Jean-Marc Izrine (AL Toulouse) : « Si Dreyfus a été libéré, les libertaires n’y sont pas pour rien »




Jean-Marc Izrine, militant d’Alternative libertaire, mène depuis de nombreuses années des recherches sur le mouvement libertaire juif, sur les apports des libertaires à la lutte contre l’antisémitisme. Il est l’auteur des Libertaires du Yiddishland. Son travail l’a également amené à s’intéresser à l’attitude des libertaires durant l’Affaire Dreyfus, le résultat de ces recherches paraîtra très prochainement.

Alternative libertaire : Comment en es-tu venu à écrire ce livre ?

Jean-Marc Izrine : Tout d’abord, je tiens à préciser que mes travaux sur le mouvement libertaire juif et sur le combat contre l’antisémitisme ne procèdent pas d’une « lubie » personnelle. Ils sont liés à la ligne politique d’Alternative libertaire de lutte contre l’antisémitisme et à la volonté de casser le mythe, prégnant chez nos détracteurs, des « libertaires antisémites ». C’est d’ailleurs à la demande de la commission antifasciste d’AL que j’ai entamé un travail sur la question, j’ai écrit Les Libertaires du Yiddishland et, à partir de là, est venu mon intérêt pour Bernard Lazare, le défenseur de Dreyfus, un personnage authentiquement libertaire, et derrière lui pour le combat, des libertaires de l’époque qui ont eu un rôle majeur et ont pesé pour la libération du Dreyfus.

C’est ce qui m’amène à dire que, si Dreyfus a été libéré du bagne et réhabilité, les libertaires, par leurs actions, n’y sont pas pour rien. Les anarchistes sont le premier courant politique, avec les allemanistes (courant révolutionnaire d’inspiration anti-autoritaire) à s’engager, à la suite du « J’accuse » de Zola publié le 13 janvier 1898, avec leur propre logique, bien avant les guesdistes et Jaurès. Mais ça, bien évidemment, la mémoire sélective de l’historiographie républicaine officielle ne le dit pas. Pourtant c’est bien grâce aux libertaires qu’une partie significative de la classe ouvrière s’est engagée pour la défense de Dreyfus et ce sont eux qui, au-delà de son cas, ont agi contre le danger antisémite et ont contribué à le marquer définitivement à droite.

La question de la défense de Dreyfus, un militaire, issu de la bourgeoisie, ne fait cependant pas l’unanimité dans le mouvement libertaire de l’époque, peux-tu évoquer les différents positionnements ?

Jean-Marc Izrine : Je dirai qu’il y a des stades différents, mais mis à part quelques individus qui parfois passent carrément du côté antisémite, la majorité des libertaires se retrouvent dans le combat contre l’antisémitisme.

On distingue en fait trois positionnement :
 Ceux qui s’engagent dans la foulée de Zola, c’est le cas notamment de Sébastien Faure, le fondateur du Libertaire, qui va jouer un rôle central.
 Ceux qui, comme Émile Pouget, basculent en faveur de Dreyfus fin 1898. Cela correspond en fait au moment où les libertaires sont convaincus que Dreyfus est innocent.
 Enfin, il y a les anarchistes autour de Jean Grave et du journal Les Temps nouveaux qui, au nom de l’idée qu’il se font de l’éthique libertaire, refusent de s’engager dans un combat qui leur semble être un front commun avec la bourgeoisie.

Il faut insister sur le fait que ces trois courants sont unanimes pour dénoncer l’antisémitisme, d’ailleurs le courant de Jean Grave est celui qui après l’Affaire reste le plus vigilant et le plus mobilisé contre l’antisémitisme, au nom précisément de l’éthique libertaire.

Tu évoquais des actions significatives des anarchistes ?

Jean-Marc Izrine : J’en retiendrai deux. Il y a tout d’abord celle du 17 janvier 1898 quand anarchistes et allemanistes cassent physiquement un meeting antisémite à Paris ; cette action est fondamentale, les ligues antisémites ne se sentent plus intouchables. La seconde est le fait du courant syndicaliste révolutionnaire et de Fernand Pelloutier. Après la tentative de putsch menée par Déroulède en février 1899 et l’attaque du 4 juin contre le président de la république Loubet, la gauche se mobilise pour la défense de la république et contre l’action des ligues antisémites. Les anarchistes mobilisent la CGT lors d’une grande manifestation pour la sauvegarde de la république. Le débat se pose déjà sur la question du front républicain et des alliances.

L’Affaire Dreyfus pose également la question du sionisme, et des rapports des libertaires au sionisme ?

Jean-Marc Izrine : Bernard Lazare par exemple qui explique que les Juifs seront toujours victimes de l’antisémitisme en Europe évolue vers le sionisme mais il rompt rapidement avec Herzl et le Congrès sioniste mondial. S’il existe un sionisme anarchiste, ce n’est pas le sionisme d’État mais la volonté d’un foyer national, de l’expression du droit des Juifs à vivre en paix avec leur entourage. Pour ce qui est des militant(e)s d’Alternative libertaire qui revendiquent une identité juive, nous nous affirmons clairement antisionistes.

Pour finir, je voudrais dire qu’il y a des courants politiques, négationnistes, sionistes, sociaux-démocrates, qui, pour des raisons différentes ont intérêt à stigmatiser les anarchistes sur la question de l’antisémitisme. Pour les sociaux-démocrates c’est un moyen facile de criminaliser l’action et la pensée radicale en disant que les libertaires sont antisémites depuis Proudhon. Pour notre part, nous sommes très clair(e)s, la logique et l’éthique libertaire ne permettent aucune tolérance vis-à-vis de l’antisémitisme, nous sommes antiracistes point à la ligne, il n’y a aucun arrangement, aucune discussion possible avec des antisémites, nous les combattons.


EN SOUSCRIPTION

Les Libertaires dans l’Affaire Dreyfus

L’ouvrage de notre camarade Jean-Marc Izrine sera très prochainement disponible. Il retrace l’engagement des anarchistes dans le combat contre la condamnation du capitaine Dreyfus et au delà, contre la peste antisémite. L’occasion également de faire revivre les débats et les polémiques suscités par l’Affaire dans le mouvement ouvrier de l’époque et de découvrir la personnalité du défenseur d’Alfred Dreyfus, l’anarchiste Bernard Lazare.

Jean-Marc Izrine, Les Libertaires dans l’Affaire Dreyfus, Éditions Alternative libertaire/Le Coquelicot, 128 pages, illustré. 13 euros, chèques à l’ordre de « Le Coquelicot ». À renvoyer à : Le Coquelicot, BP 4078, 31029, Toulouse cedex 4.


DE NOUVEAU DISPONIBLE

Jean-Marc Izrine, Les Libertaires du Yiddishland, éditions Alternative libertaire/Le Coquelicot, 96 pages, 11 euros. À commander en nous écrivant à Alternative libertaire, BP 177, 75967 Paris cedex 20. Chèque à l’ordre d’Alternative libertaire.

 
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