 km de rivières asséchées. En théorie, les prélèvements devraient être en dessous de 11 millions de mètres-cubes. Cependant le projet de la Coop est aujourd’hui de 14,5 millions de mètres-cubes car on « prélèverait » en hiver.

AL : Dans les Deux-Sèvres, une véritable coalition s’est formée contre ce projet. Quel a été l’impact du soutien des autres associations écologistes, dont notamment les Soulèvements de la Terre, dans cette lutte  ?

Jean-Jacques Guillet : Le département des Deux-Sèvres est une terre de lutte depuis longtemps, depuis le protestantisme. Mais il y aussi eu d’autres luttes, comme celle contre les incinérateurs par exemple, et contre l’enfouissement des déchets nucléaires dans la Gâtine (lutte dans le nord du département qui a eu lieu à la fin des années 1980).

Quand on s’est rapproché des Soulèvements de la Terre (dont pas mal sont des anciens et anciennes de Notre-Dame-des-Landes), on voulait vraiment démontrer qu’on était dans une situation de « non-partage » de l’eau. L’arrivée des Soulèvements a été une bouffée d’oxygène : pour toutes les personnes qui défendent une cause écologique, la question de l’eau est centrale, c’est un catalyseur. Ils et elles nous ont apporté leurs expériences, de la jeunesse. Toutes ces associations, ces jeunes, c’est leur avenir qui est en jeu. Ils n’ont plus envie de discuter.

AL : Un article est apparu dans le New York Times après la manif de Sainte-Soline, annonçant que « la guerre de l’eau » avait commencée en France. La financiarisation des ressources naturelles ne serait-elle pas la racine de ce conflit ?

Jean-Jacques Guillet : Les intérêts agro-alimentaires sont derrière ces projets. Et ce qui intéresse aussi, c’est le fait qu’une terre qui peut être arrosée, voit son prix grimper. Mais l’eau est un bien commun et public. C’est écrit dans la loi, et la loi met des priorités dans les usages, dont la première est l’eau potable, la deuxième la préservation des zones humides qui stockent et dépolluent l’eau, et enfin, seulement si on a répondu aux deux premiers usages, on peut penser à l’eau « économique ».

Et ce qu’on voit c’est que l’État ne respecte pas sa propre loi. On ne peut vider les rivières, il faut des points de mesure, un débit minimum. Là cette année, 1 000 km se sont asséchés, et on a continué à irriguer cet été grâce aux dérogations préfectorales.

Le tabac a toujours des dérogations par exemple, et le président de la Coop de l’eau fait du tabac, donc il a eu le droit d’arroser. De même pour le maïs destiné à nourrir les animaux. Ce sont des mensonges en permanence.

AL : L’État a clairement choisi son camp dans cette guerre, car il finance la construction de ces bassines à la hauteur de 70 %. De quelles natures sont ces financements ?

Jean-Jacques Guillet : Les financements passent via les Agences de l’eau [1], et cet argent est pris sur les factures, c’est donc le contribuable qui paie. Ces agences, c’est en fait la région. Elles ont normalement pour but le financement des réseaux d’assainissement et d’eau potable, pas des bassines. Mais là ce sont les agences de l’eau qui financent. Elles contribuent à 40 des 60 millions totaux du projet.

Il y a aussi un détournement de l’argent européen. Pour faire cela, car l’argent européen ne peut financer directement les bassines, la Coop de l’eau a créé une CUMA au sein de la coopérative pour l’achat des équipements d’irrigation, et la région soutient cette CUMA grâce à ces fonds européens. Il y a donc un détournement de l’argent public, pour accaparer un bien commun.

« 5% des agriculteurs accaparent les privilèges »

Les cinq communes qui se trouvent le long de la première tranche de la Sèvre Niortaise, choisie pour la construction de bassines, n’ont pas été choisies par hasard. A Mauzé par exemple, c’est le fils du premier adjoint à la mairie qui en profite pour irriguer ses champs. A Val-du-Mignon c’est le fils du maire qui va en profiter, et à Epannes c’est un adjoint du conseil précédent, et qui est aussi le président de la FNSEA 79 qui en profite. A Sainte-Soline, là où la dernière manif a eu lieu, le plus gros préleveur de la future bassine est le premier adjoint du conseil précédent.

