Culture

Lire : Dupont-Monod, « S’adapter »




Dans son dernier roman, Clara Dupont-Monod évoque la naissance d’un enfant handicapé, depuis le point de vue de ses frères et sœurs.

Un enfant handicapé ? ,… non, inadapté (la nuance est importante) naît dans une famille et vient bouleverser la vie de la fratrie. Le diagnostic médical tombe au bout de quelques mois, il est aveugle, muet, ne bouge pas et laisse les sollicitations de son entourage sans réponses autres que des rires, des pleurs et des moues qui disent la contrariété ou le contentement. Mais il entend, éprouve intérieurement des émotions et les exprime donc avec les moyens qui sont les siens.

L’action se déroule dans une maison cévenole isolée et entourée d’une montagne qui façonne et protège celles et ceux qui vivent à ses pieds. Elle est imposante et en même temps composée de roches friables, à l’image des vies qui ont cours dans son écosystème. Elle est là et il faut faire avec elle, de même qu’il faut faire avec ce frère, à la fois si différent et si proche pour qui se donne la peine d’en capter les vibrations et la sensibilité.

Ce sont les pierres de la cour de la demeure qui témoignent à hauteur d’enfant des relations qui se tissent avec cet être «  inadapté  » dont l’existence modifie en profondeur l’équilibre du foyer. Les pierres solidaires entre elles permettent aux murs de tenir. Elles sont une métaphore de cette énergie du collectif et des individus qui le composent, énergie qui aide à faire face aux épreuves.

L’enfant révèle les failles et le drame intime qui se trame mais aussi les ressources dans lesquelles chacun.e puise pour le surmonter. Les regards que les deux frères et la sœur portent sur cet enfant différent structurent le récit à tel point que la fratrie occupe presque tout l’espace de l’intrigue et c’est sur elle que repose la famille.
Chaque enfant est affecté par cette expérience singulière, a l’impression d’être affectivement livré à lui-même et construit sa propre carapace pour faire face. Ainsi l’aîné développe une relation fusionnelle avec l’enfant au point de se perdre, alors que la cadette cherche à le fuir pour mieux retrouver son frère aîné.
L’énergie des individualités et du collectif

Le dernier quant à lui n’a pas connu l’enfant mort prématurément. Il incarne ce nouveau départ auquel veulent croire ses parents. Il apaise et répare. Chacun.e est là pour l’autre et cette entraide donne un sens à l’existence de chacun.e comme à celle de la famille. Avec S’adapter, Clara Dupont-Monod nous offre un récit à la fois poétique et d’une grande humanité.

Elle interroge et bouscule les codes sociaux de la normalité au point que l’inadapté n’est pas forcément celui qu’on croit. L’enfant différent n’est un incasable que pour ceux et celles qui sont incapables de le prendre en compte. De fait, il n’a pas sa place dans une société dont la norme, plus rigide qu’il n’y paraît, dicte sa loi et dans laquelle les beaux principes, à commencer par celui qui consiste à protéger les plus faibles, s’évanouissent comme autant de fausses promesses.

Le roman révèle toute la force insoupçonnée de la littérature qui nous amène à opérer ce pas de côté et à sortir de nous-mêmes pour voir le monde non pas comme il devrait être mais tel qu’il est tout simplement, insignifiant, en proie à l’anomie et gagnant à être dépassé. Se décentrer permet alors d’avancer et de faire émerger une vérité car on ne l’obtient jamais sans effort. En cela, S’adapter est un roman d’apprentissage pour ses personnages comme pour nous-mêmes.

Laurent (UCL Aveyron)

  • Clara Dupont-Monod, S’adapter, Stock, 2021, 200 pages, 18,50 euros
 
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