Lire : Morel, « Les Enchaînés. Un an avec des travailleurs précaires et sous-payés »




En racontant son infiltration pendant deux ans dans cinq entreprises des Hauts-de-France, le journaliste Thomas Morel veut faire ressentir, à des lecteurs et lectrices qui pour beaucoup ne l’éprouveront jamais dans leur chair, un peu de la réalité du travail le plus précaire. Et c’est une réussite.

Ainsi du travail à la chaîne, pour le chocolatier Cémoi, puis dans une énorme usine Toyota, face à son organisation du travail ultra-parcellisée et ultra-standardisée. Il en raconte les cadences infernales et la pénibilité qui détruit à petit feu les corps des ouvriers et ouvrières, comme Armelle, que la destruction du canal carpien va obliger à se faire opérer, même si elle continue à travailler en attendant, parce qu’elle n’a pas le choix.

Chez Toyota, le journaliste fait l’expérience de la difficulté de faire grève, droit dont il usera plusieurs fois pendant le mouvement contre la loi travail de 2016, époque où il était en poste dans l’entreprise japonaise, et qui lui vaudra de ne pas voir son contrat renouvelé.

Les autres séquences sortent de l’univers industriel, pour nous faire découvrir un univers tertiaire à peu près aussi cauchemardesque. L’auteur nous amène d’abord dans le centre d’appels Clictel, qui travaille notamment pour les magasins Boulanger. Sous le vernis de l’esprit start-up, le salarié découvre rapidement l’omniprésente surveillance dont il fait l’objet, comme tous ses collègues, et aussi l’inanité de son côté, dont la valeur ajoutée est pour le moins discrète.

Ensuite, le journaliste occupe un post de VRP chez Ranger, où il doit faire signer, en porte-à-porte, des contrats pour GDF Suez. Et une nouveauté, sans doute d’avenir dans notre société de plus en plus uberisée  : pas de salaire fixe, seulement des commissions à chaque contrat signé. Cela incite les démarcheurs à mettre leur déontologie de côté, par exemple en bidonnant l’âge des clients quand ils ont plus de 75 ans, avec qui la loi interdit de conclure ce type de transactions.

Mais c’est finalement son emploi dans une filiale de Cofidis spécialisée dans le recouvrement de créances de crédits à la consommation qui s’avèrera l’expérience la plus pénible. Dans ce «  nid de vautours  », il se trouve contraint de faire preuve d’un cynisme sans faille pour faire payer des dettes à des familles qui n’en ont pas les moyens, de renforcer la précarité de personnes qui y sont déjà plongées jusqu’au cou. Ou comment le monde du travail moderne parvient à faire jouer les travailleurs et les travailleuses contre leur propre camp.

Julien (AL Paris-Sud)

  • Thomas Morel, Les Enchaînés. Un an avec des travailleurs précaires et sous-payés, Les Arènes, 2017, 270 pages, 20 euros.
 
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