Culture.

Lire : Baglin, « En salle »




Le prolétariat, l’usine, le travail en général font rarement l’objet de belle littérature. Si les écrivains prolétariens apportent leur expérience, ils écrivent généralement dans un style scolaire imité des classiques, peu créatif. Les autres sombrent vite dans un misérabilisme, une poétisation ou une une héroïsation qui débouchent sur des portraits qui sonnent faux. Vivre dans ou être issu du monde ouvrier, ça ne s’invente pas.

En salle est un premier roman parfaitement abouti. Le récit entrelace les souvenirs d’une enfance ouvrière et le présent d’un boulot chez Mac’do. Un sens précis de l’observation d’une fille d’ouvrier, des mots du père, de la vie d’une famille banale. Avec des phrases simples, directes et un rythme parfaitement maîtrisé qui scande les gestes répétés de l’enfant devenue salariée chez Mac’do, les relations aux collègues et aux chefs où seuls les incidents avec les clients et les pannes machines viennent bousculer le quotidien.

Claire Baglin rejoint ainsi Robert Linhart et François Bon, déjà édités aux éditions de Minuit. Ces deux auteurs et cette autrice partagent un même talent pour décrire la condition ouvrière et l’usine. Il est probable que Baglin ne restera pas à l’usine plus longtemps que Linhart et Bon… mais son récit puise dans la chair du vécu. Au centre, ce Mac’do, à la fois rêve d’enfants d’ouvriers et aussi usine.

Le triptyque ouvrier des éditions de Minuit dévoile, incidemment, l’effondrement politique de la classe ouvrière sur les quarante dernières années. Linhart dans L’Établi, paru en 1978, livrait une expérience d’un an chez Citroën, détaillant les postures syndicales et politiques en jeu. Dans Sortie d’usine – tout un programme – Bon, en 1982, évoquait tout juste une petite grève qui échouait. Mais aucune référence à la moindre résistance collective, ni dans les souvenirs d’enfant ni dans son présent en restauration rapide chez Baglin. Ainsi vont les choses…

Et pourtant la révolte gronde en sourdine dans ce très beau roman. Sous les pavés, la braise.

Jean-Yves (UCL Limousin)

  • Claire Baglin, En salle, éditions de Minuit, 2022, 160 pages, 16 euros.

Lire aussi :

  • Robert Linhart, L’Établi, éditions de Minuit, 1981, 178 pages, 7 euros.
  • François Bon, Sortie d’usine, éditions de Minuit, 2001, 169 pages, 8 euros.
 
☰ Accès rapide
Retour en haut