Lire : Rimbert, "Libération de Sartre à Rothschild"




Les Editions Raison d’Agir viennent de publier un petit livre (144 pages) convaincant et bien documenté sur l’histoire du quotidien Libération. L’auteur, Pierre Rimbert a fait un travail de recherches, de compilation très utile.

Très bien écrit, ce qui ne gâche rien, ce livre nous fait revivre les principales étapes des batailles politiques menées par la direction du quotidien.

Les renoncements et l’adhésion aux règles libérales du capitalisme ne sont pas décrites comme une succession de complots, mais comme des rencontres entre des générations de candidats à l’exercice du pouvoir. Parmi ceux-ci, le livre montre particulièrement bien, la concordance d’analyses entre des individus spécialistes du plan qui piaffaient dans les antichambres du pouvoir et les ambitions politiques d’une direction du journal qui voulait imprimer sa marque dans la société française.
Le pas de deux avec la deuxième gauche (composée de la direction de la CFDT, des rocardiens, d’intellectuels comme Rosanvallon, etc.) avait pour but de démontrer la validité d’une gauche "moderne". Cette gauche "moderne" s’affichait "à gauche" pourvu que celle-ci emprunte sa pensée économique à la droite (p.123).

Libération, organe de réhabilitation du capitalisme, a joué un rôle indéniable dans les tournants libéraux de la social-démocratie française.
Pour faire croire à la poursuite des idéaux initiaux, les dirigeants de Libération ont beaucoup mis l’accent sur les questions de société. Cette approche sociétale permettait de faire croire à ce gauchisme qui aimait s’appeler lui même "gauchisme culturel" qu’il combattait une droite réactionnaire et conservatrice mais qui en même temps niait la lutte des classes.

Si le sociétal a servi d’écran de fumée aux renoncements à changer le monde pour en finir avec l’exploitation capitaliste et les dominations, pour autant, il serait faux d’opposer la lutte contre le capitalisme sur le terrain social et la lutte sur les questions de société. Le livre ne tombe pas dans cet écueil. Libération a pu ainsi sur plusieurs sujets de société mener de véritables campagnes avec lesquelles les libertaires ne pouvaient qu’être d’accord.

On voit aussi à travers la mise en perspective du livre, comment la direction de Libération a pu créer et développer le concept de “ libéral-libertaire ”, sans finalement que le mouvement libertaire pèse pour démontrer l’inanité d’une telle conception. Le courant libertaire a enregistré manifestement une défaite politique en se faisant polluer par ces défenseurs du capitalisme.

Si, le livre relate bien les rencontres entre ces anciens dirigeants “ maos ” et les aspirants au pouvoir qui voulaient “ moderniser ” le capitalisme, reste sans doute à approfondir l’analyse pour comprendre comment une partie de la météorite maoiste issue de Mai 68 a pu se transformer en force militante de défense du capitalisme. Les défaites sociales, les reculs du mouvement révolutionnaire, indépendamment des aspirations au pouvoir d’opportunistes, ont nécessairement joué pour que la direction puisse imposer sa ligne.

Pas mal de gauchistes issus de Mai 68 ont pu développer des carrières dans les milieux de la presse. C’est sans doute un ensemble de conditions qui a permis à ces anciens militants de prendre une place importante dans les médias. Ce qu’ils ont appris dans le mouvement leur a été utile pour prendre le pouvoir dans des rédactions sclérosées et pour permettre également à la bourgeoisie de digérer tout cela sans pour autant remettre en cause l’essentiel : la domination de classe.

La charge efficace du livre et qui permet de donner du sens aux combats éditoriaux de la direction du quotidien Libération ne rend pas compte des positions forcément différentes qui peuvent ou ont pu s’exprimer au sein de la rédaction, même si les positions différentes n’ont pas remis ou ne remettent pas en cause la ligne éditoriale générale.

Au moment où l’avenir du journal Libération est de plus en plus incertain – dans les mains de ses actionnaires privés –, une bonne partie des lecteurs est fatiguée de se faire insulter presque chaque jour par les propos pontifiants et lénifiants d’une direction toute acquise au libéralisme.

Cette même direction de la rédaction enregistre elle-même des défaites politiques majeures en étant désavouée, y compris par son lectorat sur le projet de traité constitutionnel européen et sur le terrain sociétal avec la montée d’une droite conservatrice, réactionnaire. À moins, qu’à l’instar d’autres anciens militants venant du maoïsme, la tentation réactionnaire titille aussi, une partie de la direction. Ce qui expliquerait, le peu de réactivité de la rédaction en chef aux questions de société actuelles.

Risquons une analyse.

C’est sans doute parce que les questions de société portent aujourd’hui d’abord sur la question sociale que la direction de Libération patine à trouver un discours audible et qu’installée dans le confort, la génération des quinquas au pouvoir n’a plus rien à dire, mais aussi qu’elle s’accroche au pouvoir comme le faisait le pouvoir gaulliste dans la fin des années 60 au moment de l’envol du maoïsme.

Une presse libre ? Chiche.

T.E.

  • Pierre Rimbert, "Libération" de Sartre à Rothschild, Raison d’Agir (6 euros).
 
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