Groupe de Travail Economie de l’UCL

La crise du coronavirus n’est pas une crise économique comme les autres




Au programme de ce bulletin économique, l’accroissement mondial du chômage et ses conséquences sur les transferts de fonds internationaux, une analyse sur la nature de la crise économique que nous traversons et une mise à jour sur les dernières mesures économiques gouvernementales

Selon un rapport récent (22 avril) de la Banque Mondiale, [1] les transferts d’argent des diasporas vers les pays les plus pauvres devraient largement se tarir cette année, sous l’effet combiné de la crise du covidè19 (et donc aussi de la fermeture de nombreuses agences de transfert comme Western Union ou MoneyGram), de la dépréciation de l’euro par rapport au dollar et de la chute des cours du pétrole. Ce serait particulièrement le cas pour les pays d’Europe et d’Asie Centrale bénéficiaires (Ukraine principalement, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan dans une moindre mesure), avec une baisse moyenne d’environ 28% de ces transferts. La tendance à la baisse est également forte vers les pays de l’Afrique subsaharienne (-23,1% en moyenne) ou d’Asie du Sud (-22% en moyenne). La région MENA (Moyen-Orient & Afrique du Nord) ainsi que l’Amérique Latine et les Caraïbes sont impactées fortement aussi, avec respectivement 19,6% et 19,3% de diminution des transferts en moyenne. Quant à l’Asie de l’Est et au Pacifique, elle reste la région la moins impactée en apparence, avec une baisse prévue de “seulement” 13% en moyenne. Pour autant, même la Banque Mondiale s’inquiète de « la survie des ménages » dans “plusieurs pays dépendants de ces flux, à l’instard des îles du Pacifique”.

Notre intérêt pour ces données n’est pas fortuit. Comme le soulignent les experts de l’institution supranationale, « d’habitude, ces flux ont tendance à être contracycliques, les travailleurs émigrés envoyant davantage d’argent en période de crise et de difficultés chez eux ». Cette baisse témoigne donc d’une crise qui touche l’ensemble de la planète sans distinction et à une ampleur inconnue jusque là. Plus particulièrement, les personnes exilé-es qui sont à l’origine de ces transferts d’argent occupent généralement les places les moins enviables du salariat, voire de l’auto-emploi informel, avec des revenus bas et des statuts souvent précaires et travaillent de plus dans des secteurs fortement touchés par la crise et les mesures de confinement : le bâtiment, la restauration, le transport, la vente au détail, l’entretien et la manutention. Cette prévision de la Banque Mondiale anticipe donc une dégradation massive, généralisée et grave des conditions de vie des franges du salariat les plus exploitées, y compris dans les économies capitalistes les plus avancées, comme celle de la France. D’ailleurs, une fois n’est pas coutume chez les capitalistes, les experts préconisent que « dans les pays d’accueil, les mesures sociales doivent couvrir également les migrants » afin d’atténuer l’impact de la crise qui se profile.

Dans les pays de départ

les transferts de fonds internationaux lourdement impactés par le chômage

(bénéficiaires de ces transferts internationaux d’argent), les conséquences attendues sont très inquiétantes. Au Mali par exemple, ces flux d’argent représenteraient a minima plus d’un milliard de dollars et pourraient atteindre des sommes beaucoup plus importantes en réalité, dont 30% proviennent de la diaspora installée en France (120 000 personnes). [2] Certains économistes font même des estimations qui pourraient ainsi représenter le tiers du PIB du pays. Une baisse d’environ un quart de ces flux signifierait donc d’emblée une baisse de la richesse du pays d’au moins 8%, sans même parler de la désorganisation de la production sur place, déjà bien entamée par les conflits au Nord.

Concrètement, il est difficile de projeter toutes les conséquences que cela aurait sur les conditions de vie au Mali, où le taux d’extrême pauvreté atteignait 42,7% en 2019. D’autres pays sont dans des situations comparables,
notamment le Sénégal ou encore la République Démocratique du Congo (RDC), d’autant que la dépréciation de l’euro par rapport au dollar désavantage encore un peu plus les diasporas installées en Europe et les familles qui en dépendent.

En effet, ces transferts internationaux sont indispensables pour beaucoup de pays d’émigration, où ils aident les familles restées sur place à assurer leurs dépenses alimentaires, de santé, d’éducation et autres besoins essentiels. La chute de ces transferts risquent de signifier à court terme, et entre autres conséquences, une augmentation sensible de la misère, de la faim et de la malnutrition, du travail des enfants et des personnes vulnérables…

planet sous covid

« Qu’importe la réalité économique, pourvu qu’on ait l’ivresse des marchés »

Les marchés boursiers continuent leur étonnante remontée, en dépit des nouvelles les plus catastrophiques de l’économie réelle sur le plan du chômage et de la récession. [3] L’idée qui semble prédominer est que le plus dur de la crise sanitaire est déjà derrière nous, et qu’il s’agit donc d’une période propice étant donné les cours relativement faibles, pour réaliser des investissements plus ou moins risqués. Dès lors, on peut penser que la rechute sera d’autant plus brutale si une seconde vague de la pandémie se profile…

