Culture

Lire : Pierre Ansart, « Naissance de l’anarchisme, Esquisse d’une explication sociologique du proudhonisme »




Faut-il lire le livre de Pierre Ansart, consacré à Proudhon ? Si on se réfère à ce dernier, des réflexes de refus pourraient émerger, notamment en rapport avec ses positions envers les femmes ; si l’on se tourne vers la critique qu’en fit Marx, la condamnation du petit-bourgeois est sans appel. Mais avec un peu de curiosité intellectuelle, enfreindre ces premières répulsions permet de découvrir une autre lecture de Pierre-Joseph.

Pierre Ansart livre dans cet ouvrage une approche sociologique de l’œuvre de Proudhon, une relecture à la lumière des réalités économiques des années 1830 et suivantes. L’ouvrage, intitulé Naissance de l’anarchisme, n’aborde que sur la fin cette problématique. La première partie dresse le portrait économique de la France de l’époque, de sa ruralité, de l’émergence des premières concentrations capitalistes et, entre les deux, des ateliers, de l’artisanat si chers à Proudhon. Sont évoquées à grands traits ces mutations socio-économiques et leurs conséquences sur les populations ouvrières, paysannes et artisanales ; l’émergence massive d’une population déclassée, sous-payée et surexploitée : les femmes, les enfants. Le livre essaye de transcrire en termes simples cette parole ouvrière et très rapidement sont abordées les questions cruciales de la capacité politique de la classe ouvrière, du mutuellisme, de l’association et de la révolution. S’il fallait établir une filiation historique, cela évoquerait plus les premières heures de la première Internationale, avant la rupture avec Marx et les partisans d’une primauté de l’action partisane politique.

On ne peut guère accuser Pierre Ansart de méconnaître Marx ou Proudhon à qui il consacra plusieurs écrits. La préface de l’ouvrage est signé de Freddy Gomez qui nous rappelle que Pierre Ansart avait souhaité « confronter l’oeuvre de Marx à celle de Proudhon “en dehors de toute polémique partisane et le plus honnêtement possible” ». La note de présentation en quatrième de couverture résume à merveille l’objectif de ce livre : « calomnié par Marx, dévoyé par l’extrême droite, délaissé par les libertaires eux-mêmes, Pierre-Joseph Proudhon, le fondateur de l’anarchisme, reste aujourd’hui encore le mal-aimé, presque un inconnu. ».

La grandiloquence de la note – « essai magistral », « quintessence de sa pensée sociale »… – pourrait rebuter la lectrice ou le lecteur. Mieux vaut s’en tenir à la suite de cette présentation : le refus du capitalisme, de la mécanisation à tous crins, de ce système d’exploitation. Et ce témoignage des mondes de l’atelier et de la petite manufacture, de cet ouvrier-artisan qui maîtrise un savoir-faire et un savoir-être. C’est le monde des canuts et non celui de la petite-bourgeoisie. Cela n’efface pas les erreurs d’appréciations, de jugements à l’emporte-pièce, que put proférer Proudhon. Ses écrits complexes et emberlificotés ne sont pas toujours évidents à parcourir, mais ils sont la trace historique d’une recherche de nouvelles configurations sociales capables de permettre l’émergence d’une parole ouvrière authentique, avec toute sa complexité et toutes ses errances.

Dominique Sureau (UCL Angers)

  • Pierre Ansart, Naissance de l’anarchisme, Esquisse d’une explication sociologique du proudhonisme, L’Échappée, 2025 (réédition de l’ouvrage paru aux PUF en 1970), 384 pages, 22 euros.
 
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