Manifeste pour une Alternative libertaire

Le contre-pouvoir et la rupture révolutionnaire




La révolution libertaire n’est pas une simple révolution politique substituant une équipe dirigeante à une autre, ou transformant les termes de la Constitution. C’est une révolution globale, touchant toutes les formes politiques, culturelles, économiques de la société. C’est pourquoi nous parlons de révolution sociale.

Les conditions de la révolution - ce qui peut conduire un peuple et des peuples sur la voie d’un tel bouleversement - ne sont ni uniquement idéologiques, ni uniquement « objectives ». La révolution n’est pas l’aboutissement mécanique d’un développement des forces productives. Elle n’est pas non plus le pur produit d’un processus idéologique. Elle ne peut survenir qu’au terme d’une dynamique ayant à son cœur les pratiques sociales, les pratiques réelles des masses et des individus, leurs luttes, qui se déploient dans les conditions matérielles de chaque époque, et qui permettent une prise de conscience collective et l’émergence de projets de transformation de la société portés de plus en plus largement.

La révolution sociale est donc préparée par un processus historique où la prise de conscience des individus et des classes sociales est l’élément central, qui s’appuie sur une expérimentation concrète à travers les luttes de classe, les luttes émancipatrices, et leur auto-organisation. Nous nommons contre-pouvoir ce processus. C’est en faisant eux-mêmes l’apprentissage de l’autogestion que les travailleurs poseront les bases d’une société alternative. C’est parce que le capitalisme et l’État apparaîtront comme des cadres trop étroits, étouffant cette montée des aspirations et des pratiques autogestionnaires de la base de la société, que celle-ci s’armera du désir de révolution.

La liberté n’est pas pour nous une fin lointaine autorisant le recours à n’importe quel moyen, mais au contraire et le but et le moyen. C’est une dynamique d’action et de conscientisation que nous proposons, non sous la conduite de dirigeants aveuglément suivis, mais au contraire par l’autogestion de luttes où s’expriment et se réalisent la base et les individus.

Le contre-pouvoir est donc une stratégie politico-sociale de préparation des conditions de la révolution sociale qui s’inscrit dès maintenant dans les combats quotidiens. Elle s’appuie sur les luttes revendicatives en dépassant le cadre imposé par le pouvoir des classes dominantes pour développer des contre-pouvoirs à la base. C’est en se coordonnant et en se fédérant que ces contre-pouvoirs tendront à s’ériger en organisation alternative à l’État.

La rupture révolutionnaire est le produit de tout ce processus, qui peut s’étendre sur de longues années : c’est le renversement des pouvoirs institués, patronaux, étatiques, par le contre-pouvoir, qui devient le pouvoir nouveau. Elle s’appuie sur une dynamique de réappropriations à la base de la vie sociale et de la production, en leur offrant le cadre nécessaire à leur systématisation.

La rupture anticapitaliste est le produit de deux mouvements articulés, indispensables l’un à l’autre. Il n’y a pas rupture révolutionnaire s’il n’y a pas réappropriation des moyens de production par les travailleurs. Et donc la lutte dans les entreprises et plus largement autour des questions du travail et de la production est bien un front prioritaire pour la lutte révolutionnaire. Mais il n’y a pas non plus de rupture sans un second mouvement social qui se développe hors de la production, gagnant de larges pans de la population et touchant tous les rouages de la société. Et donc l’entreprise ne saurait être la seule priorité du combat révolutionnaire.

Le prolétariat - dans la définition large qui est la nôtre - est bien la classe motrice et inspiratrice de la révolution sociale. Mais elle ne sera pas nécessairement la seule classe à mener la révolution. Elle a objectivement intérêt à s’allier à d’autres catégories de la population afin de réaliser un large front anticapitaliste. Il s’en suit que le nouveau pouvoir ne sera pas exclusivement le pouvoir du prolétariat - même s’il y pèse de façon décisive - et encore moins sa dictature, mais le pouvoir d’un groupe social nouveau, produit des nouveaux rapports de production autogestionnaires, s’unifiant dans un statut de citoyen-travailleur participant à la direction socialisée de la production, des études, et de la société.

Ce nouveau pouvoir ne pourra s’étendre immédiatement à l’ensemble de la population où s’exprimeront aussi les adversaires de la nouvelle société. C’est d’ailleurs là une des contradictions majeures de la révolution autogestionnaire dans sa première phase : construire une démocratie incomparable, et devoir combattre une partie de la population regroupée autour des vestiges de l’ordre ancien. Mais la dynamique est celle d’une disparition progressive des différences de classe.

Il y a donc, après la rupture révolutionnaire, une succession de phases de construction, et la première phase est encore marquée par les divisions héritées du capitalisme. Mais dès les premiers jours ce sont des rapports de production collectivistes - communistes au sens authentique - qui tendent à se mettre en place déjà dans les grands moyens de production et c’est aussi sur le mode de l’autogestion que se réorganisent les services publics et les solidarités naguère ébauchés et contrôlés par l’État. Et celui-ci est immédiatement remplacé par une nouvelle forme de centralisation et de décentralisation dialectique : le fédéralisme. Il y a donc succession de transitions où s’approfondit la construction du communisme, mais absence d’une société de transition étatisée intercalée entre capitalisme et communisme et différente de l’un et de l’autre.

Dans tout ce processus révolutionnaire - qui commence par des pratiques quotidiennes de contre-pouvoir - le rôle d’un courant organisé anti-autoritaire nous paraît nécessaire. Nous refusons le rôle dirigeant que le léninisme attribue au parti révolutionnaire et qui conduit celui-ci à se substituer aux masses et finalement à imposer un système générateur de bureaucratie. Mais les révolutionnaires ont à jouer un rôle d’animateurs et de guides. Leur propagande entre dans la dynamique de prise de conscience de la population, en proposant une critique radicale du capitalisme et une systématisation du socialisme spontané des travailleurs. Leur action concertée, convergente, organisée, est nécessaire dans les luttes de classe pour aider au développement de l’auto-organisation et à l’émergence de projets alternatifs.

Cette intervention volontaire est une des conditions du développement d’un processus qui n’obéit à aucune loi « inéluctable », et où la spontanéité a déjà montré dans l’histoire son extraordinaire valeur mais aussi son incapacité à mener seule le renversement de la société et l’institution d’un socialisme libre.

La présence active d’un courant organisé anti-autoritaire peut être décisive pour éviter les déviations bureaucratiques : un courant ayant les moyens de se faire entendre massivement par les travailleurs et les jeunes, mais également fortement implanté, formé de nombreux militants actifs dans les mouvements sociaux, en situations d’animateurs écoutés et influents. Nécessité de l’organisation, qui ne doit pas faire oublier que celle-ci peut tomber à son tour dans le dirigisme quelque soit ses prétentions libertaires, et qu’une autovigilance de tous les instants est indispensable, ainsi qu’une autogestion de la structure militante permettant la direction collective de l’organisation par sa base immergée dans la société.

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