Écologie

Stratégies : Les chemins sinueux d’une convergence verte et rouge




En France, malgré un relatif foisonnement, la stratégie à long terme des luttes écologiques actuelles n’est pas toujours lisible. Un rapide portrait de deux courants ayant irrigué la gauche écologiste, l’écosocialisme et l’écologie sociale, offre des pistes aux communistes libertaires éco-furieux.

Issus de traditions différentes, respectivement marxiste et libertaire, l’écosocialisme et l’écologie sociale partagent des sources d’inspirations relativement similaires et se sont croisées à de nombreuses reprises. Il n’y a donc pas de concurrence entre eux. Les différences sont plutôt à chercher au sein de leurs champs d’interventions, respectivement mouvement ouvrier et milieux écologistes.

Aux origines de l’écosocialisme, il y a d’abord les idées de la nouvelle gauche qui introduit au sein du mouvement social dans les années 1960 et 1970 la thématique de l’écologie, mais il y a aussi une critique au sein du bloc de l’Est du modèle socialiste « réel ».

La thèse principale de l’écosocialisme est que les problèmes écologiques actuels sont structurellement liés au capitalisme. La volonté de progrès et de croissance infinie, l’incapacité du marché à prendre en compte autre chose que le profit à court-terme, le système est au mieux capable d’ajustements et ceux-ci sont clairement insuffisants pour faire face aux catastrophes.

L’écosocialisme défend la nécessité, au sein même du mouvement ouvrier, de comprendre la nature destructrice que peuvent avoir les forces de productions.

Dépasser le travaillisme

Placer le travail et la productivité au-delà de toute critique a enfermé les courants socialistes traditionnels dans un système de pensée qui les condamne à reproduire les mêmes schémas d’exploitation que le capitalisme. Un projet social émancipateur ne peut donc pas être pensé sans vision écologique.

Très critique du marxisme-léninisme, ce principe a naturellement fait des émules du coté des trotskystes et d’autres communistes anti-autoritaires, en France en particulier du coté du NPA et d’Ensemble.
L’adoption d’une stratégie écosocialiste se traduit par l’unification des luttes écologistes et anti-capitalistes dans un front commun apportant un discours de classe au sein des mobilisations écologistes et une critique écologiste au mouvement social.

Dans la plus pure tradition internationaliste, ce front commun devrait dépasser les frontières et permettre de soutenir les luttes autochtones qui forment la première ligne des luttes contre le capitalisme et pour la préservation de l’environnement.

Écosociale-démocratie

Le mouvement altermondialiste des années 2000 est un pivot important de cette convergence écosociale. Ce succès a d’ailleurs amené à la constitution d’une branche sociale-démocrate de l’écosocialisme. Les concepts de règle verte ou de planification écologique, originalement pensés dans un cadre marxiste, ont été des points clefs de la campagne de la France insoumise en 2022.

Perdant au passage toute leur force révolutionnaire, l’étiquette est même reprise par des forces de la Nupes comme le Parti de Gauche ou Gauche écosocialiste. Cet écosocialisme-là se construit autour d’une alliance électorale rouge-verte dans un objectif de gestion du capitalisme, pas dans le renversement de celui-ci. Ce n’est pas anecdotique, c’est un vrai dévoiement d’un projet d’émancipation qui se permet d’en ignorer des piliers comme la démocratie directe ou l’internationalisme.

Cette récupération ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur ce que signifie une intervention écosocialiste pour nous, communistes libertaires. Si Plus Jamais Ça permet indéniablement d’avancer dans la fédération des luttes sociales et écologiste, la coalition n’a pas la portée transformatrice dont nous avons besoin.

Les emplois de Grandpuits et de la Chapelle-Darblay ont été préservés grâce à cette convergence mais, au final, cela reste bien Total qui mène le projet de conversion de Grandpuits et ce seront de nouveaux capitalistes qui remplaceront les anciens à la Chapelle-Darblay.

Contrer les éco-réacs

Inversement, on peut également citer le collectif Stop EDF Mexique, regroupement d’ONG et de syndicats qui soutient le combat des populations autochtones de Tehuantepec contre l’implantation d’EDF. Si le soutien est réel et important, il est difficile d’imaginer aujourd’hui une mobilisation de l’intérieure capable de mettre à mal la stratégie coloniale de l’industriel français.

De son côté, l’écologie sociale est un courant politique principalement théorisé aux État-Unis par Janet Biehl et Murray Bookchin à partir de la fin des années 1960. Il a par la suite connu un succès grandissant, en particulier par son appropriation et sa mise en pratique dans un contexte révolutionnaire par la gauche kurde.

