VIIIe congrès d’Alternative libertaire - Agen - octobre 2006

La lutte des classes se mène au niveau international !




1. La lutte des classes se mène au niveau international !

Si le commerce international existait bien avant que l’on puisse parler de capitalisme, les choix stratégiques effectués par les multinationales et les États pour sortir de la crise économique rampante qui a marqué la fin des Trente Glorieuses ont véritablement changé la donne en ce qui concerne la place des relations internationaleS dans les rapports de classes. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec William Pfaff, directeur du Social Science Research Council à New York et chroniqueur depuis plus de vingt ans à l’International Herald Tribune, quand il écrit dans ce même journal, le 30 mars 2006, dans un article intitulé « Capitalism under fire » : « La mondialisation, dont une des conséquences primordiales a été de faire entrer les travailleurs des sociétés développées en compétition avec ceux des pays les plus pauvres du monde, a amené des changements radicaux [...] Je me contenterai de citer l’économiste classique David Ricardo et sa “loi d’airain des salaires”, qui veut que lorsqu’il existe une compétition salariale et que les ressources humaines sont illimitées, les salaires baissent à un niveau situé juste au dessus de la simple survie. Jamais auparavant les ressources humaines n’avaient été en quantité illimitée. Elles le sont désormais grâce à la mondialisation - et ce n’est qu’un début. »

Car la mondialisation capitaliste vise précisément et uniquement, en mettant en concurrence les législations sociales et environnementales, à faire baisser partout les normes protectrices pour permettre à une petite minorité de maximiser à court terme ses profits. Cette mise en concurrence est un des éléments fondamentaux qui ont permis aux capitalistes de mener cette offensive tous azimuts contre la protection sociale, les législations sociales, les droits à la retraite, les salaires, bref tous les aspects de la vie des travailleurs. Avec l’écroulement des régimes de l’Est ou l’alignement de partis communistes (exemple de la Chine, du Vietnam,...), le capitalisme occidental s’est offert de nouveaux territoires de chasse au sein desquels la question des réformes prend la forme de la liquidation de toutes les « contraintes d’État » susceptibles de créer des entraves à leurs exigences sans limite.

Les institutions internationales comme le FMI (Fond Monétaire International), la Banque Mondiale ou l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) sont les instruments que les capitalistes se donnent non seulement pour réguler leurs divergences d’intérêts, mais surtout pour étendre leur emprise sur toutes les régions du monde et sur tous les aspects de la vie humaine. En particulier, les gouvernements des pays du Sud, via le FMI et la Banque Mondiale, sont soumis à des pressions considérables pour leur faire imposer à leur population les recettes ultra-libérales. L’OMC, quant à elle, constitue le principal instrument pour organiser au niveau planétaire la soumission de toutes les législations aux impératifs économiques des capitalistes et pour combattre toute velléité gouvernementale de mener une politique en contradiction avec les intérêts capitalistes.

Pour maintenir leur hégémonie, les capitalistes jouent sur tous les ressorts qui permettent de diviser les peuples, de masquer leurs responsabilités. Et quand cela ne suffit pas, sous le contrôle de l’appareil politico-militaire US, est mise en action la politique impériale du capitalisme. Mais l’ensemble de ces mécanismes constituent une et une seule politique sous ses différentes facettes : facette idéologique avec « l’axe du mal » de George Bush ou la « théorie » dite du choc des civilisations (dont il faut réaffirmer qu’il ne s’agit que d’une imposture visant à légitimer la brutalité de l’impérialisme occidental) ; facette économique avec l’expansionnisme de toutes les multinationales, qu’elles soient d’origine occidentale ou non ; facette institutionnelle avec l’OMC, le FMI, la Banque Mondiale ; facette militaire avec les interventions dans les pays du Sud, quand un gouvernement, un dictateur ou un groupe politique échappe un peu trop à leur emprise. Concernant ce dernier point, il faut signaler que jamais la question des droits de l’homme, invoqués pour justifier l’intervention, ne constitue un élément de décision. Le financement de groupes fondamentalistes ou de dictatures est une constante des politiques impérialistes, à chaque fois que cela est pensé comme pouvant affaiblir les opposants au capitalisme international.

