Culture

Lire : Baptiste Morizot « Manières d’être vivant »




Dans le paysage bien sombre des pensées de l’écologie, écartelé entre pessimisme collapsologiste et foi aveugle dans la technique, qui nous semblent être deux impasses, le livre de Baptiste Morizot apparait comme un rayon de soleil. Enfin une porte de sortie !

Baptiste Morizot est un philosophe d’un genre particulier  ; quand il n’enseigne pas ni n’écrit, il est pisteur. Il passe des jours entiers dans la nature, au plus près des sols, à guetter les traces du passage d’animaux, plus particulièrement des loups. Cette activité qui exige une attention profonde et une certaine humilité, nourrit sa pensée philosophique.

Il est temps d’en finir, dit-il, avec la fable mortifère de «  l’homme en dehors de la nature  ». La modernité a désacralisé le vivant, et dans les sociétés occidentales, les seuls êtres autorisés - et encouragés - à s’émerveiller face à la perfection d’une aile de libellule ou à l’ingéniosité du système reproductif du peuplier sont les enfants. Être adulte, c’est être désabusé  ; c’est penser que tout ce qui nous entoure obéit à des lois que les scientifiques sont là pour décoder.

Quel appauvrissement de notre monde et de nos sensibilités  ! Loin de nous inciter à renouer avec une admiration béate, qui serait proche d’une forme de religion, Morizot nous invite à mieux prendre en compte l’espace peuplé de vies dans lequel nous avons pris l’habitude de croire que nous sommes seules à évoluer. «  Nous avons une multitude de mots, de types de relations, de types d’affects pour qualifier les relations entre humains, entre collectifs, entre institutions, avec les objets techniques ou avec les œuvres d’art, mais bien moins pour nos relations au vivant.  »

Cet état de fait est à la fois un effet et une cause de la crise écologique en cours  ; à force de ne plus regarder la nature que comme une chose inerte, comme une toile de fond sur laquelle se déroulent nos interactions humaines, nous ne la prenons plus en compte. Et voilà la porte ouverte à toutes les exploitations, et à la destruction totale de nos milieux de vie.

Il est donc urgent d’inventer de nouvelles relations au vivant, pour préserver la possibilité d’un futur sur Terre, mais aussi pour rendre justice à l’incroyable richesse des formes de vies existantes, ainsi qu’à la capacité infinie de l’être humain à les décrypter.

C’est en ça que ce livre est un vrai renouveau dans les pensées écologiques  ; sans nier les terribles défis auxquels nous sommes confrontées, il nous montre la voie d’un futur enfin désirable.

diplomate interespèces

Il faut se souvenir d’abord, que nous sommes, nous aussi, des animaux, et replacer notre dépendance au vivant au centre de nos conceptions du monde. Une vraie rupture ontologique  : depuis le judéo-christianisme jusqu’au freudisme, l’animalité est conçue, en Occident, soit comme une bestialité qu’il faut surmonter, soit comme une forme de pureté qu’il faut
atteindre.

Deux pôles opposés en apparence qui ne forment en réalité qu’une même conception des choses, dont il est essentiel de s’éloigner. «  Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement ; c’est sortir de l’opposition entre les deux.  »

Il faut ensuite apprendre à se tenir dans une position de «  barbouillement moral  », où l’on est un peu traître à chacune, pour aller vers une situation où toutes et tous pourront vivre du mieux possible. Et garder comme boussole non pas un objectif mais une question  : comment faire pour qu’aucun être ne soit lésé  ? Morizot s’appuie sur son expérience au sein d’un dispositif qui allie défenseurs du loup et éleveuses de brebis pour montrer à quel point il est difficile - et stimulant - de se tenir dans la position du juste milieu  ; dans une action qui mènerait à un juste partage de l’espace, à la création, sans cesse renouvellée, d’une zone où personne ne peut prendre le pouvoir complètement. Où tous se croisent, et vivent ensemble  :
l’être humain, les autres animaux que sont la brebis, le loup. Et la prairie, aussi.

Cette posture morale qu’il définit longuement semble pleinement compatible avec nos idéaux libertaires d’autogestion. Et si Morizot n’emploie jamais ces mots précis, il nous semble que le succès de son livre en librairie est une bonne nouvelle pour toutes celles et tous ceux qui espèrent sans relâche arriver à bâtir un jour une société sans oppression.

Mélanie (UCL Grand-Paris sud)

  • Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Actes Sud, février 2020, 324 pages, 22 euros.
 
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