Culture

Lire : Calais et Osé, « Plutôt nourrir, l’appel d’une éleveuse »




Clément Osé a fait Sciences-Po. Et puis, il a bifurqué : il s’est installé dans une ferme collective, où le but est de vivre en autonomie, le plus sobrement possible. Un jour, il reçoit un message d’une de ses anciennes camarades de promo, Noémie Calais, qui lui apprend qu’elle et lui sont presque voisins : elle s’est installée dans le Gers et se reconvertit dans l’élevage de porcs ! Intrigué, il lui demande s’il peut lui rendre visite. Elle accepte : il y va, y retourne, et encore, et au fil du temps et des échanges, à deux, ils ont construit ce livre, qui alterne récit et analyses de Clément, et extraits des carnets de Noémie.

La forme rend la lecture très agréable, et le fonds s’avère vite passionnant. D’abord, le quotidien d’une ferme bâtie pour produire – Noémie et ses associées vendent des œufs, des légumes, des céréales, des fromages, et les produits issus du porc, sur les marchés du coin – nous est raconté par quelqu’un qui n’est pas totalement étranger à cet univers, mais qui est plus un néo-rural qu’un paysan.

L’État à rebours de l’intérêt général

La question politique arrive donc assez vite : quel sens pose-t-on derrière cette productivité  ? Or la démarche de Noémie et des autres habitantes de la ferme des Bourdets, si elle implique de produire de la nourriture, met la question du sens au cœur des pratiques, de la façon la plus radicale possible. Et face à cette éthique, on ne peut qu’espérer pouvoir trouver au plus vite partout de la nourriture produite de cette manière !

L’autre aspect vraiment stimulant de l’ouvrage, est qu’il nous permet de sortir du manichéisme du débat « pour ou contre l’élevage ». Clément Osé, végétarien, est un peu bousculé par les scènes de découpe (décrites assez crûment).

Au fil du livre et des réflexions, on découvre que le pour ou contre est injuste, qu’il y a plusieurs façons de donner la mort, et que si le passage à l’abattoir n’est jamais un plaisir, refuser totalement cette option peut sembler hors sol tant la pratique de l’élevage est intégrée depuis des millénaires à la production de nourriture.

L’opposition entre élevage bio et élevage conventionnel perd également de sa force quand on apprend que Noémie (qui travaille en bio) bénéficie de l’appui et des conseils avisés de Catherine, dont elle a repris l’élevage, même si celle-ci travaillait en conventionnel. Noémie a réduit le nombre de porcs élevés et adopté d’autres façons de faire, mais l’expérience de Catherine lui est utile face aux imprévus. Entre les deux femmes, beaucoup plus de solidarité et d’échanges de pratiques que de conflits !

Enfin, ce livre se fait avec succès le relai du combat harassant que doivent mener les « petites et petits » paysans, celles et ceux dont fait partie Noémie, qui visent la qualité sans céder sur l’éthique, face aux normes imposées par l’État. Les réglementations qui sont censées être respectées par les éleveurs et les éleveuses sont ajustées au plus près des modèles d’élevage intensif, avec pour conséquence directe de mettre les exploitations à taille humaine face à un dilemme kafkaïen : ou bien abandonner leurs justes pratiques, pourtant basées sur le respect et la considération de la vie animale, ou bien désobéir, au risque d’amendes colossales, voire de peines de prison ! Les questionnements absurdes auxquels sont confrontées de façon très injuste des personnes qui tentent de remettre du sens au cœur de notre alimentation sont très clairement retranscrits, et il est difficile de refermer ces pages sans être en colère !

Mélanie (UCL Grand-Paris sud)

  • Noémie Calais et Clément Osé, Plutôt Nourrir. L’appel d’une éleveuse, Tana, 2022, 256 pages, 18,90 euros.
 
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