Cette logique crée toutefois des tensions sociales dans toutes les régions de la planète. Parmi les stratégies mises en place pour diviser les travailleurs et masquer les conflits de classes, il en est une qui prend une place de plus en plus déterminante aujourd’hui : l’idéologie du « choc des civilisations » entre le monde occidental et le monde islamique. Dans nos pays se développe un racisme spécifique concernant les populations originaires des pays où la religion musulmane est majoritaire. Ce racisme qui sert de base idéologique aux politiques sécuritaires est de façon évidente un facteur efficace de division des classes populaires et sert à affaiblir les luttes sociales. Il pourrait être montré un effet miroir dans les pays du Sud à majorité musulmane de cette opposition au monde occidental qui « maltraite les musulmans » et qui y sert là aussi d’outil pour masquer les conflits de classes au profit d’une solidarité structurée autour d’organisations religieuses, qu’elles soient fondamentalistes ou non. Et à ce niveau, ce n’est plus entre les habitants d’un même pays que la gestion de cette opposition est effectuée. De la permanence de réflexes néo-coloniaux dans les pays du Nord à l’émergence d’un pseudo-nationalisme religieux laminant toute opposition laïque dans les pays du Sud, nous sommes confrontés à une difficulté majeure dans la construction d’une solidarité de classe au niveau international.

2. Le mouvement social au niveau mondial

Loin de nous l’idée de faire un état des lieux précis de toutes les luttes sociales qui se sont déroulées ces dernières années ou qui ont lieu à l’heure actuelle dans le monde. Encore moins de répertorier toutes les organisations syndicales ou politiques actrices de ces combats. Mais certaines grandes lignes se dessinent et permettent d’avoir des clefs pour comprendre les enjeux internationaux dans les rapports de force entre dominants et dominés.

2.1 Un pôle syndical mondial d’intégration au système capitaliste

En Europe, la Confédération européenne des syndicats (CES) a depuis plusieurs années, à travers ses prises de position, choisit le camp capitaliste en défendant un syndicalisme d’aménagement et d’accompagnement social. C’est sans surprise que des organisations françaises telles que la CFDT, FO ou la CGT s’y retrouvent.
En apparence, le syndicalisme international est plus complexe. Trois grandes orientations ou courants s’y dessinent :
 La Fédération syndicale mondiale (FSM), vieil avatar de l’empire soviétique déchu, affiche depuis sa création en 1945, une volonté de promotion d’un syndicalisme de lutte autonome des pouvoirs constitués, mais la présence en son sein de syndicats cubains, vietnamiens ou syriens, parties prenantes de l’exploitation étatique dans leurs pays respectifs, ne semble pas contradictoire avec son orientation affichée ;
 La Confédération internationale des syndicats libres (CISL), créée en réaction à la FSM pro-soviétique, et donc pilotée en sous main par les États-Unis, elle s’est peu à peu imposée comme interlocutrice des instances internationales du travail, telles que le Bureau International du Travail ou l’Organisation Internationale du Travail ;
 la Confédération mondiale du travail, créée en 1968, héritière de la Confédération internationale des syndicats chrétiens, est, pour l’heure, essentiellement présente sur le continent africain et en Amérique du Sud Un processus de rapprochement/fusion entre la CISL et la CMT, devant déboucher en novembre 2006, à Vienne, sur la création d’une nouvelle Confédération syndicale internationale, devrait encore amplifier le poids de la voie syndicale qui a choisi l’intégration aux valeurs du marché plutôt que le combat pour l’obtention de nouveaux droits sociaux. Il est à noter que la direction confédérale de la CGT française est fortement engagée dans ce processus de fusion, sans que cela fasse l’objet d’un véritable débat interne dans la confédération.

