Lire : Lebrujah, « Comprendre le Rojava dans la guerre civile syrienne »




Raphaël Lebrujah est un bon connaisseur du Kurdistan syrien (Rojava) et de l’expérience révolutionnaire qui anime cette région depuis le printemps arabe de 2011.

Il a nourri son livre de nombreuses conversations avec des militantes et militants révolutionnaires kurdes, en exil en France, mais aussi au Kurdistan où il a effectué deux voyages.

Son ouvrage, très descriptif, fait la part belle aux analyses géostratégiques et militaires, de la bataille de Kobanê (2014), dont la résistance héroïque a projeté la gauche kurde sous le feu des projecteurs, à celle d’Afrîn (2018), premier revers cuisant infligé par l’armée turque et ses supplétifs islamistes. Le Rojava-Fédération démocratique de Syrie du nord est toujours en guerre, il faut le rappeler, et cela absorbe 70 % de ses maigres ressources.

Malgré tout, la gauche kurde a à cœur d’assurer l’assise populaire de son projet de confédéralisme démocratique. La Fédération s’est donc payé le luxe, dans ce Moyen-Orient en plein chaos, d’organiser des élections libres en décembre 2017. Les assemblées cantonales sont représentatives de la mosaïque ethno-confessionnelle du pays, intègrent des hommes et des femmes, et une minorité d’opposition liée au PDK de Massoud Barzani, le grand rival du PKK au Kurdistan.

Dans un pays en ruine, l’auto-administration encourage la relance de la production par la création de coopératives, sous le contrôle des communes, mais autogérées par les travailleuses et les travailleurs. Sans coercition, plutôt en encourageant l’adhésion volontaire des petits propriétaires. L’auteur évoque le fonctionnement de ces coopératives (agrico-alimentaires, de confection…), qui pour autant ne peuvent représenter l’alpha et l’oméga d’une politique économique. Quid des grandes propriétés féodales pour l’instant inviolées ? Quid de la production pétrolière, hydro-électrique (barrage de Tabqa), ou de ciment (Lafarge) ? Quid des grandes infrastructures (aéroport de Qamişlo, toujours sous le contrôle du régime de Damas) ? L’auteur reste prudent sur les grands choix et les défis qui se posent à la Fédération démocratique de Syrie du nord, dont l’autonomie est très relative, et qui doit constamment négocier avec des acteurs intérieurs (tribus féodales) et extérieurs (Damas, Ankara, Washington, Moscou, Paris…) qui menacent ce territoire grand comme la Suisse.

Une des parties les plus originales du livre essaie de cerner la doctrine du confédéralisme démocratique, dont les orientations échappent aux catégories traditionnelles : ni libertaire, ni marxiste, ni féministe, ni athée, ni écologiste… mais en même temps un peu de tout cela à la fois. Souplesse ou ambiguïté ? On n’a pas fini de s’interroger.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

  • Raphaël Lebrujah, Comprendre le Rojava dans la guerre civile syrienne, Éditions du Croquant, 2018, 220 pages, 15 euros.
 
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