Le communisme libertaire aurait-il mieux affronté l’épidémie ?




Le coronavirus a puissamment révélé les tares du capitalisme
et de l’État. Mais une société communiste libertaire aurait-elle fait mieux ? Se serait-elle montré plus résiliente ? On peut répondre oui, à 90%. Et s’interroger sur les 10% restants.

Les atouts indéniables

Prévenir le démarrage de ­l’épidémie. Le capitalisme, en poussant à la déforestation, à l’élevage intensif et à la destruction des habitats naturels, multiplie les risques de transmission d’un agent pathogène de la faune sauvage au bétail, puis à la population humaine [1]. Une société écologique réduirait fortement ce risque. Il faut commencer par rappeler cela.

Si, malgré tout, un virus se répand, l’alerte et l’endiguement doivent intervenir le plus vite possible. Et, de ce point de vue, la transparence politique serait bien plus efficace que l’opacité. Dans un système autogestionnaire, il peut certes y avoir des négligences, à l’échelle d’un service, d’un labo, d’un organisme, qui retardent la détection du péril. Mais il n’y a pas de bureaucratie ayant intérêt à camoufler le problème, comme ça a été le cas à Wuhan lorsque les autorités régionales chinoises ont voulu bâillonner les lanceurs d’alerte  [2].

Enfin, dans une société communiste libertaire, visant l’autonomie productive, les échanges de biens intercontinentaux seraient drastiquement réduits – ainsi que, souhaitons-le, l’industrie du tourisme de masse. L’épidémie serait plus donc facilement circonscrite à une région ; le capitalisme mondialisé, lui, en a fait une pandémie.

Amortir le choc. S’il n’était pas soumis à la loi du marché, le ­système hospitalier serait plus robuste : pas de sous-effectif, un maillage territorial fin, des réserves de lits, de masques, etc. Et quand on a les moyens d’affronter une épidémie, il n’y a pas besoin de mentir (« les masques ne servent à rien ») pour camoufler les défaillances. En cas de carence, l’autonomie productive permettrait d’accélérer en urgence la fabrication de masques, de tests, de respirateurs… et de les distribuer selon les besoins : massivement et ­gratuitement.

Si le travail n’était pas une marchandise, mais reposait sur l’utilité sociale, il n’y aurait pas de souci pour compenser, en congés bien mérités, le surcroît de travail demandé aux travailleuses et ­travailleurs de « première ligne ». D’autant que le temps de travail serait, à la base, mieux réparti : sans chômage, moins d’heures de travail par personne, donc moins d’épuisement à la clé.

Sans une classe patro­nale pour entraver l’arrêt des activités non essentielles, pas de sabotage de l’effort collectif, ni de profiteurs de crise (un tiers des salariées déclarées en chômage partiel ont en réalité travaillé tandis que leurs patrons empochaient l’aide publique) [3].

Si l’habitat n’était pas une marchandise mais un service public, les logements seraient attribués en fonction de la taille des familles et de la proximité domicile-travail. Cela implique des confinements dans des espaces nettement moins surpeuplés ; et pour celles et ceux devant travailler, des déplacements moins longs, donc moins risqués.

Combattre le virus. Une centaine de programmes travaillent de façon cloisonnée à un vaccin contre le coronavirus. Si l’in­dustrie pharmaceutique était socialisée, la coopération remplacerait la concurrence. Le médicament ne serait plus une marchandise brevetée, mais un bien commun produit en fonction de son utilité sociale. La recherche pourrait ainsi être orientée vers le long terme, au lieu de se concentrer sur l’exploitation de segments lucratifs. La découverte d’un remède serait ainsi beaucoup plus rapide.


Les interrogations

La rapidité de décision ? Si, pour enrayer une épidémie, il faut en passer par des mesures d’endiguement drastiques (quarantaine, confinement, suspension de la circulation...) la question du moment auquel on les décide est cruciale. Chaque jour perdu peut être lourd de conséquences. La difficulté, d’un point de vue démocratique, est qu’il faut les décréter suffisamment tôt, c’est-à-dire dans une phase où la crise n’est pas encore perceptible par le plus grand nombre, et donc où la population est supposée faire confiance à un organisme de veille épidémiologique habilité à lancer l’alerte.

Dans une société fédéraliste et autogestionnaire, comment cette alerte serait-elle reçue ? Avec attention, indifférence, suspicion ? Les instances mandatées aux échelons régional ou fédéral auraient-elles l’autorité morale nécessaire pour décréter un confinement sur la base d’une alerte scientifique, sans le faire approuver au préalable par la population ? Que se passerait-il si la population se divisait, une partie faisant le choix de la discipline, et une autre le choix inverse ? Faudrait-il des mesures de coercition ? En effet, le confinement est, comme la vaccination, une mesure de protection collective, qui n’a de sens que si elle est appliquée collectivement. 

Le bon échelon ? Plus glo­balement, dans une société fédéraliste, se poserait la question de l’échelon territorial devant décréter ces mesures. Que se passerait-il si, par exemple, la plupart des régions suivaient les recommandations de l’organisme de veille épidémiologique, mais qu’une ou deux régions, pour des raisons particulières, prenaient leur temps pour réfléchir ? L’échelon fédéral semblerait a priori plus adapté pour garantir une protection collective cohérente… mais lui non plus n’est pas infaillible.

Le rapport à la science ? Ces interrogations posent plus globalement la question du rapport que peut avoir la société à l’autorité scientifique. Les communistes libertaires ne veulent ni d’un gouvernement ni d’un auto­gouvernement fondés sur une prétendue autorité scientifique. La science doit pouvoir être ­discutée, débattue. Les opinions antiscientifiques, négationnistes et conspirationnistes qui s’exprimeraient devraient être circonscrites non par une interdiction légale bien sûr, mais par l’argumentation rationnelle et le consensus scientifique.

Cependant, on peut raisonnablement penser que, dans une société débarrassée des lobbys capitalistes, les scientifiques ne pourraient être soupçonnées de servir des intérêts particuliers. Dépourvu de base matérielle, le complotisme reculerait. Les alertes lancées par un organisme de veille épidémiologique pourraient être reçues avec confiance, et l’autodiscipline de la population serait encore plus forte que ce qu’on peut observer durant la crise actuelle.

Guillaume (Montreuil), Irène (Annecy), Simon (Rennes)


Les autres articles du dossier :

[1Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie »,
Le Monde diplomatique, mars 2020.

[2« “Il ne faut pas diffuser cette information au public” : l’échec du système de détection chinois face au coronavirus », Le Monde, 6 avril 2020.

 
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