2.2 Des syndicats de lutte nombreux mais dispersés

Face à ces pôles syndicaux intégrateurs, le syndicalisme de résistance ou de lutte, quand il existe, a du mal à se faire entendre et à peser politiquement à l’échelle internationale. Étant donné sa diversité de taille tout d’abord, allant de grosses organisations comme la CGT espagnole (plusieurs dizaines de milliers d’adhérents) à de petites structures alternatives au sein du PGFTU palestinien par exemple, les rapports de force dans les pays d’implantation respectifs ne permettent pas à ces organisations de pouvoir s’exprimer au niveau international. Ainsi, l’activité internationale de la CGT espagnole est importante (avec l’Amérique du Sud notamment) tandis que d’autres structures sont quasiment isolées dans leurs pays.

Ensuite, du fait de la diversité des orientations syndicales, les voix qui s’expriment ne sont pas toujours concordantes. Si la SAC suédoise est anarcho-syndicaliste, une union syndicale comme Solidaires en France privilégie une stratégie de transformation sociale, ne conditionnant pas l’adhésion dans ses rangs à une orientation politique préalable.

Étant donné leurs différences, ces organisations, si elles participent toutes à des combats anti-libéraux ou anti-capitalistes, ne pèsent pas en tant que telles et les luttes syndicales internationales sont dérisoires. Notons tout de même des exceptions, comme en atteste le succès de certaines eurogrèves (avec la victoire récente des dockers européens qui a démontré que l’action directe de rue restait efficace) ou encore des actions internationales par secteurs professionnels, comme dans les chemins de fer (cf. à cet égard les actions de Sud Rail).

2.3 La continuité des mouvements sociaux et de l’altermondialisme

Si les organisations syndicales de lutte ont du mal à exprimer les colères suscitées par les inégalités dans le monde, celles-ci s’expriment à travers maintes et maintes luttes, et pas seulement lors des rendez-vous altermondialistes. Nous pouvons noter quelques signes forts des combats qui se déroulent contre le capitalisme mondial, et la diversité de ceux-ci. Si, dans les pays occidentaux, les contres sommets anti-G8 ont connu des temps forts à Gênes en 2001 et à Evian en 2003, ces rendez-vous altermondialistes rencontrent moins d’écho à l’heure actuelle, alors que les forums sociaux mondiaux connaissent une très forte audience populaire dans les pays du Sud, comme en attestent ceux de Porto Alegre, de Caracas, de Bamako ou de Delhi. Si les divergences politiques sont nombreuses à l’occasion de ceux-ci, il reste que leur popularité démontre la vivacité des idées antilibérales et/ou anticapitalistes, et de la nécessaire solidarité à construire contre les impérialismes qui mettent sous leur coupe les richesses mondiales.

En Amérique du Sud, des expériences autogestionnaires suite à des réappropriations d’usines, comme ce fut le cas en Argentine, le mouvement des sans terre au Brésil, démontrent que les luttes menées sur des bases de démocratie directe, mettant en œuvre des actions directes contre les propriétaires capitalistes, sont populaires et capables de se développer en dehors des organisations politiques ou syndicales traditionnelles. L’auto-organisation est au cœur de ces luttes.

Les communautés autonomes et autogérées des indigènes au Mexique, en lutte contre les différents gouvernements depuis plus de dix ans, sont confrontées à la difficulté d’allier la gestion quotidienne de ces communautés dans un climat hautement répressif et le projet d’émancipation à long terme. Mais leur lutte reste exemplaire par sa durée, par la voie autogestionnaire qui est choisie et par l’expérimentation quotidienne de la démocratie directe. Moins connues et moins visibles, les très nombreuses grèves et luttes sociales menées par les ouvriers chinois, pris en étau entre un capitalisme des plus sauvages qui peut compter sur un État chinois autoritaire très répressif pour mener à bien ses intentions. Lorsque l’on sait que les grands dirigeants internationaux ont pour « modèle » la Chine, de telles luttes ne peuvent être que porteuses d’espoir.