Parallèlement, les plans de relance massifs lancés par les États et les banques centrales ont fini par calmer les fluctuations financières, tandis que la crise paraît avoir une « fin » bien identifiée avec les plans de déconfinement annoncés par les États. Le raisonnement est qu’une fois le confinement levé, la demande des ménages va retrouver son niveau normal. Une croyance alimentée par bon nombre d’économistes de gauche. En réalité, l’économie mondiale est encore plus complexe et intégrée qu’elle ne l’était en 2008, ce qui rend chaque pays de plus en plus dépendant des autres et la reprise de l’économie n’en sera que d’autant plus difficile. [4]

La sphère financière semble ainsi exprimer, d’une manière rarement atteinte, sa connexion de plus en plus indirecte vis à vis de l’économie productive : plutôt que d’exprimer directement, de manière « brute », les fluctuations de l’économie réelle, la finance fait des paris sur cette dernière. Paradoxalement, les chiffres catastrophiques du chômage américain ont même fait grimper les cours boursiers français, les principaux acteurs se disant que la situation pourrait difficilement empirer. [5] [6]

La situation montre ainsi davantage chaque jour que la crise que nous traversons n’est pas apparentée à celle de 2008 [7] : elle s’approfondit brutalement dans l’économie productive malgré des marchés financiers relativement optimistes malgré la situation. Cette crise est brutalement matérielle : elle réside dans la baisse de la demande due au chômage et à l’incertitude face à l’avenir, dans la fermeture des lieux de production, et pas dans la démesure des marchés financiers.

Et de ce point de vue, les idéologues et économistes réformistes ne sont pas aussi à l’aise qu’ils en ont l’air : la crise que nous vivons n’aurait pas pu être évitée par une réglementation accrue du secteur financier. Elle réside beaucoup plus profondément dans l’incapacité fondamentale du capitalisme à planifier les réponses aux événements imprévus, aboutissant à des situations absurdes où d’innombrables petites entreprises doivent fermer définitivement à cause d’une épidémie dont on sait pourtant qu’elle finira par s’arrêter.

L’irrationalité et l’aliénation capitalistes s’étalent devant nos yeux : personne ne veut que les petites entreprises ferment, mais cela arrive quand même parce que l’économie, qui est pourtant une création humaine, échappe largement à toute décision rationnelle de la collectivité. Chaque unité de production est livrée à elle-même, et les géants du pétrole ou de l’aéronautique retiennent davantage l’attention des États bourgeois que le bistrot au coin de la rue dont les finances sont asséchées parce que l’État lui a interdit d’ouvrir. La seule réponse des réformistes comme des communistes autoritaires, c’est « de l’État, de l’État et toujours plus d’État ». Mais est-ce que cette institution qui est largement la cause de nos problèmes saura en être la solution ? Est-ce que l’on préfère la mainmise des hauts fonctionnaires et des politiciens à celle des PDG et des actionnaires ? C’est à nous de décider ce qu’on produit et comment on le produit. Et peut-être qu’on échappera enfin aux crises économiques comme aux crises sanitaires.

Partout dans le monde, l’explosion du chômage

Depuis quelques semaines, la production dans l’industrie et la construction augmente, de même que la circulation du fret, quoique de manière encore assez lente.

Les branches non autorisées à reprendre (hébergement-restauration, activités culturelles et sportives, certains modes de transports...) représentent environ 5 % du PIB et 5 points des 33 % de pertes d’activité globale estimées.

En France comme ailleurs, les conséquences sont lourdes pour les travailleurs.ses avec la menace du chômage. La baisse de l’emploi dans le privé est estimée à - 2,3 %, c’est-à-dire 450 000 destructions d’emplois sur le trimestre, dont 300 000 emplois intérimaires. Pôle Emploi, annonce 243 000 demandeurs d’emplois en plus en mars 2020, soit + 7.5% par rapport à Février.

Même constat chez nos voisins : en Espagne, le ministère du travail annonce une hausse d’un peu plus de 300 000 demandeurs d’emploi en mars 2020, soit +9 % par rapport à février 2020.

En Allemagne, le centre de recherches de l’Office pour l’emploi allemand, projette 520 000 demandeurs d’emplois en plus en 2020.
Au Royaume Uni, entre le 16 mars et le 13 avril, 1,8 millions de personnes ont demandées le versement du crédit universel, une allocation conditionnée à la recherche d’emploi ou à la formation. Selon l’Office for National Statistics, 27 % des salarié.e.s auraient été mis en congé entre le 23 mars et le 5 avril, 40 % des entreprises ont réduit leurs effectifs et 29 % ont réduit les heures de travail. La Bank of England a par ailleurs publié une prévision de récession jeudi 7 mai qui table sur un recul de 14% du PIB sur l’année 2020, soir la pire récession depuis 300 ans. [8]