L’objectif premier était de donner un cadre de pensée de gauche aux luttes écologiques. En effet dès ses débuts, le mouvement écologiste a vu se développer en son sein un courant idéologique réactionnaire appelé écologie profonde.

Celui-ci propose de renverser le système de valeur qui place la nature comme inférieure à l’homme et conclut que l’Humain, vu comme un ensemble homogène, doit le plus possible stopper son action sur le vivant. Cela signifie décroissance économique mais aussi une décroissance du... nombre d’humains.

Face à ces dérives, l’écologie sociale propose de dépasser l’opposition artificielle entre l’humain et son environnement. La destruction de l’environnement n’est pas innée, c’est un fait social résultant d’une organisation sociale hiérarchique, intimement liée à l’exploitation de l’humain par l’humain.

L’écologie profonde est encore aujourd’hui enracinée au sein des mouvements écologistes. Se saisir de ce cadre politique et le faire connaître serait d’une aide précieuse dans une perspective de clarification et de lutte antifasciste.

S’organiser localement

Comme mise en application de leur théories, Bookchin et Biehl conceptualise le municipalisme libertaire. L’organisation d’assemblées populaires locales et leur fédération en réseau est serait le meilleur moyen pour préfigurer les futures institutions d’une société libertaire et écologique.
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L’écologie sociale a fait l’objet de différentes appropriations dont le pilier fondamental est la démocratie direct. Comme mise en application de leur théories, Bookchin et Biehl conceptualise le municipalisme libertaire.

L’organisation d’assemblées populaires locales et leur fédération en réseau est serait le meilleur moyen pour préfigurer les futures institutions d’une société libertaire et écologique.
Quand on sait que de nombreuses luttes environnementales s’organisent autour de la défense d’un territoire local, d’un quartier, organiser la lutte à cette échelle semble cohérent.

Cette stratégie s’est vue appropriée en France avec un succès limité. En effet, l’intérêt stratégique du municipalisme se heurte parfois à une vision de la démocratie directe bien éloignée de l’autogestion libertaire. À l’inverse donc d’un municipalisme dont les assemblées servent de plate-forme électorale ou d’outil revendicatif contre une mairie, il faut concevoir la démocratie directe comme une forme d’action directe qui permet aux exploitées de se transformer en acteurs et actrices politiques.

Le plus bel exemple de mise en place des principes de l’écologie sociale reste sans doute celui de la gauche kurde et de son confédéralisme démocratique. Si sa base politique reste une assemblée populaire appelée commune, la stratégie d’implémentation est souvent dépendante du contexte local.

L’établissement des communes et leur élargissement passe par une compréhension des problèmes locaux puis d’une réponse à ces problèmes par des contre-pouvoirs adaptés. Le principe de confédération de luttes locales se retrouve également en France au sein des mouvements écologiste tels que les Soulèvements de la Terre ou l’Appel des forêts.

En sortant d’un cadre municipaliste, l’écologie sociale peut être appropriée par les communistes libertaires dans une logique d’intervention au sein de contre-pouvoirs. Rappelons par exemple qu’une grève, par le temps qu’elle libère, sa réappropriation du lieu de travail et son attaque contre le capitalisme, peut être l’occasion d’une pratique de démocratie réelle.

La construction d’une société écologique via la généralisation de pratiques de lutte, d’entraide et d’autogestion au sein de nos contre-pouvoirs serait alors envisageable.

Au-delà du municipalisme

L’écologie peut elle-même faire l’objet d’un contre-pouvoir spécifique si elle intègre un combat contre toute les hiérarchies. De même que toute lutte contre les systèmes de domination, par la prise en compte de son rapport à l’environnement, peut constituer les bases d’une société écologique.

Corentin (UCL Alsace)


On lira avec profit :
 Michael Löwy, Écosocialisme : l’alternative radicale à la catastrophe écologique, Mille et une nuits, 2011, 240 pages, 16 euros.
 « Jineoloji », sur Serhildan.org
 Malcom Ferdinand, Penser une écologie décoloniale, une écologie-du-monde, sur Youtube.com
 Murray Bookchin, Écopo – Anarchisme et écologie, sur Youtube.com.
 « L’écologie, combat de politique et enjeux de survie », Anouk Colombani et Sarah Caunes, Solidaires international, automne 2018, sur Ancien.solidaires.org

 
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