Les luttes féministes sont elles aussi très vivaces. Les campagnes récentes de la Marche mondiale des femmes contre les violences faites aux femmes, pour le droit à l’appropriation de leur corps et pour l’obtention de droits sociaux marquent la réalité de la domination et des violences dont les femmes sont victimes dans le monde. En outre, des organisations comme RAWA en Afghanistan permettent à des femmes de lutter contre l’impérialisme occidental et son allié, l’intégrisme religieux...
L’ampleur des fronts de lutte à l’échelle internationale, leur plus ou moins grande capacité à peser sur le cours des événements marquent ces dernières années et ces derniers mois l’actualité des combats internationaux. Les militant(e)s anarchistes et communistes libertaires sont très souvent acteurs des combats contre l’ultra-libéralisme et son pendant guerrier. Loin de promouvoir et de défendre, à l’instar d’autres courants révolutionnaires (et nous pensons au trotskisme en premier lieu), une Internationale politique dont les promoteurs disent qu’elle permettrait au prolétariat mondial d’avoir une organisation les représentant et luttant pour eux, les militants communistes libertaires défendent la nécessité d’une organisation internationale dans le respect de leur culture politique et de leur rythme militant.

3. L’exemple de SIL

Le réseau Solidarité Internationale Libertaire, né en 2001 à Madrid à l’initiative de la CGT espagnole, et pour lequel Alternative Libertaire s’est mobilisée dès le début, a pour but de réaliser des projets concrets de solidarité internationale. Par sa nature même de réseau, elle regroupe des organisations hétérogènes, aussi bien organisations politiques, des syndicats que des communautés indigènes autogérées.

À son actif, une campagne de solidarité et de soutien aux libertaires d’Amérique du Sud, pour permettre à la FAG du Brésil et à la FAU d’Uruguay de se développer et de réaliser certains de leurs projets. En mai 2003, des camarades brésilien et uruguayen sont venus en Espagne et en France pour parler de la situation politique et sociale dans leur sous-continent en lutte.

Cependant, le réseau SIL est depuis plusieurs mois en « sommeil », et quasiment aucune action n’est entreprise. Si ces difficultés sont liées en grande partie à un manque de temps des camarades de chaque organisation pour mettre en œuvre des actions de solidarité, cela doit également nous interroger sur les buts de ce réseau. En un mot, et loin de toute idée polémique, la nécessaire mise en place de ces solidarités est-elle suffisante pour que la voix des libertaires, et plus particulièrement des communistes libertaires, soit réellement perceptible à l’échelle internationale ? Nous avons vu l’écho rencontré par ces idées lors du Forum Social Libertaire de 2003 à Paris.

Il nous semble donc nécessaire de réfléchir aux moyens qui pourraient être envisagés pour que des organisations communistes libertaires trouvent un support d’expression leur permettant à la fois de présenter leur analyse politique internationale, mais aussi de débattre entre elles de l’actualité des thèses communistes libertaires et, à chaque fois que cela sera possible, de mener des campagnes politiques au niveau international. C’est le minimum pour que nos idées puissent être partagées par de plus en plus de personnes dans le monde.

L’International au sein de l’AL

Outre l’implication constante de nombreux camarades dans des contre-sommets altermondialistes, dans le mouvement anti-guerre ou bien dans des missions civiles en Palestine, l’activité internationale de l’organisation est l’œuvre du secrétariat aux relations internationales. Les camarades du SRI ont, ces deux dernières années, relayé beaucoup d’informations sur les mobilisations internationales via la liste fédérale, suivi les collectifs dans lesquels AL est impliquée (mouvement anti-guerre, Palestine...) ou fourni des articles au mensuel Alternative Libertaire.

Mais nous devons passer à un niveau supérieur et renforcer ce secteur politique de notre organisation. Comme l’actualité toute récente concernant la guerre au Liban le démontre, nous devons être capables de nous exprimer non seulement sur la scène nationale, en participant aux mobilisations et en étant présents dans leur préparation, mais aussi de travailler avec nos organisations sœurs pour faire entendre notre point de vue plus largement à travers le monde.

 
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