AL : Quel sera l’impact de cette guerre sur les relations entre les agriculteurs et agricultrices conventionnelles et ceux et celles qui vont vers des modèles plus durables dans le futur ? Va-t-on vers deux systèmes agricoles irréconciliables ? En Deux-Sèvres par exemple, voit-on des tensions au sein de la communauté agricole ?

Jean-Jacques Guillet : Il n’y a pas d’équité. C’est 5% des agriculteurs qui s’accaparent des privilèges.

Le jour où les aides vont s’arrêter, le modèle agro-industriel, incarné par les agriculteurs en monoculture qui veulent s’approprier l’eau après s’être approprié les sols, s’effondrera. En effet, les rendements arrivent à un plateau voire diminuent et tous les coûts augmentent, à un moment donné les aides vont s’arrêter, et leur système va s’effondrer.

Le dérèglement climatique et le manque d’eau vont accélérer les choses. On va être obligé de revenir au fondamentaux. 90% de l’agriculture du monde est une agriculture de proximité, adaptée au système local. C’est une mafia que l’État soutient. Ce sont des voleurs d’eau et de l’argent public. Ils piquent de l’argent de public et un bien commun, et ils se promènent comme s’ils n’avaient rien fait.

AL : De votre côté, plusieurs recours sont aussi engagés contre le projet. Mais peut-on encore faire confiance aux institutions de l’État, notamment vis-à-vis des projets écocides comme les bassines ?

Jean-Jacques Guillet : Le problème est que nous avons à faire à un État mafieux. En Charente-Maritime par exemple, cinq bassines ont été condamnées par la justice à cinq reprises. Elles sont illégales. Mais à chaque fois la justice le dit trop tard. On ne peut accepter ces prélèvements, qui ne servent pas l’intérêt général, sans avoir évalué les effets sur la nature avant.

On a interpellé l’Europe, mais ça prend un temps fou. A chaque fois la justice nous donne raison, mais les préfets donnent les dérogations pour finir le projet rapidement, et en plus, donnent les dérogations pour continuer à remplir, même si c’est illégal.

AL : Quel équilibre entre lutte par voie légale, c’est-à-dire légitimée par l’État, et l’action plus directe, comme les manifestations à Sainte-Soline que l’État a voulu rendre illégales ? Les Zad, par exemple, sont-elles devenues une nécessitée dans les luttes écologiques prolongées ?

Jean-Jacques Guillet : Il y en a marre. L’attitude de l’État est d’envoyer de plus en plus de gendarmes. Il y a toujours plus de monde dans les manifs, 5 000, 10 000, ce ne sont pas des gens venus pour casser, mais des gens exaspérés. L’attitude de l’État est de parler de violence, mais la celle-ci est engendrée par le mépris de ­l’État. C’est eux qui la créent.

Avant de commencer les bassines, des enquêtes publiques ont montré que 80 % de la population était contre, qu’il valait mieux stocker l’eau sous terre. On méprise les gens, on les prend pour des imbéciles.

AL : Une Zad à Sainte-Soline ?

Jean-Jacques Guillet : Une Zad à Sainte-Soline n’était pas adaptée car il n’y a pas de bocage. Sainte-Soline est au milieu de la plaine, il n’y a plus de haies. Une Zad à Sainte-Soline fragiliserait le mouvement plus que tout, on ne peut se réfugier en plaine. Les bassines sont dispersées en plus, et donc on ne peut pas faire une ZAD à chaque bassine. Il faut que le lieu soit adapté.

AL : Vous avez annoncé une prochaine manifestation qui aura lieu fin mars 2023. Avez-vous prévu de faire une tournée nationale en amont ?

Jean-Jacques Guillet : De grandes choses sont prévues oui, des réunions publiques un peu partout pour annoncer cette manif. On ne va pas le dire aujourd’hui, car d’ici là une bassine peut démarrer en Charente ou en Vienne. Quelques jours avant on ne sait pas si on prend le plan A ou B ou C. On est toujours dans quelque chose de nouveau car il faut surprendre.

Propos recueillis par Niels (UCL Angers)

[1Les Agences de l’eau sont des établissements publics administratifs (EPA) qui perçoivent les redevances auprès des usagers pour les redistribuer sous forme d’aides financières aux « actions d’intérêt commun » - dans leurs missions, la lutte contre la pollution et la préservation de l’eau...

 
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