Liquidation de l’imprimerie Nationale




Ou comment les ouvrier(e)s du livre de ce fleuron de l’état se remobilisent pour empêcher sa liquidation au profit de la concurrence privée.

Le spectacle fut insolite le 11 mars dernier rue de la Convention dans le XVe arrondissement de Paris. La « canaille » excédée, CGT en tête, a déversé près de cinq tonnes de rognures de papier dans la rue pour essayer enfin de faire parler d’elle.

L’Imprimerie nationale qui ronronne depuis plusieurs siècles de bons et loyaux services vis-à-vis de l’État est en effet malade. Malade de la concurrence libérale, de l’indifférence de son plus gros client : l’administration, de sa graisse bureaucratique ; la dernière plus grande usine de Paris intra-muros essaie de sauver sa vieille peau. Mais l’Imprimerie nationale n’a jamais brillé par la popularité de sa production : contraventions, feuilles d’impôts, annuaires France Télécom, imprimés administratifs de tous poils, il faut bien que l’État français, dont la capacité de nuisance administrative est bien connue, gère sa bureaucratie.

Jusqu’en 1994, cette entreprise dépendait du budget annexe du ministère du Budget. Les bouffons successifs de Bercy ont savonné la planche pour qu’elle devienne entreprise publique il y a maintenant plus de dix ans, avec les conséquences inéluctables qu’une telle transformation juridique implique. L’État n’a pas une vocation d’imprimeur n’est-ce pas ? Ouverture au marché concurrentiel comme la grande distribution, les catalogues de voyages et jusqu’aux revues pornos. Mais du fait de ce changement de statut, les imprimeries privées ont désormais accès aux juteux marchés de l’administration : logique !

La disparition du plomb, les nouvelles technologies, les imprimés administratifs sur Internet, une gabegie effrénée, la perte de marchés importants comme ceux de l’annuaire de France Télécom, dont les représentants sont membres du Conseil d’administration et confient leur boulot à une société espagnole spécialement créée pour ça, ont fait que peu à peu l’entreprise qui emploie près de 1 250 salariés se trouve dorénavant dans une situation économique proche du coma. Les derniers chiffres officieux parlent de 780 emplois maintenus soit un « dégraissage » de près de 450 salariés. 197 millions d’euros ont été engloutis en dix ans.

Restructurations

L’usine de Douai s’inquiète, l’usine de Paris s’inquiète, l’usine d’Evry est en passe d’être filialisée. Les plaquettes publicitaires ne font plus depuis six mois état du nom de la société mère, un petit « oubli » qui ne trompe pas. L’entité ISTRA de Strasbourg, filiale depuis plusieurs années, cherche discrètement un repreneur. Et les filiales on sait ce que ça devient quand c’est chaud les jours de paie.

Alors forcément les travailleur(se)s relèvent un peu la tête parce qu’évidemment la seule solution va être de tailler dans l’effectif laborieux et par la même occasion voir si le syndicat CGT du Livre en a encore sous la pédale.

Détail aggravant, l’entreprise dispose d’un magnifique pâté de maisons en plein cœur d’un arrondissement parisien convoité, de cadres au statut privé ou fonctionnaires techniques, d’ouvriers d’État, de salariés de droits privés, d’intérimaires, de CDD, de trois sites de production que la direction aimerait bien voir entrer en conflit, d’un PDG, Loïc Lenoir de la Cochetière, issu du cabinet Madelin et très copain avec le baron Seillière donc fin connaisseur des fins de mois approximatifs. Le précédent, un incapable directement issu de l’ENA, est parti couler des jours heureux dans une administration de velours. Rien à péter des imprimeurs.

On débarrasse l’usine de Paris d’une activité rentable (le fiduciaire) pour l’implanter à Douai. On déménage les machines de Paris à Choisy-le-Roi en écrémant au passage. Les salarié(e)s sont prié(e)s de déménager sinon... Rien de plus facile pour tenter de diviser les syndicats. On privilégie un site aux dépens d’un autre.

Servez chaud...

La situation est devenue telle que Bruxelles dans sa grande mansuétude a prêté 64 millions d’euros uniquement destinés à la trésorerie, et pas à l’investissement, en six mois et remboursables en un an à 4,4%. À peu de chose près c’est le même montant que Noroxo, qui licencie 141 salarié(e)s, va verser à ses actionnaires en 2003.

Notre battage médiatique, malgré la solidarité et le renfort des salarié(e)s du Journal Officiel eux/elles aussi menacé(e)s, est tombé bien mal ce 11 mars [1] mais ce n’est qu’un début. Les copains de l’usine de Douai, site construit pour et autour de l’annuaire France Télécom en ont assez des bassins d’emploi sinistrés où ils sont toujours les premiers à tremper les pieds pour voir si l’eau est froide et craignent de rejoindre en rangs serrés ceux de Metaleurop ou Noroxo. Les salarié(e)s n’ont qu’une crainte, celle de voir se dilapider des vrais métiers, et surtout des emplois ou tout simplement de voir fermer les boîtes. Ils voient se rapprocher les concurrents rotativistes bien contents de voir un imprimeur dans la merde, des fois qu’il crève. Un premier plan social avec prime au départ volontaire, des départs en retraite anticipés n’a semble-t-il pas donné les effets escomptés. Les salarié(e)s attendent le deuxième avec impatience. Un bonheur ne vient jamais seul.

Rappelons-le, l’Imprimerie nationale c’est aussi les passeports, les permis de conduire, les cartes grises, les concours de l’Éducation nationale, un vrai savoir-faire, une vraie technologie de pointe et un vrai monde ouvrier. C’est peut-être pour ça finalement...

Loïc Lenoir

[1NDLR : attentats de Madrid

 
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