Aux États-Unis, les nouvelles demandes s’élèvent maintenant à plus 30 millions : cela représente plus de 18 % de la population active et 19 % de la population avec emplois. [9]

Dans de nombreuses autres régions du monde, le taux de chômage est très difficile à estimer parce que l’État ne le calcule pas lui-même et surtout parce qu’une part très importante de l’économie se déroule dans la sphère informelle. Dans une part importante des cas, ce sont là des pratiques “d’auto-emploi” (45% de l’économie informelle dans le monde, plus de 80% dans la plupart des pays africains) qui visent la survie. L’OIT estime à 2 milliards le nombre de personnes impliquées dans l’économie informelle et considèrent que 80% de ces personnes (soit 1,6 milliard de travailleurs) vont être gravement impactées par la crise du covid-19 et les mesures de confinement, à commencer par les femmes. [10] Nous développerons cet aspect dans les prochaines publications du groupe de travail.

On peut ajouter que si beaucoup d’institutions et d’experts tablent sur une forte reprise pour 2021, il nous apparaît que plusieurs éléments pourraient remettre en cause l’importance de ce probable rebond pour l’an prochain (risque de deuxième vague, fermeture d’entreprises, rupture des chaînes de production et de distribution, pas de rattrapage de la consommation sur tous les secteurs…). Et nous pourrions ajouter que la certitude affichée est bien présomptueuse en des temps si troublés...

France : des mesures de soutien empoisonnées ?

En France , Lundi 4 mai, Edouard Philippe annonce une aide exceptionnelle aux étudiants qui ont perdu leur emploi ou leur stage. Les étudiants ultramarins bloqués en France et 415 000 jeunes « précaires » qui touchent les APL gagneront la même somme fin juin : 200 euros, ce qui représente une misère.
Le gouvernement planche aussi sur un dispositif favorisant l’embauche des jeunes diplômés arrivant sur le marché du travail. Un nouveau « smic-jeune » semble écarté, ce serait plutôt l’occasion de nouveaux allègements de cotisations sociales. A suivre, les « partenaires sociaux » sont consultés.

Concernant les intermittents du spectacle, l’année blanche est promise (avec le maintien du niveau de revenu prolongé d’un an) par Macron, dans un discours qui a semblé bien lunaire (avec un plan très flou de financement artistique... ) mais il faudra bien surveiller les modalités de mise en œuvre, et les éventuelles contreparties.

Dans l’éducation, avec l’expérimentation grandeur nature de la continuité pédagogique, Blanquer se lance dans un chantier de destruction de l’enseignement public en plusieurs axes dont : généralisation des cours magistraux virtuels, comme si les interactions entre étudiants et enseignants n’était pas nécessaire, en particulier pour les jeunes des milieux les moins favorisés socio-culturellement. La gestion par des entreprises privées de tout ce qui est dématérialisé. La décentralisation sur les municipalités des études culturelles et sportives (sous couvert d’aide aux intermittents et artistes).

Le gouvernement continue d’amplifier son plan de soutien aux entreprises. Il prolonge à juin la suspension des cotisations sociales pour les TPE (moins de dix salariés) mais réduit de 100 à 90% le remboursement du chômage partiel aux patrons à partir de juin. Mesure assumable pour les grandes entreprises mais plus douloureuse pour les petites qui sont ainsi poussées à reprendre l’activité coûte que coûte.

Dans le même temps, parallèlement aux annonces de réductions du chômage partiel dès le début du mois de juin, Muriel Pénicaud annonce que la loi sera changée pour qu’il entre en compte pour la retraite, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.C’est la première fois que le chômage partiel est massif et durable et que le problème est donc posé. Ce qui est certain c’est que la question de l’indemnisation du chômage et surtout de son financement sera cruciale dans les mois qui viennent avec la probable explosion du nombre de privés d’emploi.

Au niveau européen, la principale nouvelle vient de l’accord trouvé a minima, samedi 9 mai : les pays de la zone Euro ont trouvé un accord commun sur l’utilisation du MES (mécanisme européen de stabilité) mis en place après la crise de 2008 pour garantir la sauvegarde de la monnaie unique.

Chaque État pourra emprunter à ce fond jusqu’à 2% de son PIB, mais uniquement pour les dépenses de santé liées au COVID-19. Ainsi, pour le moment, l’UE semble incapable de trouver un accord pour un plan de relance économique commun, et laisse place aux égoïsmes nationaux. [11]


Cette note a été réalisée par le groupe de travail Économie de l’UCL, visant à synthétiser les données essentielles sur la situation économique que nous traversons avec la crise du coronavirus. Elle a évolué sous une forme de bulletin, structuré en plusieurs articles de tailles diverses. Elle est aussi sourcée et factuelle que possible, et vise à mettre en lien les principales données sur la conjoncture économique avec des analyses politiques et sociales plus générales. Elle a néanmoins été réalisée par des militants qui ne sont pas des professionnels de l’économie. N’hésitez pas à faire tout retour constructif.


Vous pouvez consulter la note précédente ici.

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