Lire : Georges Navel, Passages

Georges Navel, cet écrivain doublé d’un poète, cet ouvrier, cet homme hors du commun, être de passages dans les mondes du travail comme manœuvre, ajusteur, terrassier, correcteur d’imprimerie et apiculteur, livre un roman plein de descriptions simples, poétiques et émerveillées de la nature. De cette vie rurale d’un village lorrain, proche de la Moselle, à proximité des hauts fourneaux, de la sueur et de la souffrance.
À travers les mirettes d’un enfant, se déroulent les paysages contrastés de papillons, de libellules, de champignons, d’acier en fusion, de corps en lambeaux. La vie pauvre, décrite sans amertume, simplement ; la vie des treize enfants de la famille de Georges Navel. On suit au quotidien la mélancolie des uns, les affrontements ludiques des bandes de gamins et parfois la souffrance et la mort. La faucheuse fait partie intégrante de ces mondes avec ces décès des enfants en bas-âge, les conditions de vie difficiles, les accidents et la guerre.
Des illusions aux désillusions
Passages, c’est aussi cela, ce va-et-vient de la ligne de front lors de la grande guerre, les illusions et désillusions de ces peuples déplacés, obligés de vivre à proximité du champ de bataille. Et ce fut le départ vers l’Algérie de Georges Navel, encore minot, sa famille l’éloignant de ces aires de barbaries sanglantes.
Passages vers d’autres mondes, d’autres références avec tous ces rêves qui l’accompagnent. Passages des illusions aux désillusions, passages de l’enfance à l’adolescence, de l’imaginaire ou réel.
Passages, ce sont tous ces êtres, soldats agonisants, fiers altiers, pauvres bougres perdus dans les chemins de la zone meurtrière.
Passages, ce sont toutes ces rencontres : celles des indigènes, du curé acariâtre, de l’instituteur, illusoire porteur des valeurs républicaines, des membres de sa famille, de son voisinage, usé par le labeur, de tous ces fantômes qui hantent les souvenirs.
Passages, c’est l’heure du retour à Lyon où sa famille a été évacuée. Il apprend le métier d’ajusteur et découvre le milieu anarcho-syndicaliste. Parallèlement, il suit les cours de l’université syndicale, et défile pour le 1er Mai derrière le drapeau noir.
Passages, ce seront ses errances hors des sentiers balisés que son père aurait souhaité, sa désertion du service militaire, son passage dans les rangs de l’armée républicaine lors de la guerre d’Espagne en 1936.
Cette œuvre, fort bien écrite, constitue plus qu’un témoignage poétique ou qu’une autobiographie riche de péripéties. C’est un important apport historique et sociologique à la vie des Gens de Peu, on s’immerge dans la condition des prolétaires, la vie campagnarde, dans la rudesse des rapports des forges… On perçoit la présence du danger imminent, de l’accident de travail irréversible, de ces chairs meurtries au champ de bataille et dans les ateliers.
Passages, c’est le livre de transition entre une économie rurale et une société industrielle déshumanisante. Si vous êtes de passage, c’est une invitation à rendre hommage aux Gens de Peu.
Dominique Sureau (UCL Angers)
- Georges Navel, Passages, L’Échappée, Paris, 2025 (1re éd. : Le Sycomore, 1982, puis Gallimard, 1991), 384 pages, 22 euros.





